Procès d'Oskar Gröning : "le comptable d'Auschwitz" demande pardon. Un acte historique

Publié le par Le Nouvel Observateur par Marie-Pierre Samitier Écrivaine

Procès d'Oskar Gröning : "le comptable d'Auschwitz" demande pardon. Un acte historique

LE PLUS. 70 ans après la libération des camps de concentration, l'ancien chef de section SS Oskar Gröning est jugé en Allemagne. "Le comptable d'Auschwitz" a demandé "pardon" aux victimes de l'Holocauste. Un acte rare qui marque l'histoire de l’Allemagne post-nazie, estime Marie-Pierre Samitier, auteur de "Bourreaux et survivants : faut-il tout pardonner ?" (Lemieux éditeur).

Oskar Gröning jeune, pendant la Seconde Guerre mondiale

Oskar Gröning jeune, pendant la Seconde Guerre mondiale

L’événement marquera l’histoire de l’Allemagne post-nazie : l’ex-comptable d’Auschwitz Oskar Gröning a demandé pardon aux victimes le l’Holocauste le 21 avril à l’ouverture de son procès en Allemagne.

Le grand pardon 

Les anciens nazis n’ont jamais demandé pardon jusque là, hormis de rares exceptions. J’en fais état dans mon livre paru ce mois-ci intitulé "Bourreaux et survivants : faut-il tout pardonner ?". Le véritable pardon passe par la demande faite par le bourreau à la victime. Or pendant des décennies, il n’a jamais été question pour les Nazis d’exprimer la moindre repentance. Il en a été ainsi des plus hauts responsables de la machine SS tels les prisonniers de Spandau qui comptaient parmi eux Rudolf Hess. Aucun n’a voulu proférer le moindre regret quant aux actes commis pendant l’extermination programmée des Juifs lors de la IIème Guerre Mondiale.

L’événement a lieu dans le cadre d’un virage, certes tardif mais néanmoins bien réel, dans l’attitude des tribunaux allemands. Un revirement de jurisprudence a créé un précédent en 2011 avec le procès de Ivan Demjanjuk.

En effet, pendant des décennies, les magistrats outre-Rhin ont refusé de statuer sur le sort d’anciens nazis, par principe, sauf si leur responsabilité individuelle ou la complicité d’assassinat pouvait être prouvée par des documents ou des témoignages irréfutables. Je précise bien : lorsqu’il a été prouvé qu’ils ont bien contribué à l’assassinat et non qu’ils ont " exécuté" les crimes hitlériens.

Ce principe, soutenu par la Cour fédérale de justice, a permis ainsi aux anciens nazis de vivre sans être inquiétés, les preuves et témoignages ayant été jugés trop légers ou imprécis.

Complice mais pas tueur

Demjanjuk, un apatride d’origine ukrainienne, a été condamné il y a quatre ans à cinq ans de prison pour complicité dans l’extermination de plus de 28 000 juifs sans preuve d’actes criminels, alléguant que sa qualité de gardien du camp de Sobibor était suffisante pour établir sa responsabilité. Le tribunal a conclu qu'il avait bien été gardien, et qu'il était donc complice des meurtres commis alors qu'il avait été présent dans le camp, bien qu'il n'y ait ni documents ni témoins.

C’était la première fois qu’un garde était alors condamné pour "crime de guerre sans pour autant pouvoir prouver qu’il a participé à une tuerie". Cette condamnation a créé un précédent qui n’est pas soumis aux aléas du temps : les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. C’est là une dynamique tardive qui illustre une volonté des institutions allemandes désormais acquise d’agir malgré le temps écoulé.

Oskar Gröning, 93 ans, est accusé par le ministère public de complicité dans l'extermination de 300 000 personnes bien qu'il n’ait semble-t-il jamais tué lui-même un détenu au cours de sa présence dans le camp.

Engagé volontaire à l’âge de 19 ans dans les Waffen-SS en octobre 1940, il est affecté à Auschwitz entre 1942 et 1944. Au cours de l’audience, il a demandé que soit différencié son travail de celui des gardiens directement impliqués dans l'extermination, assurant que sa tâche consistait notamment à "éviter les vols" dans les bagages des déportés.

"C'est un meurtrier" 

Son travail à Auschwitz consistait dans la collecte des effets personnels des déportés après leur arrivée. Il prenait part ainsi au processus de sélection de ceux qui étaient immédiatement envoyés dans les chambres à gaz. Il était également chargé de la récupération des billets de banque qui pouvaient s'y trouver et de leur envoi aux bureaux des SS à Berlin où cet argent finançait l'effort de guerre nazi . Il ne s’est d’ailleurs pas caché d’avoir été actif dans le mouvement, mais il a affirmé n'avoir "rien eu à voir" avec le processus de mise à mort.

Le vieil homme a par ailleurs insisté sur ses trois demandes de transfert au front, infructueuses, pour témoigner de ses tentatives de quitter le camp, "choqué" par les scènes auxquelles il avait assisté. Il a rappelé que juste après son arrivée, en novembre 1942, il avait vu un gardien tuer un bébé laissé seul "en pleurs" sur la rampe d'arrivée, en le saisissant par les pieds pour l'écraser contre le flanc d'un wagon.

Son supérieur avait admis que "cet événement n'était pas particulièrement acceptable" mais il avait refusé d’accéder à sa demande de départ du camp, l’estimant "impossible". Trois semaines plus tard, patrouillant dans le camp après plusieurs évasions, il avait entendu des cris "de plus en plus forts et désespérés, avant de s'éteindre" dans les chambres à gaz, puis avait assisté à la crémation des corps.

Gröning encourt trois à 15 ans de prison. 77 rescapés et descendants de victimes assistent à ce procès qui doit se tenir jusque fin juillet en Allemagne. Parmi eux, Eva Kor, 81 ans, une survivante d'Auschwitz venue des Etats-Unis pour assister à l’audience, a perdu ses parents et deux sœurs dans le camp. Elle dit aujourd’hui considérer Gröning comme un "meurtrier" pour sa participation à "un système de meurtres de masse", elle ajoute apprécier  ses efforts. Pour la première fois, dans le cadre d’un procès exemplaire auquel assiste toute la presse internationale en Allemagne, un homme demande pardon.

Publié dans Articles de Presse

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