Un notaire juif d’Amsterdam aurait dénoncé Anne Franck et sa famille d'après un livre

Publié le par France Inter par Ilana Moryoussef

Qui a dénoncé Anne Frank et sa famille aux nazis en août 1944 ? Près de 80 ans après les faits, une enquête dirigée par un ancien du FBI, désigne un notaire juif d’Amsterdam comme principal suspect. Il l’aurait fait pour sauver sa propre famille.

Un catalogue avec des photographies d'Anne Frank lors d'une exposition à Francfort, en Allemagne, le 24 mars 2017. © AFP / Andreas Arnold

Un catalogue avec des photographies d'Anne Frank lors d'une exposition à Francfort, en Allemagne, le 24 mars 2017. © AFP / Andreas Arnold

“Qui a trahi Anne Frank ?”, de la Canadienne Rosemary Sullivan expose les résultats d’une enquête de cinq ans, menée par une équipe d’historiens, de criminologues, d’enquêteurs, qui ont utilisé les moyens les plus modernes pour "faire parler" les documents. Le livre est publié mercredi. C’est une enquête de longue haleine qu’a conduite Vincent Pankoke, un ancien du FBI installé en Floride, plus habitué à traquer des barons de la drogue qu’à parcourir l’Europe en quête de témoins des crimes nazis. 

Près de 80 ans après la mort de son auteure, le Journal d’Anne Frank a eu plusieurs dizaines de millions de lecteurs. Mais on bute toujours sur la question de savoir qui a dénoncé l’adolescente juive, qui se cachait avec sa sœur, ses parents, un couple de leurs amis et leur fils, ainsi qu’un ami dentiste, dans un entrepôt, au 263 Prinsengracht, en plein centre d’Amsterdam. 

Des moyens inédits pour mener les recherches

Les Frank ont vécu enfermés, contraints au silence, dans la peur d’être repérés, du 6 juillet 1942 au 4 août 1944, jour où ils sont arrêtés, avant d’être déportés le 3 septembre 1944 par le dernier convoi qui part du camp de Westerbork vers Auschwitz. Otto Frank, le père, sera le seul survivant. 

Deux enquêtes officielles, en 1947-1948 et 1963-1964, ont tenté de déterminer qui avait dénoncé les Frank et leurs amis. Sans résultat probant. Plusieurs livres ont essayé de résoudre cette énigme. Leurs conclusions sont battues en brèche par l’enquête de Vincent Pankoke. Ce qui distingue ce travail d’investigation de ce qui a été fait avant, c’est l’ampleur des moyens, humains et matériels, mis en œuvre. 

Tout commence en 2016 sur une idée du cinéaste néerlandais Thijs Bayens auquel se joint son ami journaliste Pieter van Twisk. Les débuts sont lents mais en 2018, le projet est lancé : 22 experts travaillent sur le projet, avec l’objectif d’identifier "le traître". L'approche est pluridisciplinaire. L’enquête fait travailler ensemble des historiens, des enquêteurs, des criminologues, des graphologues, des spécialistes du profilage sous la direction d’un ancien agent spécial du FBI, recruté pour son savoir-faire. 

"L’équipe", comme elle se surnomme elle-même, a recours aux moyens les plus modernes, qui n’existaient pas au moment où les crimes ont été commis.  L’intelligence artificielle lui permet de compiler les millions de détails entourant l’affaire et de faire apparaître entre des personnes, des adresses et des dates, des liens qui n’étaient encore jamais apparus. 

Après cinq ans de travail sur les archives, d’entretiens, de recherche, l’équipe finit par éliminer plusieurs suspects : un ancien employé d’Otto Frank, sympathisant nazi ; une petite frappe qui aurait fait chanter Otto Frank, menaçant de le dénoncer pour une broutille en 1941, quarante mois avant l’arrestation ; une informatrice juive, Ans van Dijk, qui sera condamnée à mort et exécutée après la guerre ; le directeur de l’entrepôt où les Frank se cachaient, Willem van Maaren, fouineur et pas très honnête; le marchand de légumes qui fournissait les captifs; la sœur de Bep Voskuijl, l’une des protectrices de la famille Frank. 

Une lettre anonyme comme première piste

Ce qui conduit l’équipe sur la piste du notaire juif Arnold van den Bergh, c’est une lettre anonyme reçue par Otto Frank à son retour de déportation. Cette lettre indique que sa cachette a été signalée par le notaire, qui aurait fourni à l’occupant une liste entière d’adresses où des juifs se cachaient. 

L’ancien du FBI, Vinvent Pancoke, a mis la main sur une copie de cette lettre, remise par Otto Frank lui-même au policier qui menait l’enquête officielle de 1963-1964. L’expertise a permis d’authentifier cette copie : elle a bien été tapée sur la machine à écrire d’Otto Frank.

