Hosni Moubarak, le joug le plus long

Publié le par Libération par Célian Macé et Hala Kodmani

L’ancien président égyptien déchu en 2011 est mort mardi à 91 ans. Son obsession pour la stabilité dans son pays et la région lui a valu un soutien financier américain sans faille. Pour autant, son immobilisme social et économique a maintenu la population dans la pauvreté pendant trente ans.

Hosni Moubarak au Caire, en 1981. Photo Bill Foley. Contact Press Images

Hosni Moubarak au Caire, en 1981. Photo Bill Foley. Contact Press Images

Annoncée une dizaine de fois sur les réseaux sociaux ces dernières années, la mort de Hosni Moubarak est finalement survenue mardi matin. Il avait 91 ans. Président de l’Egypte de 1981 à 2011, il avait été renversé par le soulèvement populaire égyptien dans la foulée des printemps arabes.

Une des premières nokta (blague égyptienne) qui avait circulé à propos de Hosni Moubarak après son arrivée à la tête de l’Egypte expliquait pourquoi le nouveau président n’avait toujours pas désigné son vice-président, au bout de plusieurs années. Elle évoquait un même critère qui avait guidé le choix de ses prédécesseurs. Ainsi, Gamal Abdel Nasser, ayant pris le pouvoir en 1956, avait cherché le moins futé de ses lieutenants, celui qui ne pourrait lui porter le moindre ombrage, en nommant Anouar al-Sadate. Devenu président à son tour en 1970, celui-ci a été guidé par le même souci quand il a repéré en Hosni Moubarak le plus docile de ses subordonnés. Et depuis, conclut la blague, ce dernier cherche en vain moins falot que lui. En fait, Moubarak ne désignera jamais de vice-président, jusqu’à la veille de son éviction.

Le plus moqué des présidents égyptiens, affublé du surnom grotesque de «Vache qui rit» pour sa corpulence et sa jovialité injustifiée, n’aurait jamais pensé se retrouver un jour à la tête du pays. Il l’aura pourtant été pendant près de trente ans, soit le règne le plus long de l’histoire de l’Egypte moderne, de la monarchie à la République. Il ne pensait pas non plus devoir un jour céder le pouvoir. Avant d’y être forcé par son peuple révolté et son armée déstabilisée, le 11 février 2011, après trois semaines de manifestations sur la place Tahrir, au centre du Caire.

Médiateur

Le très effacé vice-président d’Anouar al-Sadate avait été propulsé à la tête de l’Egypte en octobre 1981 dans les circonstances dramatiques de l’assassinat en pleine parade militaire de celui qui avait signé les accords de paix de Camp David entre l’Egypte et Israël. Hosni Moubarak s’était fixé comme priorité de maintenir et garantir cette paix à tout prix, et c’est probablement l’une des clés de sa longévité au pouvoir. Elle lui a valu un soutien sans faille des administrations américaines successives, qui lui ont accordé une manne financière annuelle faisant de l’Egypte le deuxième récipiendaire de l’aide extérieure des Etats-Unis, après Israël.

Pendant trois décennies, Hosni Moubarak aura évité au plus grand pays du monde arabe guerres et désastres dans un Proche-Orient en ébullition permanente. Armé d’un double credo - obsession sécuritaire et stabilité -, il aura réussi le tour de force de ne jamais laisser son pays basculer dans le précipice. Chef de file du camp dit des «Arabes modérés» - face aux discours belliqueux des syrien Hafez al-Assad ou libyen Muammar al-Kadhafi -, il parvint à réintégrer l’Egypte dans un monde arabe qui l’avait mise au ban pour avoir signé la paix avec Israël. Et même à ramener le siège de la Ligue arabe au Caire en 1989. Il a joué le médiateur infatigable entre Israël et les Palestiniens pour désamorcer les escalades et accueillir leurs dirigeants au Caire pour dialoguer.

Mais à l’intérieur du pays, l’immobilisme politique, social et économique a maintenu dans le sous-développement et la pauvreté une population égyptienne qui a doublé en trente ans. Malgré les milliards d’aide américaine, le chômage et la pauvreté ont augmenté tandis que la corruption rongeait le pays dominé par une classe de nouveaux affairistes proches du pouvoir. Au nom de la stabilité, Moubarak laissait ses services de sécurité opérer un musellement systématique de l’opposition, entre chasse aux Frères musulmans et répression de toutes voix dissonantes.

Obsédé par la sécurité, il a toujours refusé de lever l’état d’urgence instauré à la mort de Sadate, s’attirant ainsi la haine de la société civile égyptienne. Justifiée aux pires moments de la lutte contre les islamistes, la loi martiale est aussi devenue par la suite un moyen d’étouffer toute contestation politique ou sociale. Une arme au service du pouvoir, permettant pêle-mêle l’interdiction des manifestations, la restriction des activités politiques ou la multiplication des arrestations sans charges. Visé au moins par six attentats, Moubarak a échappé en 1995 à une tentative d’assassinat à Addis Abeba, lorsque des assaillants ont coupé la route à son cortège et criblé de balles son véhicule blindé acheminé spécialement du Caire. L’attentat a été revendiqué par le groupe armé islamiste Jamaa Islamiya.

