Affaire Grandclément : "Le traître, l’espion et le nazi"

Publié le par Dominique Richard

Affaire Grandclément : "Le traître, l’espion et le nazi"

Un livre se penche sur l’affaire Grandclément : l’exécution en juillet 1944 de l’ancien chef du plus important mouvement de Résistance du Sud-Ouest.

André Grandclément, Roger Landes et Friedrich Dhose Archives DR

André Grandclément, Roger Landes et Friedrich Dhose Archives DR

Le 27 juillet 1944, l’assureur bordelais André Grandclément, l’ancien responsable du principal mouvement de résistance du Sud-Ouest, était exécuté en Gironde par un commando dirigé par l’agent anglais Roger Landes. Arrêté un an plus tôt, il payait de sa vie le fait d’être devenu un intime du chef régional de la Gestapo, Friedrich Dhose, à qui il avait livré des dépôts d’armes en échange de la libération de ses hommes et de sa femme.

La psychologie de ces trois personnages a passionné l’ancien officier et diplomate britannique Paddy Ashdown, par ailleurs leader pendant onze ans du parti libéral démocrate. Avec l’aide de Sylvie Young, il a croisé les archives de part et d’autre de la Manche pour restituer dans une nouvelle enquête (« Game of Spies », Éditions William Collins) l’action trop souvent passée sous silence des services anglais en France pendant la guerre.

« Sud Ouest » : Pourquoi s’intéresser à l’affaire Grandclément, 73 ans après l’exécution sur ordre de Londres de celui qui avait été le chef de la Résistance dans le Sud-Ouest ?

Paddy Ashdown : Dans l’un de mes livres précédents, j’avais raconté l’histoire de ces commandos anglais qui avaient remonté l’estuaire de la Gironde en 1942 en kayak pour venir poser des mines sous des bateaux allemands dans le port de Bordeaux. Le fondateur d’un petit musée militaire de l’Essex avait facilité mes recherches. Un jour, un retraité l’a contacté pour lui proposer un carton de documents oubliés dans une maison mise en vente.

André Grandclément - Friedrich Dhose (à droite), en mai 1953, lors du procès de la Gestapo de Bordeaux
André Grandclément - Friedrich Dhose (à droite), en mai 1953, lors du procès de la Gestapo de Bordeaux

André Grandclément - Friedrich Dhose (à droite), en mai 1953, lors du procès de la Gestapo de Bordeaux

Ils parlaient de Bordeaux pendant la IIe Guerre Mondiale et la maison s’appelait « Aristide », le pseudonyme de Roger Landes. Je le connaissais. Je savais qu’il avait vécu dans la clandestinité à Bordeaux entre 1942 et 1944.C’était un agent du Spécial Opérations Exécutives, (SOE), le service secret britannique chargé d’appuyer les mouvements de résistance dans les pays occupés par les nazis. Il s’était retiré ici où il avait conservé ses archives personnelles.

En quoi l’affaire Grandclément sort-elle de l’ordinaire ?

C’est la rencontre de trois personnages, de trois caractères. Roger Landes, un agent britannique courageux et déterminé, Friedrich Dhose, le chef de la Gestapo bordelaise, un officier nazi singulier qui ne croyait pas à l’efficacité de la torture pour obtenir du renseignement et André Grandclément, un fils d’amiral, engagé dès 1941 dans la Résistance et porté à la tête de l’organisation civile et militaire dans le Sud-Ouest.

    "Il y a beaucoup d’interprétations, l’Histoire a été réécrite"

Au moment de son arrestation, ce réseau pouvait mobiliser plusieurs milliers de maquisards. J’ai voulu décrire la vie quotidienne de ces trois hommes pendant cette période en présentant les faits, simplement les faits et pas les opinions. Il y a eu beaucoup d’interprétations, beaucoup de choses de dites. L’histoire a été réécrite.

Pourquoi Grandclément a-t-il accepté de collaborer avec les nazis ?

Dans le courant de l’été 1943, les Allemands démantèlent le réseau Prosper, monté par le SOE à Paris, entraînant par ricochet la chute de Grandclément. Après 48 heures d’interrogatoire où il est bien traité, Dhose parvient à le retourner.

