Holocauste : quand le Premier ministre polonais parle d’«auteurs juifs» de la Shoah
Mateusz Morawiecki a également affirmé que la Pologne était le seul endroit « sur la planète » où des familles avaient été tuées pour avoir aidé des Juifs.
Mateusz Morawiecki, samedi 17 février, à la Conférence de Munich pour la sécurité. Reuters/Michaela Rehle
Des propos du Premier ministre polonais prononcés samedi en Allemagne provoquent de vives réactions. Mateusz Morawiecki a parlé d’« auteurs juifs » de la Shoah, les plaçant sur un pied d’égalité avec des « auteurs russes, ukrainiens » et allemands.
A l’occasion de la Conférence de Munich sur la sécurité, le Premier ministre polonais était interrogé par un journaliste israélien sur la récente loi qui punit ceux qui établiraient une responsabilité polonaise dans l’Holocauste. Ronen Bergman a demandé à Morawiecki ce qu’il risquait s’il racontait l’histoire de membres de sa famille déportés après avoir été dénoncés à la Gestapo par leurs voisins polonais durant la Seconde Guerre mondiale.
« Ce ne sera pas puni, ce ne sera pas considéré comme criminel que de dire qu’il y avait des auteurs polonais (du génocide juif), tout comme il y avait des auteurs juifs, des auteurs russes, ukrainiens, pas seulement allemands », a répondu, en anglais, le chef du gouvernement polonais (la vidéo est visible ici, à partir de 28’30). Cette loi, a-t-il justifié, était une réaction nationale à force « d’entendre les expressions camps de la mort polonais, camps de concentration polonais. Non, il n’y avait pas de camp de concentration polonais, c’étaient des camps nazis. Pendant des années, la Pologne n’a pas pu se défendre car il n’y avait pas d’Etat polonais indépendant. »
Un lourd tribut payé par la Pologne
Puis le président du Conseil des ministres, âgé de 49 ans, fils d’un syndicaliste anticommuniste connu, issu d’une famille juive, catholique pratiquant qui veut « christianiser à nouveau l’Union européenne », a raconté que « 800 villages avaient été complètement annihilés, exterminés par les nazis allemands. Le sol polonais – car nous n’avions pas d’État - est le seul endroit sur Terre où des villageois, des familles, ont été tués pour avoir aidé nos frères et sœurs juifs ». Il a rappelé que la Pologne avait payé le plus lourd tribut à la Seconde Guerre mondiale compte tenu de sa population de l’époque, avec près de six millions de victimes.
Disant s’appuyer sur le livre d’un historien suédo-canadien sur le Ghetto de Varsovie, cette « zone de contagion » dans laquelle les Juifs polonais furent parqués et affamés après l’invasion allemande, Mateusz Morawiecki a cité 130 000 Juifs, le nombre de personnes effectivement enfermées en 1940, mais pas les 500 000 qui y furent entassées par la suite. Selon le Premier ministre, « cinq fois plus de citoyens polonais », soit plus de 600 000, auraient aidé les Juifs enfermés « malgré le risque de condamnation à mort pour toute leur famille » quand il n’a mentionné que « 3000 à 4000 dénonciations à la Gestapo ».
Netanyahou furieux
A ce jour, la Pologne représente le plus grand nombre de « Juste parmi les Nations », titre décerné par Israël : 6135. Les Pays-Bas en comptent 5413 et la France 4042.
« Bien sûr qu’il n’y aura pas de poursuites contre les gens qui disent qu’il y avait des auteurs polonais, car il y en avait. Mais nous ne pouvons pas mélanger auteurs et victimes car ce serait une insulte envers tous les Juifs et tous les Polonais qui ont tant souffert pendant la Seconde Guerre mondiale », a-t-il conclu.
Furieux que les assassins « juifs, russes, polonais » soient mis sur un plan d’égalité, Benyamin Netanyahou, également présent à la Conférence, a estimé par voie de communiqué qu’« il y a un problème lié à une incapacité de comprendre l’histoire et un manque de sensibilité face à la tragédie de notre peuple ». Jugeant les propos « scandaleux », Netanyahou a ajouté qu’il avait l’intention de s’entretenir immédiatement de ce sujet avec Mateusz Morawiecki.
Dimanche, depuis Varsovie, la porte-parole de Morawiecki est venue à sa rescousse. «La voix du Premier ministren'avait nullement pour but de nier l'Holocauste ni d'attribuer aux Victimes Juives la moindre responsabilité dans le génocide allemand », a écrit dans un communiqué Joanna Kopcinska. Ses paroles doivent « être interprétées comme un appel à un franc débat sur les crimes commis contre les Juifs, mené conformément aux faits et sans égard à la nationalité de celui qui dans un cas donné les a commis, y a pris part ou les a rendus possibles », précise-t-elle. Au risque de dénoncer la loi prise par son propre gouvernement ?