Affaire Seznec

Publié le par Mémoires de Guerre

L’affaire Seznec est une affaire criminelle dans laquelle Guillaume Seznec est reconnu coupable, en 1924, du meurtre de Pierre Quéméneur (conseiller général du Finistère) et de faux en écriture privée. Depuis, le jugement a fait l’objet de neuf demandes de révision, qui ont toutes été rejetées.

Affaire Seznec
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Affaire Seznec

Guillaume Seznec est reconnu coupable, en 1924, « de faux en écriture privée et du meurtre de Pierre Quéméneur ». Ce dernier a disparu durant un voyage d'affaires effectué en 1923 entre la Bretagne et Paris avec Guillaume Seznec, voyage lié, selon ce dernier, à la vente à l'Union soviétique de voitures Cadillac rétrocédées à la France par l'armée américaine après le premier conflit mondial. Étant la dernière personne à avoir vu Quéméneur vivant, selon une première enquête, Guillaume Seznec devient le principal suspect : il est arrêté, inculpé et incarcéré ; et ce, bien que plusieurs témoins affirment lors du procès avoir croisé Pierre Quéméneur après la date présumée de sa disparition, et bien que le corps de celui-ci n'ait jamais été retrouvé. Les journaux évoquent les soupçons des policiers sur la possibilité que Seznec ait utilisé le cric de la Cadillac pour tuer Quéméneur, qu'il ait ramené le corps à Morlaix et activé la chaudière de la scierie de Traon-ar-Velin pour brûler le cadavre et vider les cendres dans la rivière. Le procès de Seznec, au cours duquel 148 témoins sont entendus, dure huit jours et prend fin le 4 novembre 1924. L'accusé est alors reconnu coupable.

La préméditation étant écartée, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité alors que l'avocat général a requis la peine de mort. Il est ensuite conduit en Guyane, d'abord au camp de la Transportation de Saint-Laurent-du-Maroni en 1927, puis transféré au bagne de l'Île Royale en 1928 et à nouveau à Saint-Laurent-du-Maroni en 1942. Plusieurs ouvrages témoignent de la dureté du bagne entretenu par la République française en Guyane. Après la Seconde Guerre mondiale et la fermeture du bagne de Guyane, Guillaume Seznec bénéfice d'une réduction de peine de dix ans, ce qui permet sa libération le 14 mai 1947 et son retour en métropole. Il meurt le 13 février 1954 des suites de ses blessures, après avoir été renversé par une camionnette à Paris. Joseph Marie Guillaume Seznec, né le 1er mai 1878, à Plomodiern, dans le Finistère, est le fils de Yves Seznec et Marie-Anne Colin, qui possédaient dans le hameau de Kernéol une ferme assez importante. Son père décède alors qu'il n'est âgé que de six ans. Sa mère dirige avec autorité les sept garçons de la ferme et les deux servantes travaillant sur l'exploitation. Après des études médiocres, Guillaume Seznec quitte le collège à seize ans pour rejoindre la ferme familiale. Cependant le travail de la terre ne le passionne pas, il s'intéresse surtout à la mécanique.

Le 18 juillet 1906, il épouse Marie-Jeanne Marc, fille de commerçants de Plomodiern. Le couple achète aussitôt un commerce de vente et réparations de vélos, situé sur la place de Plomodiern, en face de l’église. Alors qu'il effectue une période militaire à Châteaulin, son épouse donne naissance le 1er novembre 1908 à une fille prénommée Marie. Alerté par télégramme, il est revenu chez lui lorsque la grange voisine de son domicile est en flamme. Il se précipite alors à l'intérieur de son magasin pour sauver ce qu’il peut de sa marchandise, lorsqu'un bidon d’essence explose, le brûlant grièvement au visage et aux mains, ce qui lui laissera des cicatrices. Le 13 mars 1910, un deuxième enfant naît, il est prénommé Guillaume comme son père. Avec les 30 000 francs de dédommagements accordés par l’assurance, le couple Seznec achète un nouveau commerce en juillet 1912 : une blanchisserie située dans un faubourg de Brest à Saint-Pierre-Quilbignon. Le 8 novembre de cette même année, Marie-Jeanne donne naissance à un troisième enfant : Jeanne. Puis la Première Guerre mondiale éclate. Guillaume Seznec, réformé à cause de ses brûlures, reste en Bretagne. L'armée lui confie le nettoyage du linge d'une partie de la garnison de Brest. Un quatrième enfant prénommé Albert naît peu de temps après, le 31 octobre 1914. Selon son petit-fils Denis et bien qu'aucune pièce tangible ne le confirme, Guillaume Seznec se serait porté volontaire pour aller à la poudrerie de l'Île d'Ouessant. Il y serait resté un an, période durant laquelle Marie-Jeanne aurait dirigé la blanchisserie.