Qui est donc ce notaire juif qui aurait fourni aux nazis des adresses d’autres juifs ? Au moment où la guerre éclate, Van den Bergh, marié et père de trois filles, possède l’une des études les plus importantes d’Amsterdam. C’est un membre éminent de la communauté juive. Il réside dans une élégante villa et se passionne pour les tableaux de maîtres des XVIIe et XVIIe siècles. En 1940, il s’occupe de plusieurs transactions qui conduisent des dignitaires nazis, comme Hermann Göring, à acquérir à bas prix de nombreuses œuvres d’art. 

Une liste de juifs cachés donnée aux nazis?

Même quand les mesures anti-juives l’obligent à céder son étude à un aryen, Van den Bergh continue de bénéficier d’une certaine protection. Il était membre du Conseil juif, cet organisme, créé à la demande des nazis, officiellement pour servir d’interface entre les occupants nazis et la population juive, a fini par préparer lui-même les listes de déportation. Son rôle a été très critiqué après la guerre. Il avait obtienu un Sperres, un sauf-conduit qui lui garantissait de ne pas être déporté "jusqu’à nouvel ordre". 

L’hypothèse du livre est que le Conseil juif avait une liste d’adresses où des juifs se cachaient et que pour acheter la protection de ses relations nazies haut-placées, Arnold van den Bergh aurait donné cette liste. De fait, il n’a pas été déporté, sa famille non plus.

"En 1960, le traître était déjà mort"

Ce qui conforte cette hypothèse, selon le livre, c’est le fait que Miep Gies, protectrice de la famille Frank, qui a trouvé et conservé le journal d’Anne après l’arrestation du 4 août 1944, semblait détenir un secret. À son retour de déportation, Otto Frank a vécu chez elle et son mari. C’est sans doute à elle qu’il se confiait le plus volontiers.

Un soir de 1996, écrit Rosemary Sullivan, son ami, le père John Neiman "discutait tranquillement avec Miep quand, de but en blanc, elle lui asséna qu’Otto Frank connaissait le traître de l’Annexe et que celui-ci était mort". L’enquêteur Vincent Pankoke a obtenu cette information lors d’une rencontre avec John Neiman.

Ce n’est pas tout. Deux ans auparavant, lors d’une conférence à l’étranger, répondant à une question dans le public sur ce qui a perdu les Frank, Miep Gies déclare : "Quinze ans après, nous avons recommencé à chercher le coupable. Mais on était en 1960, le traître était déjà mort." Arnold van den Bergh est mort en 1950 d’un cancer de la gorge.

Dénoncer pour sauver sa famille

Des indices dans le livre laissent penser qu’Otto Frank savait qui l’avait dénoncé, ou à tout le moins, qu’il s’en doutait et ne voulait pas le dire. "Il ne voulait pas punir la famille et les descendants de l’homme qui avait trahi les siens", selon Rosemary Sullivan.  

Consciente du caractère explosif de cette révélation, Rosemary Sullivan essaie d’en atténuer le choc. Arnold van den Bergh, souligne-t-elle, a été soumis à un dilemme abject. Il a agi pour sauver sa famille. "Il n’est pas l’ultime responsable de la mort des résidents du 263 Sprinsengracht. Cette responsabilité sera toujours celle des occupants nazis, qui ont terrorisé et décimé une société, forçant les gens à dénoncer leur voisin."

Elle évoque "les sentiments partagés" des membres de l’équipe à l’idée de rendre publiques leurs conclusions. "Ils savaient combien leurs découvertes étaient importantes – et douloureuses. Ils s’attendent aujourd’hui à des réactions tout aussi violentes."

"Un non-sens diffamatoire"

Ronald Leopold, directeur exécutif de la Maison d'Anne Frank, a été le premier à réagir, estimant que des questions subsistaient sur la lettre anonyme et qu'une enquête plus approfondie était nécessaire.

"Vous devez être très prudent avant d'inscrire quelqu'un dans l'histoire comme celui qui a trahi Anne Frank si vous n'êtes pas sûr à 100 ou 200% de cela", a-t-il souligné auprès de l'AFP. D'autres experts se sont montrés plus critiques. "Un non-sens diffamatoire", a même réagi avec virulence Bart van der Boom, professeur à l'université de Leiden, auprès de la télévision publique NOS.

"Qui a trahi Anne Frank ?", de Rosemary Sullivan, traduit de l’anglais par Carole Delporte et Samuel Todd, est publié par les éditions HarperCollins.

Publié dans Articles de Presse

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