Le pou, métaphore ou lapsus de l'antisémite ?
L'animalisation est un procédé fréquent dans le discours antisémite. Explications.
Le dossier publié cette semaine par Le Point met en avant le livre publié au Seuil par Florent Brayard, Auschwitz, enquête sur un complot nazi. Une des qualités de cet ouvrage est d'analyser avec précision les divers discours prononcés par Heinrich Himmler au cours de la guerre. L'un d'entre eux a retenu notre attention. Il est dit par le chef des SS le 24 avril 1943 devant les hauts responsables de la SS à Kharkov, en Ukraine : "Il en va de l'antisémitisme comme de l'épouillage. Détruire les poux ne relève pas d'une conception du monde. C'est une question de propreté. De la même manière exactement, l'antisémitisme n'a pas été pour nous une question de conception du monde, mais nous n'aurons bientôt plus de poux. Nous n'avons plus que 20 000 poux et, après, toute l'Allemagne en sera débarrassée."
À plusieurs reprises, Himmler file la métaphore du "pou" pour désigner les juifs. Animalisation fréquente dans le discours antisémite que l'on retrouva également dans un documentaire commandité par Goebbels, responsable de la propagande, qui alterne la vision d'un groupe de juifs avec un plan montrant des rats. Mais cette récurrence du "pou" a bien entendu réveillé en nous les déclarations abominables de Louis Darquier de Pellepoix, ancien commissaire aux Affaires juives entre 1942 et 1944, lorsqu'elles furent retrouvées par L'Express : "Je vais vous dire, moi, ce qui s'est passé exactement à Auschwitz. On a gazé. Oui, c'est vrai. Mais on n'a gazé que des poux."
"À Auschwitz, on n'a gazé que des juifs"
Personne n'a oublié cette phrase mise en couverture de L'Express du 28 octobre 1978 qui avait à l'époque provoqué un scandale considérable. Mais l'avait-on bien comprise ? Le journaliste avait alors demandé à Darquier de préciser et l'antisémite avait ajouté : "Je veux dire que lorsque les juifs sont arrivés au camp on les a fait déshabiller, comme il est normal, avant de les conduire à la douche. Pendant ce temps-là, on désinfectait leurs vêtements."
En 1978 et depuis, cette phrase-choc fut donc interprétée comme un déni pur et simple de la Shoah. Mais fidèle à la phraséologie et à l'idéologie nazies, qui assimilait les juifs à des poux, Darquier avouait, consciemment ou non, comme dans un lapsus, la réalité de la Shoah. Il fallait donc lire aussi : "À Auschwitz, on n'a gazé que des juifs." Mais cette assimilation, à une époque où les discours d'Himmler étaient encore peu connus, était impossible pour le lecteur. Elle permet aujourd'hui de mieux comprendre cette phrase révisionniste, qui marqua la France et le réveil de la mémoire juive.