En 1918, le régiment stationné jusqu'alors à Brest est transféré à Morlaix, la famille Seznec suit. Le couple se porte acquéreur d’une propriété, « Traon-ar-Velin », une scierie désaffectée à la sortie de la ville, où ils vont s’installer pour une longue période. La blanchisserie de Saint-Pierre-Quilbignon reste en activité jusqu'à ce qu'elle soit ravagée par un incendie en 1922, alors que l’un des frères de Marie-Jeanne, Charles Marc est en train de la racheter à Guillaume, un accord ayant été conclu pour un paiement échelonné. Comme les échéances de paiement ne sont pas arrivées à leur terme au moment de l'incendie, Guillaume Seznec en est encore le propriétaire et touche 23 000 francs d'indemnités de l’assurance. Cette fois encore, les circonstances paraissent suspectes, si bien que ces deux affaires qui font jaser pèseront lourd lors de son procès où sont évoqués des incendies volontaires pour toucher frauduleusement des primes à l'assurance. C'est à cette époque que Seznec, qui projette de remettre en activité la scierie de Traon-ar-Velin, fait la connaissance de Pierre Quéméneur, conseiller général du Finistère. Ce dernier, bien que négociant en bois, aurait surtout été intéressé par un stock de couvertures que Guillaume avait acheté à l'armée américaine durant la grande guerre et qu'il comptait revendre avec de substantiels bénéfices. En 1923, après d’importants travaux, la scierie de Traon-ar-Velin fonctionne de nouveau, et Guillaume Seznec devient maître de scierie. Son entreprise emploie une douzaine d’ouvriers. Deux personnes servent fidèlement la famille : Angèle Labigou, l'employée de maison (comptant parmi les 80 créanciers de l'affaire) et Sanson, le « chauffeur » (qui s’occupe des machines et des véhicules).

Pierre Quéméneur, de son vrai nom Pierre Quéméner, né le 19 août 1877 à Commana (Finistère) près de Landivisiau, est un entrepreneur et homme politique français dont la disparition, en 1923, est à l'origine de l'affaire Seznec. Ses parents tenaient une petite ferme. En 1903, la propriété a été vendue et le jeune homme a racheté, avec son frère et deux de ses sœurs, une petite maison à Saint-Sauveur, dans le canton de Sizun avec, au rez-de-chaussée, un modeste débit de boissons. Il a alors 26 ans, de l'ambition et le désir de sortir de sa condition et de réussir. Élu conseiller municipal en 1914, il fait du commerce, achetant et revendant un peu tout ce qui se présente : vin, cidre, alcool, bétail, charbon de bois… Sa situation financière, cependant, est loin d’être florissante. C’est dans le bois qu’il se lance : achat aux paysans, aux forestiers, fourniture de poteaux pour les mines. Puis, lorsque la guerre éclate, celle-ci lui permet, comme beaucoup, de passer au stade supérieur. Le génie de l’armée consomme en effet une très grande quantité de poteaux de mine pour consolider les tranchées. Les hostilités terminées, Pierre Quéméneur est un homme très riche. Son commerce est devenu international et couvre l’Angleterre, la Sarre, la Belgique et les États-Unis. Des bateaux chargés de poteaux de mine vont et viennent entre Le Havre et l’Amérique. Sa fortune s'élève désormais à 2 millions de francs-or. C’est à cette époque qu’il achète « Ker-Abri », une demeure bourgeoise qui domine Landerneau. Avec ses tourelles à clochetons pointus, on pourrait être tenté de l’assimiler à un château. Il acquiert également le domaine de Traou-Nez à Plourivo près de Paimpol, magnifique propriété comportant 90 hectares de bois de sapins dont il confie la gestion et l’exploitation à son frère Louis, qui le sert fidèlement. Lui-même s’installe au manoir de Ker-Abri, en compagnie de sa sœur Jenny qui tient la maison. L’autre sœur, Marie-Anne, s’est mariée en 1920 avec Jean Pouliquen, clerc de notaire à Pont-l'Abbé. Quéméneur lui a prêté 160 000 francs afin qu’il s’établisse en achetant une étude de notaire. Jean Pouliquen traîne pour rembourser le prêt.

