Aznavour : mort d’un champion de la cause arménienne
Le chanteur s’est engagé sur le tard, mais intensément, en faveur de la reconnaissance du génocide arménien.
Né à Paris en 1924, Charles Aznavour, de son vrai nom Shahnourh Varenagh Aznavourian, est l’héritier d’un génocide, celui des Arméniens de l’Empire ottoman perpétré moins de dix ans avant sa naissance. Son père Micha, Arménien de Géorgie, et sa mère Knar, seule rescapée de sa famille avec son arrière-grand-mère, avaient fui les derniers des massacres en se réfugiant en France comme les milliers d’Arméniens venus de la Turquie actuelle et établis le long de la vallée du Rhône et dans la capitale.
Longtemps, cette mémoire, celle d’1,5 million de massacrés, d’une culture et de terres perdues à jamais, est restée muette dans l’œuvre du chanteur, qui finira par s’engager davantage après l’indépendance de l’Arménie soviétique en 1991. « J’ai vraiment découvert l’Arménie pour la première fois en 1963, au cours d’une tournée en URSS. Je connaissais l’histoire du génocide, mais je n’ai jamais été un militant. Je suis d’accord pour commémorer, mais défiler dans une rue, ce n’est pas mon genre », a-t-il un jour expliqué.
Hymne national révolutionnaire arménien
En 1975, pour les soixante ans du génocide arménien, il chantait Ils sont tombés, un hommage aux victimes de l’extermination : « Ils sont tombés, sans trop savoir pourquoi/Hommes, femmes et enfants qui ne voulaient que vivre. » La chanson, qui devient l’hymne de la diaspora, est écrite avec le compositeur américain Georges Garvarentz, fils du poète Kevork Garvarentz, auteur de l’hymne national révolutionnaire arménien.
« Après le choc, je me suis rendu compte que j’étais vraiment d’origine arménienne »
En décembre 1988, un terrible tremblement de terre ravage la République socialiste soviétique d’Arménie, provoquant la mort de 50 000 personnes. C’est à cette date que remonte le début réel l’engagement de Charles Aznavour pour la cause arménienne. « Jusqu’ici, je disais toujours : “Je suis français d’origine arménienne.” Après le choc, je me suis rendu compte que j’étais vraiment d’origine arménienne », confiait-il à Paris Match.
Avec le réalisateur Henri Verneuil, également d’origine arménienne, il fait appel aux artistes français pour le tournage d’un clip en soutien aux victimes. Quatre-vingt-dix chanteurs et comédiens enregistrent la chanson Pour toi Arménie, qui se vend à un million d’exemplaires.
« Héros national », citoyen arménien et ambassadeur
Avec l’indépendance de l’Arménie soviétique et la guerre qui s’ensuit contre l’Azerbaïdjan voisin, l’implication de Charles Aznavour s’affirme. Ses liens avec la petite république du Caucase où il est immensément célèbre ne cessent de s’approfondir. Il est fait citoyen arménien en 2008, quatre ans après avoir été déclaré « héros national », et devient en 2009 ambassadeur d’Arménie en Suisse, où il est établi. Nouvelle distinction, un an plus tard, Charles Aznavour devient le nouveau représentant de l’Arménie auprès de l’Organisation des nations unies.
Dans les années qui ont suivi, le célèbre chanteur restera la personnalité incontournable de tous les rendez-vous diplomatiques et culturels franco-arméniens. Tenant en 2002 le rôle principal du film Ararat, consacré à la mémoire de l’extermination des Arméniens en 1915, il devient un défenseur assidu de la reconnaissance du génocide. En 2015, il accompagne le président François Hollande à la capitale Erevan pour les commémorations du centenaire des massacres. « J’espère que ces cérémonies du centenaire vont aider le peuple turc à se réveiller et à accepter le fait historique », déclara-t-il alors à la presse.
Réagissant à la mort du chanteur, lundi 1er octobre, le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, à rendu hommage à « un fils exceptionnel du peuple arménien » :
« Il est difficile de croire qu’une personne qui a créé toute une époque, qui a créé toute une histoire, l’amour, qui a servi son peuple, une personne qui a pendant quatre-vingts ans émerveillé et réchauffé le cœur de dizaines, de centaines de millions de gens, n’est plus avec nous aujourd’hui. »
« C’est une perte énorme pour le peuple arménien, pour le peuple français. C’est une perte universelle, a poursuivi M. Pachinian. Il a créé des valeurs universelles et ces valeurs accompagneront l’humanité pendant encore des siècles », a-t-il ajouté. « C’est une nouvelle très triste pour notre pays et notre peuple. »