Né le 4 mai 1928 dans le gouvernorat de Menoufeya, dans le delta du Nil, d’un père petit fonctionnaire, Mohamed Hosni Moubarak sort à 24 ans de l’Académie militaire, brevet de pilote de l’armée de l’air en main, quand le Mouvement des officiers libres, mené par Gamal Abdel Nasser, renverse la monarchie. Le jeune officier sage et discipliné va grimper les échelons militaires dans les pas de ses chefs. Il poursuit une formation de pilote de guerre pendant deux ans en Union soviétique, le nouvel allié solide du régime de Nasser. Sonné, comme tous les Egyptiens, par la défaite de 1967 contre Israël durant la guerre des Six Jours, Moubarak est à la tête de l’armée de l’air lorsque éclate celle de 1973. Un sursaut permet à l’aviation égyptienne de redorer ses galons. Et à Hosni Moubarak de s’auréoler d’une gloire militaire qui sera un des piliers de sa légitimité, aussi bien au sein de l’armée que de la population. A l’annonce de sa mort mardi, c’est «à l’un de ses fils, l’un des chefs militaires de la glorieuse guerre d’octobre» que la direction des forces armées égyptiennes a rendu hommage.

Inégalités

En 1959, jeune officier de l’armée de l’air, Hosni Moubarak épouse la fille d’une infirmière galloise et d’un médecin égyptien, Suzanne Sabet, qui n’a que 17 ans. Deux fils naissent de ce mariage, Alaa et Gamal. Tous deux, ainsi que leur mère, investiront par la suite l’espace public aux côtés du père. Très présente à l’international et dans les médias, Suzanne marque la présidence de son empreinte en intervenant dans le domaine des inégalités entre hommes et femmes, cherchant à donner à son mari une image moderne. Et tandis qu’Alaa se lance dans les grandes affaires auprès de nouveaux magnats égyptiens, Gamal, poussé par son père, est pressenti comme un successeur à la tête du pays, provoquant la colère des Egyptiens. Rejetée pour ses abus de pouvoir et les soupçons de corruption, la famille Moubarak avait regagné en popularité ces dernières années, du fait d’un dégoût encore supérieur du peuple égyptien pour le régime d’Abdel Fatah al-Sissi.

Depuis la révolution qui l’avait renversé, les apparitions publiques du raïs s’étaient faites rarissimes. En général, il était photographié derrière les grillages du box d’un tribunal ou dans une chambre d’hôpital. On le voyait plus souvent couché que debout. L’après-2011 aura été un long déclin, politique comme physique, pour l’ancien président égyptien.

Sur le plan judiciaire, en revanche, il a été définitivement acquitté des charges de complicité de meurtres - ceux des 846 manifestants tués par la police pendant la révolution - qui pesaient contre lui. L’ex-président est mort libre. Il avait purgé sa seule condamnation : trois ans de prison pour avoir détourné, avec ses fils, plus de 10 millions d’euros de fonds publics. Il vivait depuis sous haute surveillance dans sa résidence médicalisée de Charm el-Cheikh.

Perpétuité

Le 2 juin 2012, entre les deux tours de la première élection présidentielle libre de l’histoire du pays, qui devait désigner son successeur, Hosni Moubarak a pourtant été condamné en première instance à une peine de prison à perpétuité. Le procureur avait même requis la peine de mort. Le souvenir de la répression brutale qui s’était déchaînée contre les jeunes Egyptiens révoltés un an auparavant était encore cuisant. La disgrâce de l’ex-chef de l’Etat semblait alors totale. Hospitalisé en urgence pendant son interrogatoire, il s’est présenté à son procès sur une civière. Les familles des victimes réclamaient la peine capitale. Affaibli, le visage masqué par ses éternelles lunettes noires, il a plaidé non-coupable. Il ne se départira jamais de cette ligne.

Pendant la présidence islamiste de Mohamed Morsi, les bâtiments, les places et les rues Hosni-Moubarak ont été débaptisées. La descente aux enfers durera jusqu’à l’été 2013, au moment de la contre-révolution conduite par le général Abdel Fatah al-Sissi. Le nouvel homme fort de l’Egypte, qui entame alors sa propre carrière de dictateur, avait été nommé chef du renseignement militaire par Moubarak en 2010. Une semaine tout juste après le massacre de la place Rabia al-Adawiya, au Caire, au cours duquel plus de 800 partisans des Frères musulmans ont été tués, le président déchu est placé en liberté conditionnelle. Le début d’un processus de réhabilitation judiciaire qui aboutira à son acquittement définitif et à sa libération, en mars 2017.

Il n’y aura en revanche ni rédemption ni retour en grâce. Le président-maréchal Al-Sissi lui a évité l’opprobre de la prison, mais l’a maintenu invisible dans sa villa-hôpital des rives de la mer Rouge, à bonne distance de la capitale. A son égard, les Egyptiens nourrissaient un sentiment mêlé de nostalgie, pour une époque de stabilité révolue, de rancœur, pour son autoritarisme étouffant, mais surtout d’indifférence. Là réside peut-être sa vraie condamnation : mourir dans un semi-oubli, après avoir régné pendant trois décennies.

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