Une fois établi, Quéméneur se lance dans la carrière politique. En 1919, le bistrotier est élu conseiller général du Finistère, dans son canton natal. Le portrait de Quéméneur parvenu jusqu'à nous tient moins du souvenir de ses proches que de l'abondante littérature consacrée à l'affaire, plus soucieuse de réhabiliter Guillaume Seznec que factuelle, sans se soucier de salir la réputation d'un notable disparu sans descendance. On nous décrit ainsi un petit homme rond et jovial, avenant, volontiers charmeur et bon vivant. Sur les foires et les marchés, il sait serrer les mains de ses concitoyens et promettre d’user discrètement de son influence. En compagnie de ses pairs, les notables, il est un client assidu des bons restaurants de la région. Il est également à Morlaix membre d’une sorte de club, le Cercle des arts, où se retrouvent notamment des notaires, des chefs d’entreprises, des pharmaciens et des médecins. En 1922, Quéméneur rencontre Guillaume Seznec, qui projette de remettre en activité la scierie de Traon-ar-Velin à Morlaix qu'il a acquise quelques années auparavant. Il ignore tout des dettes de son associé et des poursuites dont il est l'objet. Même si Quéméneur est négociant en bois, les deux hommes discutent du stock de couvertures de l'armée américaines que Seznec a acquis et entreposé durant la Première Guerre mondiale et qu'il compte revendre avec de substantiels bénéfices. Selon Denis Seznec, petit-fils de Guillaume, tous deux sympathisent vite car bien que l'un soit riche et l'autre très endetté, ils ont un point commun : ils se sont faits eux-mêmes, à partir d'une origine paysanne.

Au-delà de leurs rapports commerciaux, une certaine amitié serait née. Seznec aurait été épaté par la faconde et l’entregent de Quéméneur, qui lui-même aurait apprécié Seznec pour son sérieux et sa retenue. Seznec se serait même engagé à acheter la propriété de Traou-Nez à Quéméneur : les deux hommes auraient signé une promesse de vente. Ce document, tapé à la machine à écrire Royal-10, sera retrouvé un mois après la disparition de Quéméneur par un employé de la gare du Havre, dans une valise contenant des papiers au nom de ce dernier. Il stipule un prix de vente de 35 000 francs de l'époque, somme modique sans rapport avec le prix du bien estimé à 100 000 francs. L'enquête établira qu'il s'agit d'un faux tapé par Seznec, fait toujours contesté par les partisans de son innocence absolue. Toujours selon la légende construite par sa postérité, les qualités de Seznec, si elles lui servent à gagner l’estime de Quéméneur, le desserviront plus tard quand le drame surviendra. Il ne parlera que tardivement des affaires un peu particulières qu'il prête au conseiller général. On en déduira qu’il dissimule des faits à la justice. Ce que les faits confirmeront très vite. Quéméneur, donc, fréquente les Seznec. Un certain jour, l'un d'eux propose une nouvelle affaire : une affaire de revente de véhicules d’occasion de fabrication américaine, en particulier des camions et des limousines de marque Cadillac (stocks issus de la Première Guerre mondiale que l'administration française expose sur le Champ de Mars à Paris et qu'elle brade à prix cassés) à des représentants de l'Union soviétique qui manquent de moyens de transport. Quéméneur, selon les dires de Seznec, a rendez-vous, le 26 mai à 8 heures, avec un certain « Sherdly » ou « Chardy », un Américain demeurant boulevard Malesherbes, pour traiter une commande de cent voitures.