En échange de la libération de plusieurs dizaines de ses hommes qui étaient emprisonnés et pour sauver sa femme, Lucette, qui avait été elle aussi interpellée, il accepte de livrer l’emplacement de plusieurs dépôts d’armes. Ces stocks provenaient des parachutages anglais et ils avaient été constitués dans la perspective du débarquement.

Est-ce véritablement un traître? L’a-t-on accusé un peu vite et à tort d’avoir dénoncé des résistants ?

Ce n’est pas un traître au sens classique du mot. Il était patriote et il a toujours pensé agir pour le bien de la France. Dhose a su flatter cet homme orgueilleux et un peu arrogan, lui redonner un rôle en lui faisant croire qu’il existait entre eux une certaine complicité intellectuelle fondée sur leur anticommunisme.

Allemands et résistants devraient se retrouver côte à côte pour se battre contre les bolcheviques. Dhose l’a totalement instrumentalisé jusqu’à le convaincre de faire passer les maquis sous contrôle allemand. Grandclément organisant même une visite du camp de Lencouacq, dans les Landes.

Selon des historiens et d’anciens agents français du SOE, Churchill a sacrifié des réseaux en France pour intoxiquer les Allemands. N’est-ce pas ce qu’avait découvert André Grandclément, et qui pourrait expliquer son attitude ?

Des négligences, des imprudences sont à l’origine de cette vague d’arrestations. Les agents comme les officiers du SOE croyaient plausible l’hypothèse d’un débarquement en 1943.

Roger Landes - Paddy Ashdown et Sylvie Young
Roger Landes - Paddy Ashdown et Sylvie Young

Roger Landes - Paddy Ashdown et Sylvie Young

Si certains ont pu le dire lorsqu’ils ont été torturés par la Gestapo, ce n’était pas pour leurrer les Allemands. À la conférence de Casablanca en janvier 1943, Churchill et Roosevelt avaient décidé de repousser le débarquement au printemps 1944. Mais peu de gens étaient dans la confidence. En tout cas, le SOE ne le savait pas.

Une partie des archives du SOE aurait été détruite par un incendie après la fin de la guerre…

J’en suis convaincu. Le SOE a été dissous en 1946. Ses archives sont totalement ouvertes, à l’inverse de celles du MI6, le service de renseignement extérieur du Royaume-Uni, qui sont peut-être fermées pour l’éternité !

Pourquoi exécuter Grandclément, son épouse et son garde du corps le 27 juillet 1944 alors qu’ils ne représentaient plus aucun danger ?

Du fait de ses relations étroites avec Dhose, Grandclément avait créé un climat de suspicion. Bordeaux ressemblait à un nid de vipères. Il y avait des règlements de comptes. Je ne sais pas ce qui se serait passé s’il avait été jugé après la guerre. Mais replaçons-nous dans les conditions de l’époque. Roger Landes était un soldat.

À trois reprises, l’ordre d’assassinat était venu de Londres. Des Anglais et des gaullistes. Grandclément avait approché des résistants pour qu’ils l’aident à se rendre en Angleterre afin de se justifier auprès du général de Gaulle. En l’apprenant, il a compris qu’il pouvait devenir son prisonnier.

Grandclément emportait un porte-documents pour se justifier…

Roger Landes a toujours dit qu’il avait brûlé son contenu. Ce qui est sur c’est qu’il n’y avait pas d’argent à l’intérieur. Si certains se sont enrichis pendant la Résistance, ce n’est pas son cas. Jusqu’à sa mort en 2008, il a vécu modestement dans le plus parfait anonymat.

Le 17 septembre 1944, en apprenant sa présence à Bordeaux lors d’un déplacement, de Gaulle avait exigé son départ immédiat. Il ne voulait plus voir d’Anglais sur le sol national. Le rôle du SOE dans la Résistance a toujours été minimisé en France. L’histoire de Roger Landes en est le parfait exemple.

Publié dans Articles de Presse

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