L'album SS d'Auschwitz, ou le trésor de Lili Jacob
Rescapée d'Auschwitz, où elle avait été déclarée "apte" au travail, Lili Jacob se trouve au camp de concentration de Dora, près de la ville de Nordhausen, au centre de l'Allemagne, lorsque les troupes américaines la libèrent, en avril 1945. Dans une baraque allemande du camp où elle cherche des vêtements, elle trouve, en ouvrant le tiroir d'une commode, un album photo sur lequel figure, écrit en allemand et à la main, le titre "Transplantation des juifs de Hongrie".
En l'ouvrant, elle tombe immédiatement sur la photo du rabbin Weiss de sa ville natale, Bilky, en Hongrie, puis reconnaît, sur d'autres clichés, ses deux jeunes frères, le reste de sa famille et des voisins, peu après leur arrivée à Auschwitz. A la fin de l'album, elle se découvre elle-même, tondue, parmi quantité d'autres déportées, sur une photo prise au moment du premier et interminable appel. Sa découverte l'amène à l'évanouissement. Atteinte du typhus, Lili retourne, une fois soignée, à Bilky (devenue tchécoslovaque), avec l'album. Elle ne retrouve ni sa famille ni ses voisins, à l'exception de son ami d'enfance, Max Zelmanovic. Elle se marie avec lui en novembre 1945. Toute sa famille ayant été exterminée, elle a peu à peu considéré cet album comme "la seule chose qui ait été laissée" en sa possession. Son trésor.
Sur les conseils d'un rabbin, elle le soumet au Conseil juif de Prague, qui photographie l'album, lui laisse les originaux et lui remet, en échange, la somme d'argent nécessaire pour qu'elle, son mari et leur bébé émigrent aux Etats-Unis. Ils s'installent à Miami, où son mari décède en 1977. Elle se remarie deux ans plus tard avec Eric Meier, d'origine allemande, dont les actes de bravoure dans la résistance française lui ont valu, à 24 ans, le titre de chevalier de la Légion d'honneur.
Lili n'a jamais caché les photos de l'album. Aux Etats-Unis, plusieurs articles sont parus, dans Life et le Miami Herald notamment, au cours des années 1960 et 1970, évoquant l'album et son épopée. De son côté, Serge Klarsfeld, grâce aux recherches d'un étudiant, Emmanuel Lulin, à Prague en 1979, avait découvert une série de 82 photos de l'album, reproduites à partir des photos de photos prises à Prague par le Conseil juif. Elles avaient déjà été publiées par la communauté juive de Bratislava et envoyées au Musée d'Etat d'Auschwitz, qui n'en avait pas fait grand cas. "En les examinant ensemble, j'eus pour la première fois l'intuition que ces photos pouvaient provenir d'une même source, et qu'il pouvait y en avoir d'autres provenant de cette même source", explique Serge Klarsfeld.
Son enquête le mène à Miami, le 25 juillet 1980, devant le domicile de Lili Meier, née Jacob, qu'il finit par convaincre de léguer son trésor à l'Institut Yad Vashem de Jérusalem, libre de droits de reproduction, en échange d'un voyage en Israël et d'un pèlerinage à Auschwitz. Une dizaine des 197 photographies que contenait l'album SS original manquent : Lili Jacob les a données à ses compatriotes qui y avaient reconnu certains des leurs.
En août 1980, Beate et Serge Klarsfeld publiaient la première reproduction de l'album, à mille exemplaires seulement. Une autre suivra, en 1981, au Seuil, avant l'édition augmentée et expliquée de cette année, dans laquelle certaines des photos manquantes ont pu être retrouvées. Des documents précieux pour les historiens, des souvenirs inestimables pour toute une communauté décimée.