Ukraine : crimes de guerre, génocide... De quoi parle-t-on exactement ?
La découverte de fosses communes et de cadavres jonchant les rues des villes libérées en Ukraine indigne la communauté internationale, qui dénonce ces atrocités avec des termes aux significations différentes.
Des habitants de Boutcha découvrent l'état de leur ville après le départ des soldats russes, le 2 avril 2022. RONALDO SCHEMIDT/AFP
Des cadavres le long des rues, des hommes, des femmes et des enfants entassés dans des fosses communes, l'insupportable découverte par les Ukrainiens des exactions commises par l'armée russe sur les territoires abandonnés soulève le coeur de la communauté internationale, qui tente de trouver les mots justes pour qualifier l'inqualifiable. Alors, "crimes de guerre", "crimes contre l'humanité" ou "génocide", quel terme correspond le mieux à la situation actuelle en Ukraine ?
Le crime de guerre, une infraction aux conventions de Genève
Mondialement ratifiées, les quatre conventions de Genève dictent, depuis 1949, les règles de conduite à adopter en cas de conflits armés. Car si la guerre est un droit, elle comporte une série de devoirs que tout belligérant a l'interdiction de violer au nom du droit international humanitaire. "Un crime de guerre peut ainsi se définir par une violation des conventions de Genève", explique le géographe Jean-François Martin.
Ainsi, le pillage, l'assassinat, la déportation de populations civiles, l'exécution d'otages, la destruction de biens non justifiée par des finalités militaires constituent des crimes de guerre. "Sans aucun doute, la Russie peut être accusée de ne pas respecter cette convention dont elle est signataire", assure le géographe. En effet, la découverte de centaines de civils abattus, souvent avec les mains liées dans le dos, fait penser à des exécutions. Or, depuis 1998, ce crime relève du jugement de la Cour pénale internationale, qui reprend la liste des conventions de Genève pour le qualifier. Elle a d'ailleurs ouvert une enquête, le 2 mars, sur les actes répréhensibles de la Russie en territoire ukrainien. C'est également elle qui a la compétence de juger les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité.
Le crime contre l'humanité, une attaque généralisée
Si toute exaction isolée visant des personnes non participantes au combat peut être qualifiée de crime de guerre, le crime contre l'humanité revêt un caractère plus général. L'article 7 du traité de Rome le définit par des actes d'extermination, de réduction en esclavage ou de déportation forcée de population.
C'est au procès de Nuremberg, en 1945, lors du jugement de hauts responsables nazis, que ce terme est utilisé lors d'un jugement pour la première fois. Né d'un contexte particulier - la déportation et l'extermination en masse du peuple juif -, le concept de crime contre l'humanité a été généralisé à la législation internationale par une résolution de l'ONU votée en 1948.
En tant que consigne générale émanant d'un pouvoir politique ou militaire, il se différencie du crime de guerre, plus sporadique. "On ne sait pas si Vladimir Poutine a donné l'ordre de commettre des massacres en quittant la région de Kiev et le nord du pays mais en tout cas, il n'a pas dit de ne pas le faire", explique Galia Ackerman, historienne spécialiste de la Russie post-soviétique. Prouver que la Russie a utilisé le crime comme une arme parmi d'autres permettrait de la juger pour crime contre l'humanité.
Le crime de génocide, l'extermination d'une nation
Le Premier ministre polonais a appelé, lundi 4 avril, à créer une commission d'enquête internationale sur "le génocide" commis, selon lui, par l'armée russe dans des villes ukrainiennes, dont Boutcha. "Ces massacres sanglants commis par des Russes, des soldats russes, méritent d'être appelés par leur nom. C'est un génocide, et il doit être jugé", a déclaré à la presse Mateusz Morawiecki.
Mardi 12 avril, Joe Biden a lui-même qualifié de "génocide" les exactions russes. "Il est de plus en plus clair que Poutine essaie simplement d'effacer l'idée même de pouvoir être un Ukrainien", a développé le président américain. Emmanuel Macron n'a, lui, pas souhaité reprendre ce terme. "Je dirais que la Russie a déclenché d'une manière unilatérale une guerre brutale, qu'il est maintenant établi que des crimes de guerre ont été faits par l'armée russe et qu'il faut maintenant en trouver les responsables", a-t-il expliqué. Avant d'ajouter "ne pas [être] sûr que l'escalade des mots serve la cause".
"Détruire une nation peut être considéré comme un crime de génocide", confirme Jean-François Martin. D'autant qu'en niant depuis toujours l'existence de la nation ukrainienne, Vladimir Poutine pourrait en être aisément accusé. Plusieurs services de renseignements ont déclaré que le maître du Kremlin avait donné pour mission à certains de ses hommes de tuer le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Mais le crime de génocide, défini par l'article 6 du traité de Rome, exige d'obtenir des preuves de destruction à une échelle plus large que pour les deux incriminations précédentes. "L'armée russe fait preuve d'une extrême barbarie depuis le début de l'invasion", remarque Galia Ackerman, mais les dernières exactions observées, aussi horribles soient-elles, restent cantonnées à certaines villes, celles que les Russes quittent, comme un ultime acte de vengeance barbare. Et pas encore d'un génocide.