Colette dans la Grande Guerre

Publié le par France Musique

En 1914, Colette n’est plus tout à fait l’auteur qui faisait scandale en dansant nue dans des pantomimes aux côtés de sa compagne Missy. Le mythe de la liberté totale est désormais attaché à son nom. Où en est Colette l’aube de la grande Guerre

Colette avec ses chats / Colette au théâtre le jour de la mort de sa mère en 1912, © Getty / Manuel Freres / Raphael Gaillarde

Colette avec ses chats / Colette au théâtre le jour de la mort de sa mère en 1912, © Getty / Manuel Freres / Raphael Gaillarde

Retransmission de l'émission du 13 septembre 2020

“Plaine sans troupeaux, vallées sans herbages – ici l’oeuvre de la guerre devient fantastique. Les songes de la fièvre seuls visitant des planètes dont le sol, comme celui-ci, est troué d’yeux. Car l’entonnoir creusé par le projectile touche à l’entonnoir voisin comme l’alvéole à l’autre alvéole dans la ruche. La pluie a rempli d’eau ces orbites innombrables dont l’iris, vert ou jaunâtre, joue sous le vent, cerclé d’une paupière de glace pâle. La pluie fauche mêlée de neige qui colle à la terre et ne fond point. Un millier de bûches, debout, tranchées toutes à hauteur d’homme, s’appelaient un petit bois, dans le temps où ce pays comptait des bois, des oiseaux, des habitants et leurs demeures…”. Colette.

Programme musical

Edouard Mathe
Les linottes (opérette) : Cueillons les roses
M. Bremond
COLUMBIA

Francis Poulenc
Sonate pour 2 clarinettes
Michel Portal et Paul Meyer, clarinettes
RCA

Claude Debussy
12 Etudes pour piano Livre II L 143b (136) : 3. Pour les notes répétées
Anne Queffelec, piano
ERATO

Francis Poulenc
Noël des enfants qui n'ont plus de maison L 139
Véronique Gens, soprano
Roger Vignoles, piano
VIRGIN

Rodolphe Berger
Le chevalier d'Eon : Pourquoi malgré neige et froidure (Acte III) Air de Lauranguy
Frivol' Ensemble
Philippe Brocard, baryton
NAXOS

Claude Debussy
Sonate en trio pour flûte traversière alto et harpe n°2 L 145 (137) : 1. Pastorale
Michel Debost, flûte traversière
Lily Laskine, harpe
Yehudi Menuhin, alto
WARNER

Vincent D'Indy
Sarabande et menuet op 24 pour flûte hautbois clarinette basson cor et piano : Menuet
Pascal Rogé, piano
Catherine Cantin, flûte
Michel Portal, clarinette
Maurice Bourgue, hautbois
Amaury Wallez, basson
André Cazalet, cor
DECCA

Gabriel Fauré
Sonate nº2 en sol min op 117 pour violoncelle et piano : Andante
Roland Pidoux, violoncelle
Jean Claude Pennetier, piano
MUSIFRANCE

Vous trouverez ici le texte intégral de cette émission :

En 1914, Colette n’est plus tout à fait l’auteur qui faisait scandale en dansant nue dans des pantomimes aux côtés de sa compagne Missy. Marquise de Belbeuf avec qui Colette entretient une liaison. Le mythe de la liberté totale est désormais attaché à son nom. A l’aube de la grande Guerre, Colette est mariée à Henry de Jouvenel, rédacteur en chef du Matin. Grand quotidien  et journal dans lequel elle tient une chronique régulière depuis 1910. En 1913, naît leur fille Colette de Jouvenel. Elle l’appellera Bel-Gazou. A partir de cette date elle cesse momentanément de monter sur scène. Colette est depuis son divorce avec Willy, un écrivain reconnu. Quatre dialogues de bêtes paraissent en 1904 et lui assurent une reconnaissance définitive. C’est la naissance de l’écrivain Colette. Plus de signature tronquée, de lecture corrigée, orientée par Willy, ce mari qui la poussé à écrire, et qui la révèle avec la Série des Claudine… Colette a trouvé son ton, son registre personnel, empreint de finesse et de sensibilité. Une prose parfumée et vagabonde. Entre 1908 et 1910, elle publie La Retraite sentimentale, Les Vrilles de la vigne, L'Ingénue libertine. Elle entame la publication en feuilleton de La Vagabonde. Puis sa suite, l’Entrave en 1913, qui obtient un franc succès. Elle obtient quelques voix au Goncourt et est même cité avec Anna de Noailles pour rentrer à l’Académie française! Henri de Montherlant, loin d’être féministe, parlera de Colette comme du « plus grand écrivain français naturel ».