C'est dans la nuit du 25 au 26 mai 1923, durant le voyage à destination de la capitale effectué par les deux hommes, que Quéméneur disparaît sans laisser de trace. C'est alors le début de l'affaire Seznec : Guillaume Seznec est probablement la dernière personne à avoir vu son associé vivant, et il a alors essayé d'accaparer sa propriété. Il est vite suspecté de l'avoir assassiné et inculpé. Le 24 mai 1923, à dix heures et demie, Seznec, maître de scierie à Morlaix et passionné de mécanique, part de chez lui à bord d'une voiture de marque Cadillac. Le même jour, Pierre Quéméneur, négociant en bois, domicilié à Landerneau, conseiller général du Finistère, prend le train à 8 h 44. Les deux hommes ont prévu de se retrouver à 14 h 30 à l’hôtel Parisien à Rennes et de reprendre la route en Cadillac pour Paris, cette voiture devant servir de première transaction au contrat de vente à grande échelle des véhicules Cadillac. Le voyage prend énormément de retard, en raison de pannes répétées de la Cadillac. Seznec n'arrive à Rennes qu'à 19 heures trente. Pendant son attente, Quéméneur télégraphie à son beau-frère clerc de notaire à Châteaulin, Jean Pouliquen, pour lui réclamer le remboursement de 160 000 francs qu'il lui a prêtés pour ouvrir son étude de notaire à Pont-L'Abbé. Ce dernier lui expédie un chèque de 60 000 francs en poste restante sous forme de recommandé à Paris, dans un bureau du boulevard Malesherbes. Le vendredi 25 mai 1923, à cinq heures du matin, les deux hommes repartent mais pannes et crevaisons se succèdent. Pour ne pas manquer le rendez-vous, Quéméneur aurait décidé de rejoindre la capitale par le train, à la gare de Houdan ou de Dreux, Seznec restant flou sur ce sujet.

Quéméneur, qui a indiqué à sa famille qu'il serait de retour le 28 mai, disparaît sans laisser de traces. De son côté, Seznec qui, selon ses dires, a décidé de revenir faire réparer la Cadillac à Morlaix, y parvient le 27 mai au soir, sans Pierre Quéméneur. À partir du 4 juin, plusieurs membres de la famille Quéméneur s'inquiètent et contactent Seznec pour lui demander des nouvelles. Il leur répond que, à la suite d'une panne de voiture, il a laissé Quéméneur à la gare de Dreux, où celui-ci a pris le train pour Paris. Il affirme n'avoir eu depuis aucune nouvelle de lui et ajoute « qu’il doit gagner beaucoup d’argent et que, peut-être, il a dû aller jusqu’en Amérique ». Le 10 juin, Jean Pouliquen et Louis Quéméneur, respectivement beau-frère et frère de la victime, accompagnés de Seznec, signalent la disparition de Quéméneur à la 13e brigade de police mobile de Rennes. Le 13 juin, un télégramme signé Quéméneur est envoyé du Havre, principal port de départ vers l'Amérique avec le texte suivant : « Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours tout va pour le mieux - Quéméneur ». La famille de Quéméneur, rassurée, demande dans un premier temps l'arrêt de l'instruction, mais se ravise le 16 juin, compte-tenu de l'authenticité douteuse du télégramme. Le 20 juin, un employé de la gare du Havre, découvre une valise à la serrure fracturée (elle semble avoir séjourné dans l'eau de mer et présente des taches de sang) contenant du linge et une serviette en cuir où l'on trouve le portefeuille et des papiers au nom de Quéméneur. La famille de Quéméneur est informée.

