Le partisan, ce héros soviétique ambivalent
En ouverture de cette semaine consacrée aux héritages de la guerre, un grand entretien avec l'historienne Masha Cerovic, lauréate du Grand Prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2018 pour son essai Les Enfants de Staline. La guerre des partisans soviétiques (Seuil, 2018).
Pour ouvrir cette semaine consacrée aux héritages de la guerre, Emmanuel Laurentin s'entretient avec l'historienne Masha Cerovic, lauréate du Grand Prix des Rendez-vous de l’histoire de Blois 2018 pour son essai Les Enfants de Staline. La guerre des partisans soviétiques - 1941-1944 (Seuil, 2018).
A l’automne 1941, l’opération Barbarossa laisse les Soviétiques éberlués. Comment peut-on expliquer le sursaut qui va suivre ?
Pour les populations de ces confins occidentaux de l’URSS, occupés ou non par l’armée nazie, le succès de l'opération Barbarossa est un choc incompréhensible dont elles ne se remettent pas. Leur seul point de référence pour comprendre ce qui vient de se passer, c’est de revenir à 1917 et à l’effondrement de l’armée russe, l’abdication du tsar, et la paix de Brest-Litovsk. Ils renouent avec l'idée d'une guerre perdue. Et avec la prise de conscience que désormais s’ouvre un chapitre inconnu où des individus sans gouvernement ni état doivent trouver une voie. Masha Cerovic
Comment s'opère la réponse à l’invasion allemande sur ces territoires biélorusses et ukrainiens ?
Confrontés à la réalité de l’effondrement soviétique, une grande partie des populations cherche d'abord à survivre, à se nourrir, à se loger dans des territoires profondément bouleversés par la campagne militaire. Mais début 1942 s'opère une rencontre entre quelques fanatiques survivants et ceux qui, au bout de quelques mois d’occupation, se rendent compte qu’ils ne peuvent vivre sous le régime allemand. L’engagement de jeunes officiers de l’Armée Rouge va marquer un tournant. Soit par vengeance, soit par patriotisme, par devoir de loyauté parce qu'ils ont prêté serment à la patrie, ces hommes, qui vont former le noyau dur du mouvement, vont être capables de déployer la violence en permanence, quoi qu’il arrive. Masha Cerovic
Ce mouvement des partisans était-il contrôlable depuis Moscou ?
Les partisans se sont montrés très doués pour exploiter les dissensions entre Khrouchtchev, Beria, le NKVD, le GPU, l’Armée rouge et le PC biélorusse et cela leur a donné la marge de manœuvre nécessaire pour garder une grande autonomie vis-à-vis du diktat d’une élite d’avant-guerre qu’ils considéraient comme complètement discréditée. Masha Cerovic
Comment s'explique leur statut ambivalent auprès des populations ?
Comme dans toutes ces guerres civiles, les relations entre partisans et civils sont cruciales pour l’issue du combat – Mao n’a rien inventé avec son « poisson dans l’eau ». Si elles sont conflictuelles - le slogan « Faites la fête les gars, la guerre effacera tout » dit bien que la légitimité du guerrier autorise ces jeunes hommes éduqués à la violence à tout : l’alcool, le pillage, le viol – elles sont aussi complexes. Le succès des partisans a aussi tenu à leur capacité à répondre aux demandes de gouvernement des populations. Sur ces « petites républiques autonomes », ils rendaient la justice, prélevaient, redistribuaient, contrôlaient la circulation des biens et des personnes, organisaient les fêtes et la vie sociale. Que les villageois les aient appréciés ou pas, ils sont devenus centraux dans le fonctionnement de ces sociétés. Souvent impopulaires, ils sont pourtant devenus légitimes.