Mort de Michel Alberganti, ancien journaliste au « Monde »
D’une insatiable curiosité, qui s’étendait bien au-delà de sa passion pour les sciences et la technologie, le journaliste et écrivain Michel Alberganti, qui avait notamment travaillé pour « Le Monde » et France Culture, est mort, lundi 15 mars, à 65 ans.
Journaliste, homme de radio et essayiste, touche-à-tout de la science et de la culture, Michel Alberganti est mort, lundi 15 mars, des suites d’un cancer. Il avait 65 ans. Diplômé des Arts et Métiers, il commence sa carrière au bureau Veritas, mais il changera bien vite l’orientation de sa vie professionnelle : « Ingénieur, ce n’était pas son truc, c’était un littéraire, un créatif », raconte sa compagne Isabelle. Sa passion, c’est alors le théâtre et la poésie – il écrira deux pièces et des critiques pour Théâtre Magazine – et la mise en scène : « Il a même monté Le Journal d’un fou [de Nicolas Gogol] sous les lambris du bureau Véritas », se souvient sa compagne.
Dès l’époque des radios libres, il a le goût de transmettre : passé minuit, depuis Fréquence Montmartre, il anime sa première émission, rode cette voix enveloppante qui fera ensuite merveille sur les ondes du service public.
Sa formation d’ingénieur est un passeport pour le journalisme, à Industrie et technologies d’abord, à L’Usine nouvelle ensuite après un passage par Le Revenu français, puis au Monde dont il intègre la rédaction en 1995. « Le Monde, c’était son rêve », dit Isabelle. Il y arrive alors qu’une nouvelle direction a décidé de consacrer non plus un rendez-vous hebdomadaire exclusivement destiné à la science et à la médecine, mais une page quotidienne, mâtinée de nouvelles technologies.
Son premier article intitulé « La photographie résiste à la technologie du numérique » porte sur une de ses multiples passions : tombé tout jeune dans le bain de l’argentique, il saisit immédiatement le potentiel des pixels. Qu’importe l’outil, lui-même a l’œil, tant pour les paysages urbains que pour les rochers corses ou la « macro » (technique permettant de photographier des sujets de petite taille), participant à l’occasion à des expositions amateurs.
Défricheur du numérique
Alors qu’Internet pointe à peine son nez dans la rédaction, avec un unique terminal-totem objet d’une dévotion d’abord craintive, il se fait défricheur du numérique, explore en visionnaire les pistes et enjeux qu’ouvre le réseau des réseaux. Il publiera alors Le Multimédia. La révolution au bout des doigts (Marabout, 1997), explorant ce nouvel univers à l’époque des connexions par modem. Mondes virtuels, transports du futur, robotique, fonderies de silicium, monnaies électroniques, téléphonie mobile, premiers journaux en ligne, algorithmes, réseaux neuronaux… tout passe à la moulinette de sa curiosité, de sa formidable force de travail et, surtout, de sa capacité à détecter les « signaux faibles ». Vingt-cinq ans plus tard, nous voici pour cause de Covid immergés dans ces visioconférences dont, comme bien d’autres choses, il décrivait les prémices. En 1997, il interviewe « Jeffrey Bezos » – pas de familiarité onomastique au Monde en ces temps reculés –, alors que le futur « Jeff » ne vend encore que des livres.
Parcourir le millier d’articles signés par Michel dans Le Monde en quinze ans (1 185 pour être exact), c’est se replonger dans une révolution permanente, revisiter le léger frisson du bogue de l’an 2000, s’interroger sur les interfaces entre le cerveau et la machine ou l’utopie de la ville indienne d’Auroville, qui l’avait tant fascinée. Ou tomber sur un clin d’œil familial dans un article-fiction intitulé « Allô Isabelle, c’est le frigo », dans le journal du samedi 1er janvier 2000, ouvert sur les promesses du troisième millénaire.
Le nez, couvert de demi-lunes, collé sur cette actu foisonnante, Michel n’oublie pas pour autant de prendre du recul. Plusieurs livres en témoignent, dont, en 2000, A l’école des robots. L’informatique, l’école et vos enfants (Calmann-Levy), où il s’interroge sur la place que pourrait prendre le numérique dans l’enseignement. Mais aussi Sous l’œil des puces. La RFID et la démocratie (Actes Sud), où il aborde, dès 2007, les enjeux de l’Internet des objets.
Rattrapé par le démon de la radio
Travailler aux côtés de Michel, pédagogue affable et pince-sans-rire, c’est aussi se chamailler sur les mérites des sciences plus « molles », spéculer sur ceux des modélisations climatiques, sur le déclin de la science hexagonale, sur l’emprise des sociétés cigarettières sur l’Etat français… chercher des angles originaux, toujours, et, surtout, s’interdire de ronronner.
Et puis, en 2003, le démon de la radio le rattrape, avec « Science Friction », sur France Culture, une émission en collaboration avec Le Monde, qui nourrit sa gourmandise pour les débats et va encore élargir le spectre de ses intérêts scientifiques : origines de l’homme, OGM, construction des pyramides…
Au Monde, il se consacre bientôt à une nouvelle page hebdomadaire baptisée « Futurs », résolument tournée vers la prospective, avant de sauter le pas vers la radio, en tant que journaliste producteur… En 2006, il produit l’émission « Science publique », qui sera diffusée chaque vendredi sur France Culture pendant près d’une décennie. « Michel considérait que la science doit faire partie de la culture, que son travail consistait précisément à la faire entrer dans la culture, dit Sandrine Treiner, la directrice générale de la chaîne culturelle de la radio publique. Il aimait aussi débattre et faire débattre de questions scientifiques épineuses qui peuvent fâcher, et il rendait cela possible par son calme et son professionnalisme. Cela fait partie des choses importantes qu’il a nous apportées. »
Après « Science publique », il participera au lancement de l’émission scientifique quotidienne « La Méthode scientifique », produite par Nicolas Martin – qui vient de recevoir le Prix annuel de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information, et qu’il a dédié à Michel Alberganti.
Il faudrait aussi évoquer sa collaboration avec la Semaine du son, le « Train du climat », son engagement auprès des Savanturiers où il partage avec les plus jeunes son goût pour les sciences. Ou d’autres, avec le site Slate notamment.
Du son de la radio à l’image animée de la vidéo, il n’y avait qu’un pas, franchi avec sa société d’audiovisuel. Là encore, le passionné en lui avait appris, en boulimique : prise de vue, montage, incrustation, et même musique, il faisait tout. « Une caméra que tu places face à quelqu’un, c’est comme une sonde qui permet de capter quelque chose d’impossible à transcrire avec un carnet et un stylo », disait-il. « Ce fut sa dernière passion », dit Isabelle. Il avait récemment lancé un blog, consacré à l’hydrogène. Curieux, jusqu’au bout, du futur.
[Par sa curiosité large, son sens de la transmission et son goût du débat, Michel Alberganti a contribué à porter très haut l’information sur les sciences et les technologies au « Monde ». Nous présentons nos condoléances à sa famille, ses proches, et celles et ceux qui l’ont connu et apprécié au journal. J. Fe.]
Michel Alberganti en 4 dates
- 25 mai 1955 Naissance à Clichy (Hauts-de-Seine)
- 1995 Entre au « Monde »
- 2006 Emission Science Publique, sur France Culture
- 15 mars 2021 Mort à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine)