Affaire Grégory : le juge Lambert s'est donné la mort
Le magistrat controversé qui avait instruit le dossier entre 1984 et 1986 se serait donné la mort mardi soir à son domicile du Mans (Sarthe), à l'âge de 65 ans. Il n'a laissé aucune lettre expliquant son geste.
Un nouveau dramedans cette affaire maudite. Comme nous l'annoncions, le juge Jean- Michel Lambert, célèbre pour avoir piloté l'enquête sur l'assassinat du petit Grégory, est décédé ce mardi soir à son domicile du Mans (Sarthe). De sources concordantes, on indique que sa mort serait consécutive à un suicide. Une voisine, alertée par l'épouse de l'ex-magistrat qui, depuis la veille, n'avait plus de nouvelle, a découvert le corps et prévenu la police à 19 h 11. Jean-Michel Lambert a été retrouvé dans son bureau avec un sac plastique noué sur la tête à l'aide d'un foulard. Il était âgé de 65 ans et père de trois enfants. Selon nos informations, aucun courrier n'a été retrouvé par les enquêteurs chargés d'élucider les circonstances de sa mort.
Il n’y aura pas d’autopsie ce mercredi, car aucun juge d’instruction n’a encore été nommé. Cette désignation devrait se faire dans les heures à venir.
Ce décès brutal, qui intervient alors que l'affaire vient d'être relancée, ajoute encore une dimension tragique à ce dossier déjà encombré par les morts prématurées. Celle — originelle — de Grégory bien sûr, retrouvé pieds et mains liés dans les eaux froides de la Vologne (Vosges) le 16 octobre 1984. Celle de Bernard Laroche ensuite, abattu en mars 1985 par le père de l'enfant, persuadé ainsi d'éliminer l'assassin de son fils chéri. Et donc, enfin, celle du « petit juge Lambert », qui avait hérité de ce sobriquet peu reluisant pour sa conduite chaotique des investigations. A croire que la malédiction de la Vologne ne cessera jamais. Plus de trente-deux ans après les faits, l'affaire Grégory continue à broyer les hommes.
Repères
- Octobre 1984, Jean-Michel Lambert, juge à Epinal (Vosges), est chargé de l'instruction après l'assassinat du petit Grégory. Il a 32 ans, c'est son premier poste. Il inculpe successivement Bernard Laroche puis Christine Villemin.
- 1986 : il est dessaisi de l'affaire au profit du juge Simon.
- 1987 : il prend une année sabbatique et publie un livre, « le Petit Juge ».
- 1988 : il devient juge d'instance à Bourg-en-Bresse (Ain) jusqu'en 2003.
- 2003-2014 : Il est vice-président du TGI du Mans (Sarthe) jusqu'à son départ à la retraite en septembre.
- 2014 : Il publie «De combien d'injustices suis-je coupable ?».
Le juge Lambert tient un rôle à part dans ce carnage judiciaire. Il a 32 ans lorsqu'il hérite de cette affaire qui passionnera la France entière. Epinal est son premier poste. Ses formateurs à l'école de la magistrature n'avaient pas décelé chez lui les qualités d'un juge d'instruction, mais le voilà pourtant à la tête d'un cabinet qui croule sous les dossiers. Grégory aurait pu être son fait d'armes. Ce sera son fardeau. Sa croix. Et désormais son tombeau.
Le visage de l'échec
Le magistrat avait été critiqué de toutes parts pour sa gestion chaotique des investigations. On l'accusait de ne pas avoir su gérer son témoin clé (Murielle Bolle), de ne pas avoir su protéger son premier inculpé, Bernard Laroche, et d'avoir cru à la folle hypothèse de l'infanticide. On le disait influençable et mauvais procédurier. Pour de nombreux acteurs du dossier, son nom était indissociablement relié au fiasco de cette affaire, toujours non résolue aujourd'hui. C'était peut-être cruel, sans doute excessif, mais il était devenu le visage de l'échec. En 1986, il est dessaisi de l'enquête au profit du juge Simon.
Ce poids, Jean-Michel Lambert avait pourtant réussi à le porter. Après une année sabbatique, il était revenu dans la magistrature. De 1988 à 2003, il a été juge d'instance à Bourg-en-Bresse (Ain) puis, jusqu'en 2014, vice-président du tribunal de grande instance du Mans (Sarthe) où il résidait encore depuis son départ à la retraite il y a trois ans. Il s'était reconverti dans l'écriture.
Pensées suicidaires
Son décès intervient alors que l'enquête vient de connaître une brutale accélération avec les récentes mises en examen des époux Jacob, le grand-oncle et la grand-tante de Grégory, et de Murielle Bolle. Le juge Lambert suivait évidemment avec beaucoup d'attention ces derniers développements. Mardi soir, Me Jean-Paul Teissonnière, l'avocat de Murielle Bolle, expliquait avoir eu « le projet de le faire citer comme témoin » pour disculper sa cliente.
A « Libération » en 2014, le magistrat avait fait part de ses tourments, avouant avoir pensé au suicide « par flashs ». « J'avais repéré l'endroit où ça se passerait », confiait-il. Mais à l'époque, il croyait encore à la vie. Jean-Michel Lambert s'est éteint hier. L'affaire Grégory se poursuit.
Le juge Lambert en octobre 1985, un an après la découverte du corps de Grégory, lors d'une reconstitution. AFP/Patrick Hertzog
Affaire Grégory Villemin : 33 ans de rebondissements judiciaires
Grégory Villemin enlevé et assassiné
16/10/1984
Le mardi 16 octobre 1984 vers 17h, le petit Grégory Villemin, 4 ans, est enlevé devant la maison de ses parents à Lépanges-sur-Vologne (Vosges). Une demi-heure plus tard, l'oncle de l'enfant reçoit l'appel d'un mystérieux «corbeau» qui lui dit : «Je me suis vengé, j'ai pris l'enfant». Peu après 21 heures, le corps de Grégory est découvert, pieds et poings liés, dans la Vologne, à 6 km du domicile familial.
Les parents de Grégory reçoivent une lettre du corbeau
17/10/1984
Une lettre anonyme parvient aux parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin : «Ton fils est mort. Je me suis vengé». Cela faisait en réalité plus de quatre ans que ce mystérieux corbeau menaçait la famille Villemin. Les gendarmes se lancent à sa recherche.
Bernard Laroche incuplé et écroué
05/11/1984
Bernard Laroche, cousin de Jean-Marie Villemin, est inculpé d'assassinat et écroué, après le témoignage accablant de sa belle-soeur, l'adolescente Murielle Bolle. Murielle affirme avoir été avec lui chercher Grégory en voiture, puis l'avoir vu partir avec le garçon aux bords de la Vologne et «revenir seul».
Bernard Laroche libéré puis assasiné
Février-Mars 1985
Bernard Laroche est remis en liberté, le 2 février 1985, après que sa belle-sœur, Murielle Bolle, est revenue sur son témoignage. Le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, annonce qu'il a l'intention de tuer son cousin, ce qu'il fait un mois et demi plus tard, le 29 mars, quand il l'abat d'un coup de fusil devant son domicile. Il est écroué.
La mère de Grégory inculpée à son tour
juillet 1985
Christine Villemin est désignée à son tour comme possible «corbeau» par des graphologues. Des cordelettes identiques à celles ayant servi à ficeler l'enfant sont trouvées dans sa cave, et plusieurs témoins indiquent l'avoir vue à La Poste le jour du meurtre. Elle est inculpée par le juge, Jean-Michel Lambert, et écrouée. Elle est libérée une dizaine de jours plus tard, le 16 juillet, faute de charges suffisantes.
Le juge Lambert déssaisi
23/04/1986
Le juge Jean-Michel Lambert est déssaisi de l'enquête sur l'assassinat de Grégory. Quelques mois plus tôt, les parents de l'enfants avaient écrit au président Mitterrand pour réclamer que le magistrat soit écarté, après plusieurs incidents dans le cours des investigations. Le 17 mars 1987, l'affaire est dépaysée à Dijon, sous la direction du juge d'instruction Maurice Simon.
Jean-Marie Villemin remis en liberté
24/12/1987
Après cinq demandes de mise en liberté et 33 mois de détention, Jean-Marie Villemin est remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le couple s'installe en Essonne.
Non-lieu pour Christine Villemin, procès pour son mari
1993
La mère de Grégory bénéficie d'un non-lieu pour «absence totale de charges», le 3 février 1993, après un renvoi aux assises. En novembre de la même année, Jean-Marie Villemin est condamné à cinq ans de prison, dont un avec sursis, pour le meurtre de Bernard Laroche. Il est libéré deux semaines plus tard, sa peine étant couverte par sa détention préventive entre mars 1985 et decembre 1987.
L'enquête sur le meurtre de Grégory rouverte
14/06/2000
Suite à la demande des parents Villemin, l'enquête est rouverte pour rechercher des empreintes ADN sur une lettre du «corbeau» de 1983. Les enquêteurs comptent sur les progrès technologiques pour identifier le corbeau grâce à la salive éventuellement laissée sur un timbre. Le 17 octobre, les experts déclarent que les traces retrouvées sont inexploitables. L'instruction est close le 11 avril 2011.
Marie-Ange Laroche indemnisée par l'Etat
mai 2002
L'Etat français est condamné à verser 63 000 euros à Marie-Ange Laroche, veuve de Bernard Laroche, ainsi qu'à sa belle-soeur Murielle Bolle. La cour d'appel de Versailles sanctionne notamment l'«inaptitude» de l'Etat «à remplir sa mission» et souligne un «manque total dans la maîtrise et dans la conduite de l'enquête et de l'instruction».
Les parents de Grégory indemnisés
30/06/2004
L'Etat est condamné à verser 35 000 euros à chacun des parents de Grégory pour dysfonctionnement de la justice. Dans la foulée, Jean-Marie Villemin demande sa réhabilitation, qui lui sera refusée en juillet 2007.
