Les mystérieux millions de Raymond Barre cachés en Suisse
L’ancien Premier ministre avait amassé une fortune en Suisse alors paradis fiscal. Ses héritiers sont ciblés par une information judiciaire pour blanchiment depuis 2016.
Valéry Giscard d'Estaing, alors président de la République, le décrivait comme « le meilleur économiste de France ». Mais Raymond Barre, son ancien Premier ministre, de 1976 à 1981, avait aussi d'autres talents cachés et beaucoup plus inavouables : une fortune colossale placée en Suisse à l'insu du fisc français et qui intéresse la justice française, a révélé le Canard enchaîné ce mercredi.
Selon une source judiciaire qui l'a confirmé au Parisien, une information judiciaire a été ouverte au parquet national financier (PNF) le 29 avril 2016, après deux ans d'enquête préliminaire.
En 2013, six ans après la mort de Raymond Barre, un anonyme envoie un drôle de courrier au fisc français. Y figurent notamment le nom de Raymond Barre et deux mentions manuscrites : un numéro de compte au Crédit Suisse et un montant de 11 millions de francs suisses (NDLR : au taux actuel, près de 9,9 millions d'euros). L'information aurait été confirmée depuis par les enquêteurs.
Cette forte somme, la famille de Raymond Barre en a hérité après sa mort. Sans juger bon non plus de la déclarer auprès de l'administration fiscale. Très vite après avoir reçu l'information, le fisc contacte les ayants droit de Raymond Barre. Qui font la sourde oreille. Afin de forcer les deux enfants et la femme de l'ancien homme politique à répondre, l'administration décide d'entamer un « examen de la situation fiscale personnelle », de la famille Barre, explique l'hebdomadaire.
Grosse pénalité réglée par ses fils
Au cours de cette enquête fiscale, le directeur général des Finances publiques alerte le parquet national financier, créé après l'affaire Cahuzac … un autre ancien ministre chargé des finances de l'Etat ayant caché son argent en Suisse. Une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale est ouverte.
Deux ans plus tard, le PNF ouvre une information judiciaire. « Elle est toujours en cours, confie une source judiciaire. Les investigations se poursuivent, même si le principal intéressé est décédé. La question de la fraude fiscale se pose aussi pour les héritiers. » Selon les informations du Canard enchaîné les deux enfants de l'ancien Premier ministre ont toutefois régularisé leur situation fiscale en réglant près de 1 million d'euros de pénalité au fisc.
D'où vient ce pactole caché ?
Mais de nombreuses questions restent en suspens dans cette affaire. Et notamment celle de la provenance des fonds, que tente sans doute de déterminer le PNF. Rien, dans la carrière publique de Raymond Barre, n'explique en effet comment il a pu amasser une telle somme.
Avant de s'engager en politique, l'économiste de formation a en effet été professeur en faculté. Pas de quoi engranger des millions d'euros. Les ventes de son manuel d'économie, écoulé à l'époque à 250 000 exemplaires, ne semblent pas non plus suffisantes pour récolter plus de 6 millions d'euros. Le reste de la carrière politique de Raymond Barre, successivement vice-président de la Commission européenne, ministre, Premier ministre et enfin député-maire de Lyon ne permettait pas d'accumuler une telle fortune.
Selon le Canard enchaîné, les enquêteurs s'intéressent en revanche aux fonds secrets, une pratique des années 1980. Un article de la loi de finances permettait alors aux ministres de payer, en liquide, des primes à des membres des cabinets ministériels. L'hebdomadaire affirme que près de 12 millions de francs avaient disparu, après la victoire de François Mitterrand en 1981, des coffres de la Banque de France qui stockait ces fonds spéciaux. Cette somme n'a jamais réapparu…
Contacté par le Canard enchaîné, Me Jean-Louis Renaud, l'avocat des fils de Raymond Barre a simplement affirmé que « Tout a été régularisé. Le passé est le passé. »