Le 22 juin, une instruction pour disparition suspecte est ouverte à Brest. Dans le cadre de cette instruction, la valise est saisie. Elle contient notamment une promesse de vente tapée à la machine à écrire Royal-10 (ce qui à l'époque est rare) d'une propriété située à Traou-Nez sur la commune de Plourivo près de Paimpol, appartenant à Quéméneur, au bénéfice de Seznec, pour une somme modique de 35 000 francs de l'époque sans rapport avec le prix du bien estimé à 100 000 francs. La valise contient également un carnet où sont notées des dépenses de 11,40 francs et 31,70 francs pour des billets de train Dreux-Paris et Paris-Le Havre20, tendant à prouver que Quéméneur aurait quitté Seznec bien vivant à Dreux et, de là, pris un train pour Paris. Mais le prix indiqué pour le trajet Dreux-Paris est erroné, ce qui fait douter les enquêteurs du fait que les notes soient effectivement de la main de Quéméneur. Le 26 juin, Seznec est entendu par les gendarmes. Il affirme avoir quitté Quéméneur à Dreux le 25 mai au soir pour qu'il prenne le train, à la suite des pannes rencontrées par leur automobile. Il explique que la promesse de vente trouvée dans la valise a été rédigée par Quéméneur et lui a été consentie contre la remise de 4 040 dollars-or que lui et son épouse possédaient, les 35 000 francs ne représentant que le solde du prix de vente — ce qui porte le montant total de la transaction à 95 000 francs. Cette remise aurait eu lieu sans témoin. Selon Seznec, Quéméneur aurait eu besoin de liquidités pour traiter l'affaire des Cadillac qui l'appelait à Paris ; Seznec dit alors ne pas en savoir plus, et que, dans l'affaire, son rôle s'est limité à recevoir pour Quéméneur des courriers portant le timbre de la chambre de commerce américaine de Paris. Seznec indique que, après avoir laissé Quéméneur à Dreux, il est rentré à Morlaix avec la voiture pour la faire réparer par le chauffeur de son camion, M. Sanson.

Affaire Seznec
Affaire Seznec

Seznec est de nouveau entendu le 28 juin 1923, au siège parisien du contrôle général des services de recherches judiciaires, par le commissaire Achille Vidal. Il confirme ses premières déclarations et fournit davantage de précisions sur les pannes de la voiture qui ont conduit Quéméneur et Seznec à se séparer à la gare de Dreux. Dès le 29 juin, l'instruction met en doute la version de Seznec selon laquelle les deux hommes se seraient séparés à Dreux. En effet, huit témoins ont vu Seznec et Quéméneur ensemble à Houdan, à 60 km de Paris. Il apparaît que Quéméneur n'a pas davantage pris le train à Houdan ce soir-là, dans la mesure où quatre témoins affirment les avoir vus quitter ensemble les abords de la gare dans leur automobile, après s’être renseignés sur la direction de la route de Paris, à une heure où le dernier train était déjà parti. Par ailleurs, un témoin dit avoir vu Seznec seul au volant de sa voiture, au petit matin du jour suivant, à La Queue-les-Yvelines, à 15 km d'Houdan sur la route de Paris. Ce témoin lui a vendu de l'essence pour sa voiture en panne. Seznec reconnait ce fait. Le 30 juin, des réquisitions sur les chefs d'assassinat et de faux en écriture privée sont prises contre Seznec.

Le 4 juillet, l'instruction révèle, par le recueil de cinq témoignages, que Seznec se trouvait au Havre le 13 juin, jour où fut expédié depuis cette ville le télégramme signé Quéméneur. Le témoignage d'un commerçant et de ses deux employées atteste en outre que Seznec, sous le nom d’emprunt de Ferbour, a fait l’acquisition d’une machine à écrire Royal-10 d’occasion, dans un commerce voisin du bureau de poste où fut déposé le télégramme. Seznec déclare de son côté ne jamais avoir été au Havre, et l’individu décrit par un témoin aurait les mains velues, or celles de Seznec ont été brûlées dans un incendie. L'épouse de Seznec confirme que son mari a quitté son domicile le 12 juin en voiture. Le soir du 13 juin, deux témoins ont vu Seznec gare Montparnasse, à Paris, muni d'un colis volumineux et pesant, qui pourrait être la machine à écrire. Le 14 juin, Seznec est de retour à Plouaret, où une veuve et son fils l'ont vu prendre son camion. Le 14 juin au petit matin, il aurait récupéré sa voiture à Plouaret dans l'heure qui a suivi l'arrivée du train où il aurait été vu la veille. Le 6 juillet, lors de la 3e perquisition, menée cette fois non plus au domicile proprement dit de Seznec, mais dans un proche bâtiment abritant la machinerie de la scierie, la police de Rennes découvre la machine à écrire identifiée comme étant celle vendue par le commerçant havrais. Contrairement à une idée reçue, l'inspecteur Pierre Bonny ne participe pas à cette perquisition qui fut, selon le procès-verbal, confiée à une autre équipe. Bonny, qui intervient à plusieurs reprises dans l'enquête, est chargé de la transporter à Paris afin qu'elle soit expertisée.