De nouvelles analyses ordonnées
09/07/2008
Saisi par les époux Villemin, le procureur général de Dijon demande la réouverture de l'instruction, pour une nouvelle recherche d'ADN sur le fameux timbre de la lettre du corbeau. Le 7 mai 2009, le laboratoire lyonnais Biomnis est désigné pour expertiser les scellés du petit Grégory et en «extraire les éventuelles empreintes génétiques». L'expertise montre la présence de deux traces d'ADN, qui ne correspondent pas à celui des époux Villemin. Quelques mois plus tard, les experts annoncent un nouvel échec : les scellés ont été trop manipulés et endommagés par les enquêteurs pour être exploitables.
L'enquête rouverte une troisième fois
20/10/2010
Les progrès de la technologie et l'insistance des époux Villemin, qui demandent une nouvelle analyse ADN, conduisent le procureur général de la cour d'appel de Dijon, à ordonner la réouverture de l'enquête. Il commande plusieurs analyses, notamment celle d'un cheveu retrouvé sur le pantalon de Grégory, celle du cœur des cordelettes et celle des enveloppes. Il demande aussi «la comparaison des enregistrements des voix du corbeau et les voix des différents protagonistes de l'affaire».
Les analyses ADN échouent encore
2012
Le 16 janvier 2012, le procureur explique qu'il «n'a pas été possible d'extraire d'ADN du nœud des cordelettes» et que l'ADN retrouvé sur le cheveu n'a donné aucun résultat probant. Les époux Villemin demandent des analyses complémentaires. Le 26 septembre 2012, deux nouvelles recherches de traces ADN sont effectuées sur les vêtements et chaussures de Grégory puis sur les cordelettes. Si une dizaine de profils sont isolés, aucun n'a été identifié.
Les époux Jacob placés en garde à vue
14/06/2017
Plus de 32 ans après les faits, Marcel et Jacqueline Jacob, grand-oncle et grand-tante de Grégory, âgés de 73 et 72 ans, sont placés en garde à vue, tout comme l'une des tantes par alliance de l'enfant, Ginette Villemon. Murielle Bolle et les grands-parents paternels de Grégory, Albert et Monique Villemin, née Jacob, sont entendus en audition libre.
Des analyses graphologiques
15/06/2017
Le procureur général de la cour d'appel de Dijon déclare que l'analyse graphologique de deux lettres de menaces de 1984 et de 1989 se sont révélées «confondantes» pour Jacqueline Jacob née Thuriaut, la grand-tante de Grégory, et pour Monique Villemin née Jacob, belle-sœur de Jacqueline et grand-mère de Grégory. Les gardés à vue invoquent leur droit au silence. «A ce stade, les investigations corroborées par l’analyse criminelle de la gendarmerie montrent que plusieurs personnes ont concouru à la réalisation du crime», déclare le procureur général, tout en soulignant que l'affaire n'est pas résolue.
Les époux Jacob mis en examen pour enlèvement et séquestration
16/06/2017
Marcel et Jacqueline Jacob, qui nient les faits, sont mis en examen pour «enlèvement et séquestration suivie de mort». Ils sont placés en détention provisoire. Ils sont remis en liberté le 21 juin sous contrôle judiciaire.
Murielle Bolle placée en garde à vue
28/06/2017
Murielle Bolle, belle-sœur de Bernard Laroche, est à son tour interpellée et placée en garde à vue. Elle est mise en examen le lendemain pour «enlèvement de mineur suivi de mort» et incarcérée. Les enquêteurs s'interrogent sur son rôle dans l'affaire et les pressions dont elle aurait fait l'objet de la part de sa famille après ses premières déclarations accusant Bernard Laroche. Ils s'appuient sur le témoignage d'un cousin germain de Murielle Bolle, qui affirme que la jeune fille de 15 ans au moment des faits a été violentée et menacée lors d'une réunion de famille pour qu'elle revienne sur ses premières déclarations. Maintenue en détention, Murielle Bolle entame une grève de la faim le 6 juillet 2017, qu'elle interrompt cinq jours plus tard.
Le corps du juge Lambert découvert
11/07/2017
Jean-Michel Lambert, le premier magistrat en charge de l'enquête, régulièrement mis en cause au cours de l'affaire pour sa gestion des investigations, est retrouvé mort à son domicile du Mans (Sarthe). Selon les premiers éléments de l'enquête, l'homme de 65 ans a été retrouvé dans son bureau avec un sac plastique noué sur la tête à l'aide d'un foulard. La thèse du suicide est privilégiée.
Grégory Villemin enlevé et assassiné
16/10/1984
Le mardi 16 octobre 1984 vers 17h, le petit Grégory Villemin, 4 ans, est enlevé devant la maison de ses parents à Lépanges-sur-Vologne (Vosges). Une demi-heure plus tard, l'oncle de l'enfant reçoit l'appel d'un mystérieux «corbeau» qui lui dit : «Je me suis vengé, j'ai pris l'enfant». Peu après 21 heures, le corps de Grégory est découvert, pieds et poings liés, dans la Vologne, à 6 km du domicile familial.