Le 15 juillet 1914, à quelques jours de la déclaration de la guerre, le conflit semble loin. En vacances en Bretagne, un journaliste de Fémina l’interroge sur la mode vestimentaire à suivre pendant les vacances. Le 1er août, c’est la stupeur telle qu’elle la décrit dans le texte “La Nouvelle” publiée dans le recueil d’articles, Les heures longues, paru en 1917.

“ La Guerre?... Jusqu’à la fin du mois dernier ce n’était qu’un mot, énorme, barrant les journaux assoupis de l’été. La guerre? Peut-être, oui, très loin, de l’autre côté de la terre, mais pas ici…” Le mot “guerre” est absurde, il est à peine pensable, il s’incarne brutalement dans ce “paradis qui n’était point fait pour la guerre, mais pour nos brèves vacances, pour notre solitude.”  Dans sa correspondance, elle assure à un ami, à la même date, que  “Sidi, “ c’est ainsi qu’elle nomme Henri de Jouvenel, “m’écrit ce matin qu’il croit encore à la paix et que l’aspect de Paris, inquiet mais excité et crâneur, n’est pas déplaisant.” Mais cet optimisme est vite balayé par l’annonce de la Mobilisation générale. Dans son texte “La nouvelle” elle égraine les minutes où tout bascule: “… un coup de tonnerre entrait en même temps que nous: la Mobilisation Générale. Comment oublierais-je cette heure – là ?”

De sa position, à la fois concernée et observatrice, elle note la réaction des gens, leur peur, la panique après la stupeur en insistant sur les mots guerre et la phrase c’était la guerre: “ des femmes quittent les groupes en courant, s’arrêtent comme frappées, puis courent de nouveau, avec un air d’avoir dépassé une limite invisible et de s’élancer de l’autre côté de la vie.” Pour Colette, il est temps d’abréger ses vacances et de revenir auprès de Jouvenel à Paris, “la réalité c’est Paris, Paris où vit la moitié de moi-même” dit-elle dans la “Nouvelle”.

La guerre n’est pas un arrêt dans le travail de Colette qui choisit de rester à Paris. Jouvenel est mobilisé et envoyé sur le front à Verdun où il demeure huit mois. 

L’argent manque et la nécessité de fournir des articles reste d’actualité. Elle raconte alors dans son style sensuel et sensible, donnant de la chair aux mots, le quotidien d’une capitale désertée. Ses habitants qui ont fui pour se réfugier loin de l’avancée allemande. Ses blessés qui reviennent du front, les femmes qui travaillent. Ces femmes qui ne sont pas encore considérées comme des citoyennes et que le conflit oblige à prendre des responsabilités; Dans un article qui paraît au journal Le Matin, Colette écrit: “ Il faut dire, il faut chanter leur courage, leurs mérites inattendus, leurs vertus toutes neuves qui fleurissent nombreuses et sans effort. Il faut les louer toutes, et celles qui “font quelque chose”, et celles qui ne font rien. Rien qu’attendre quelqu’un. Espérer, croire, qui ne font rien, sinon se taire, manquer de presque tout et ne pas le dire. Rien que se cacher pour donner pudiquement la moitié de leur strict nécessaire. On saura, Dieu merci, les noms de quelques unes de celles qui “font quelque chose,” qui sont les stratégistes soudaines de la charité, sachant troquer, trier et secourir en grand les malades et les pauvres – on ignorera tout des autres. Je voudrais au moins signaler l’existence de ces autres, obscures, innombrables: il s’agit de ma voisine, de la vôtre, de la petite dame d’en face qui secouée timidement son chiffon à poussière – il s’agit de la modeste boutiquière d’une veille rue de Passy, de toutes ces silencieuses, ces entêtées qu’on voit passer vite, plus presses de rentrer et d’agir que de parler…”