La présence de Pierre Bonny dans ce dossier revêt une importance particulière du fait de ses fonctions – secrétaire-greffier du commissaire Achille Vidal, chargé de l'affaire Seznec, il était "chargé d’écrire, sous la dictée de son patron, les procès-verbaux dont ce dernier était le rédacteur légal" et de procéder à des vérifications –, de sa réputation d' "exécuteur supposé des basses œuvres du régime", de son exclusion de la police en 1935 pour une affaire de corruption dans l'affaire Stavisky, puis de son rôle dans la Gestapo française en tant qu'adjoint d'Henri Lafont. Deux expertises demandées lors de l'instruction concluent d'une part que la machine a bien servi à rédiger la promesses de vente liant Seznec et Quéméneur et d'autre part que les mentions manuscrites prétendument écrites par Quéméneur ne sont en réalité pas de sa main. La signature de Seznec est authentifiée. Les experts concluent que Seznec est l'auteur des faux. Enfin deux témoins, Auguste Deknuydt et Jean Lesbats, affirment avoir vu Seznec muni d'une valise, en gare du Havre, le jour où a été trouvée la valise de Quéméneur, et à proximité du hall de gare où elle a été retrouvée. Le procès se tient à Quimper. Les débats durent huit jours, du 24 octobre au 4 novembre 1924. 148 personnes, témoins, experts et policiers, sont entendus.

Le jury, qui à l'époque statue séparément, déclare l'accusé coupable du meurtre de Pierre Quéméneur et de faux en écriture privée. Il ne retient pas en revanche les circonstances aggravantes de préméditation ni de guet-apens. Sur cette déclaration, la cour d’assises du Finistère, par arrêt du 4 novembre 1924, condamne l’accusé aux travaux forcés à perpétuité. Son pourvoi est rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 8 janvier 1925. Durant tout son procès et pendant les années qui lui restent à vivre, Seznec ne cessa de clamer son innocence. Sa femme Marie-Jeanne et ses descendants, notamment sa fille Jeanne et son petit-fils Denis Le Her-Seznec, ont régulièrement sollicité la justice pour rouvrir le dossier, afin d'obtenir sa réhabilitation. Le 6 avril 1926, son épouse dépose une première requête en révision, en mettant en avant le fait que Boudjema Gherdi, commerçant de pièces détachées de voitures américaines, existait bel et bien, et n'était pas une invention pure et simple émanant de Seznec. La commission reconnaît le caractère de « fait nouveau » de cet élément, mais l'intéressé nie alors avoir traité avec Guillaume Seznec ; le 7 décembre suivant, la requête en révision est rejetée. Le 9 avril 1935, rejet d'une autre requête en révision s'appuyant sur le non-dépôt des actes de vente de la propriété de Plourivo au greffe. Le 22 juin 1948, un an après le retour de Seznec du bagne, une requête en révision est déposée par Me Raymond Hubert. Le 4 mars 1949, le procureur général du Tribunal de Grande Instance de Quimper, rend un rapport négatif. Le ministre de la Justice André Marie transmet la requête à la Commission en révision des procès criminels et correctionnels. Le 7 juillet, la Commission rejette la requête, rejet notifié à Guillaume Seznec le 11.