A Paris, les hommes sont partis. Les maris comme les domestiques. Les techniciens mais aussi les peintres, les comédiens et les musiciens. Maurice Ravel est ambulancier avant d’être démobilisé en 1917. Eric Satie défend Paris en tant que Caporal. Le peintre Fernand Léger est sapeur-pompier puis brancardier, lui aussi réformé en 1917.  Le poète Guillaume Apollinaire, s’engage dans l’artillerie dès le début de la guerre mais un éclat d’obus le blesse et le pousse à rentrer à Paris. Les théâtres ferment, les restaurants aussi. Toutes les lumières doivent s’éteindre avant la tombée de la nuit. La guerre n’est pas là. C’est pire, elle est partout. Très vite on met des visages sur les listes de morts publiées chaque matin. Charles Péguy le 5 septembre 1914, le 22 c’est au tour de l’auteur du “Grand Meaulnes”, Alain Fournier. Colette a expédié sa fille Bel-Gazou en Corrèze chez sa belle-mère. Elle ne materne plus que ses chats et ses trois amies qu’elle héberge dans le chalet qu’elle habite, à Passy. Près du bois de Boulogne. Les quatre femmes se ressemblent. Annie de Pène, romancière et journaliste. Marguerite Moreno, comédienne et Musidora, danseuse de cabaret qui enchaîne les rôles au cinéma. Elle fait un tel triomphe dans les “Vampires”, que le mot “vamp” est inventé pour elle. Elles aiment la vie, le vin, les hommes, la cuisine. « Quelle bonne escouade de femmes », relate Colette, « Marguerite Moreno, la cigarette aux lèvres, répandait sur nos besognes ménagères la bienfaisante rosée des nouvelles vraies ou fausses, de l’anecdote, des prédictions. Elle était puissante à semer la graine miraculeuse du rire, le rire des drames, le fou rire nerveux des guerres, l’insolence qui se dresse contre le danger proche, le jeu de mots excitant comme une gorgée d’alcool ».

Entre 1914 à 1918, Colette crée ainsi dans sa chaumière couverte de vigne vierge, une sorte de phalanstère féminin. Une parenthèse miraculeuse de liberté où règne dans l’air un parfum de volupté, une odeur de mimosa, une poussière de poudre de riz. Les femmes n’ont ni le droit de vote, ni l’autorisation de signer un chèque mais les quatre amies ont les cheveux courts, portent des pantalons, ont divorcé, ont des amants voire des maîtresses, et exercent des métiers. 

En ces années de guerre, Colette comme de nombreuses femmes, de l’arrière, a le désir de se rendre utile. Et elle effectue des gardes de nuit auprès des blessés au Lycée Janson - de – Sailly transformé en hôpital militaire. Elabore ses textes qui aboutissent en 1916 à la parution de La Paix chez les bêtes et de Mitsou en 1919. Mais elle est profondément curieuse, et décide de se rendre sur le front. Elle veut aussi rejoindre son mari dont elle est éperdument amoureuse. Sa liberté affichée et revendiquée, s’entend avec des fantasmes de soumission. Alors quand Henry de Jouvenel dit “le Pacha” ne vient pas la rejoindre dans son chalet, elle se rend sur le front. Ainsi dès 1915, sous un faux nom et avec des papiers d’emprunt elle décide de rejoindre Henri de Jouvenel. Elle arrive à berner les gendarmes et après treize heures de trajet, dans un train « noir » aux lumières éteintes, qui chemine lentement entre Châlons et Verdun, elle rejoint son mari.  Et pousse même sa curiosité et son imprudence  à aller un peu plus loin sur des lieux réduits en cendres comme Clermont sur Argonne. Ramenée ‘manu militari’, elle rapporte des reportages de guerre pour “Le Matin”. Il sont alors édités dans “Les Heures longues” en 1917.

La République, L’éclair, La Vie parisienne, Marie-Claire, Paris-Soir. Tous les journaux demandent la signature de Colette. Elle publie même dans le Figaro. Dans le recueil “La chambre éclairée », Colette laisse un témoignage exceptionnel de la vie à l’arrière durant cette Grande Guerre

L'équipe de l'émission :

  • Marianne Vourch Production
  • Sophie Pichon Réalisation
  • Dorothée Goll Collaboration

Publié dans Articles de Presse

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