Deux autres requêtes en révision sont déposées en 1951 et 1956, toutes deux rejetées. Le 9 juin 1977, Me Denis Langlois dépose pour Jeanne Seznec une huitième demande en révision. Après notamment plusieurs expertises en écriture, elle sera finalement rejetée le 28 juin 1996. Afin de soutenir cette action, Denis Seznec, le petit-fils de Guillaume Seznec, ses proches et ses sympathisants fondent à Paris en 1995 France Justice, association sous la loi de 1901. Cette association est membre du Comité français des organisations non gouvernementales (ONG) auprès de l'ONU. La loi du 23 juin 1989, votée à l'unanimité au Parlement, modifie la procédure de révision des cas jugés en assises. Elle permet la révision d'un procès à la suite de la découverte d'un fait nouveau non plus « de nature à établir l'innocence d'un condamné », mais seulement « de nature à faire naître un doute sur sa culpabilité ». La procédure de révision n'aboutit que rarement à l'annulation d'un jugement : si chaque année, entre 130 et 150 condamnations font l'objet d'un recours auprès de la Cour de révision, seule une condamnation sur cent, en moyenne, est annulée. Huit demandes de réhabilitation ont été examinées par la justice, toutes rejetées, lorsque la ministre de la Justice, Marilyse Lebranchu, demande en 2001 la révision du procès. La commission de révision des condamnations pénales a accepté, le 11 avril 2005, de rouvrir le dossier de la condamnation pour meurtre de Guillaume Seznec. Cette décision pouvait ouvrir la voie à une éventuelle annulation de la condamnation prononcée en 1924 à son encontre. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, statuant comme cour de révision, a examiné ce dossier le 5 octobre 2006.

Lors de cette audience, le bénéfice du doute au profit de Guillaume Seznec a été demandé en évoquant plus particulièrement la possibilité d'une machination policière de l'inspecteur stagiaire Pierre Bonny (révoqué en 1935 de la police française pour fautes graves, condamné pour corruption, puis adjoint plus tard de Henri Lafont, le chef de la Gestapo française) dont le supérieur hiérarchique, le commissaire Vidal, fut chargé de l'enquête. De son côté, le conseiller rapporteur Jean-Louis Castagnède a soutenu l'opinion inverse, arguant d'une part que cette manipulation lui semblait improbable en raison du faible nombre d'actes établis par Bonny (5 sur 500) et, d'autre part, que les expertises sollicitées par la Cour de cassation avaient établi que Guillaume Seznec était bien l'auteur de la fausse promesse de vente de la propriété de Quéméneur sise à Plourivo. Le 14 décembre 2006, la demande en révision de la condamnation de Seznec a été rejetée par la Cour de révision qui a estimé qu'il n'y avait aucun élément nouveau susceptible de faire naître le doute sur la culpabilité de Guillaume Seznec, constatant que l'existence d'une machination policière telle qu'alléguée était matériellement impossible et que la participation de l'inspecteur Bonny à une machination policière n'avait pas été prouvée. Cette affaire semble close, une nouvelle demande de révision étant problématique. La famille Seznec avait dans un premier temps manifesté l'intention de saisir la Cour européenne des droits de l'homme, mais sur les conseils de ses avocats, elle y a renoncé.

Une nouvelle loi sur les procédures de révision a été votée le 20 juin 2014. Elle permet notamment aux petits-enfants et arrière-petits-enfants de condamnés décédés de présenter une demande en révision. Le 19 décembre 2014, sur la radio RTL, Denis Seznec a fait savoir qu'en s'appuyant sur cette nouvelle loi, il comptait déposer, le 20 janvier 2015, une dixième demande en révision, ce qu'il n'a pas fait, sans donner de raison. De son côté, Me Denis Langlois, ancien défenseur de la famille Seznec durant 15 ans, à présent avocat honoraire, publie le 12 février 2015 un livre, Pour en finir avec l'affaire Seznec. Il y fait état du témoignage non révélé jusque-là de l'un des fils de Guillaume Seznec, dit « Petit-Guillaume », selon lequel Pierre Quéméneur serait mort le dimanche 27 mai 1923 au domicile des Seznec : l'épouse de Guillaume Seznec, Marie-Jeanne, aurait repoussé ses avances, provoquant une chute fatale de Quéméneur, et ce avant le retour de Guillaume. Selon Langlois, après cette mort accidentelle, le corps aurait été dissimulé et Guillaume aurait inventé des faux pour récupérer des fonds investis. Il conclut que cette révélation devrait conduire à la « révision « au bénéfice du doute » de la condamnation de Guillaume Seznec pour meurtre. Il souligne enfin à cet égard l'opposition de longue date entre deux approches concurrentes de la révision : la sienne, qui admet la culpabilité de Guillaume Seznec quant à la fausse promesse de vente mais rejette celle pour meurtre au bénéfice du doute, et celle de Denis Seznec, tenant de l'innocence intégrale de son grand-père, qui aurait été entièrement victime d'une machination.

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