Arlette Testyler, rescapée de la rafle du Vel d'Hiv: «Je raconte cette histoire pour ceux qui ne sont pas revenus»

Publié le par RFI par Nathanaël Vittrant

C'était il y a tout juste 80 ans. Les 16 et 17 juillet 1942, sur ordre du gouvernement de Vichy les policiers français arrêtaient près de 12 000 juifs. À Paris, 8000 d'entre eux, principalement des femmes et des enfants seront enfermés dans le Vélodrome d'hiver avant d'être déportés dans des camps. De cette rafle du Vel d'hiv, il n'y aura qu'une centaine de survivants. Parmi eux, Arlette Testyler, à l'époque elle s'appelle encore Arlette Reiman. Elle a alors 8 ans et demi. Depuis, elle raconte inlassablement son histoire, dans les classes notamment, pour ceux qui n'en sont pas revenus. Entretien.

Arlette Testyler rescapée de la rafle du Vel d'hiv. © Archives d'Arlette Testyler

Arlette Testyler rescapée de la rafle du Vel d'hiv. © Archives d'Arlette Testyler

Arlette Testyler : Dans la nuit du 16 au 17 juillet 1942, on dort tranquillement à la maison, un peu angoissés, parce que mon père a été arrêté un ou deux jours plus tôt. Et puis deux ou trois jours plus tôt, j’ai dû porter l’étoile jaune. Comme tous les jours, j’allais jouer au square de la rue du Temple avec mes amis, et un gardien m’a arrêté. Il m’a demandé : « est-ce que tu sais lire ». Je lui ai répondu, que bien sûr je savais lire, j’avais 8 ans et demi. Il m’a dit : « regarde ce qui est écrit, et il y avait inscrit 'interdit aux Juifs et aux chiens' ». Et donc cette nuit-là, à 6 heures du matin, ma sœur dort encore, maman se lève, moi aussi et on frappe à la porte. Des coups violents. C’est la police. Elle ouvre et là, je vois deux policiers en pèlerine avec une liste dans la main et qui disent à maman : on vient arrêter votre mari. Maman s’indigne un petit peu et leur dit qu’il a déjà été arrêté. Eux, sans se démonter, disent : « alors c’est vous et vos enfants. » Et là, j’ai vu maman se battre avec eux, elle ne voulait pas se faire arrêter. Elle leur a jeté des vases, des tabourets, des chaises. Évidemment, ça n’a servi à rien et on nous a embarquées comme des voleuses.  L’immeuble que j’habitais était un très grand immeuble, quatre familles juives y habitaient, toutes avec des enfants. Toutes ont été arrêtées ce jour-là. Quand nous sommes descendues dans la rue, il y avait plein d’autobus à plateforme. Les femmes pleuraient, les enfants criaient, c’était horrible. C’était une journée chaude et humide. On était au mois de juillet, mais il pleuvait quelques gouttes. On aurait dit que le ciel pleurait avec nous.

Les bus nous ont dirigés vers le vélodrome d’hiver. Moi, je ne connaissais pas. Mes parents n’étaient pas sportifs, plutôt musiciens. On est arrivés devant ce bâtiment en fer : il y avait plein d’autobus. Vous savez, je n’ai jamais vu d’Allemands. Jamais. Seulement des policiers français. On nous a déversés dans ce vélodrome d’hiver, c’était dantesque. Il y avait des grabataires, des estropiés, des femmes, certaines enceintes et des enfants.

RFI : Mais très peu d’hommes adultes ?

Non, à part quelques vieillards, tous les garçons avaient moins de 16 ans. Beaucoup d’hommes avaient déjà été arrêtés. Nous, on a été raflés, mais mon père a été arrêté sur convocation : « présentez-vous au commissariat de votre arrondissement pour vérification de votre identité ». C’est pour ça qu’il y est allé. Il pensait qu’en France, il ne risquait rien.

RFI : Vous avez une idée de combien de personnes il y avait avec vous au vélodrome d’hiver ?

Non. Pour moi, ça pouvait être des milliers, des millions ou des centaines. On s’est entassés sur les gradins avec d’autres familles. On entendait les micros qui hurlaient tout le temps, et jour et nuit les autobus déversaient des gens. Il n’y avait pas d’eau pour les toilettes, alors les gens faisaient leurs besoins le plus pudiquement possible contre un mur. Cette odeur m’accompagne encore. Et je me souviens du sang, des femmes qui avaient leurs règles. Je suis allé voir ma mère en hurlant qu’on était en train de tous nous tuer. J’ai aussi vu un suicide. Des gens qui se mutilaient, des femmes qui se faisaient avorter avec des aiguilles à tricoter dans l’espoir d’être évacuées dans un hôpital. En vain. C’était l’horreur.

RFI : Combien de temps, vous êtes restée avec votre famille dans ce vélodrome d’hiver ?

C’est très nébuleux dans ma tête. Je ne sais pas. Ils appelaient les gens au micro dans l’ordre alphabétique. Comme notre nom commence par un « r » je pense que nous sommes restés parmi les derniers. Quand on a fini par nous appeler, on nous a fait monter dans un autobus, direction la gare d’Austerlitz. Vous ne me ferez pas rentrer dans la gare d’Austerlitz aujourd’hui. Je ne peux plus. C’est lié à trop de souvenirs douloureux.

Lorsqu’on arrive, la gare est vide de passagers non juifs. Les quais sont chauffés à blanc par le soleil, il fait très chaud. Et je vois des wagons à bestiaux, vous vous rendez compte ? Des wagons à bestiaux ! On va monter dedans. Il n’y a pas de fenêtre, pas de porte. Seulement un grillage de chaque côté, à la hauteur des nasaux des chevaux, mais ce n’est pas fait pour des enfants, on ne peut pas respirer. Alors ma mère crie aux adultes de chacun prendre un enfant dans ses bras pour que nous puissions respirer. Ma maman a aussi écrit un mot à destination d’un voisin, pour le prévenir que nous avions été arrêtés arbitrairement. Elle a pris un bout de papier, un crayon et elle lui écrit. Elle a roulé le papier comme une cigarette, elle y a jouté un billet. Elle a enroulé le tout quelques un de mes cheveux et elle l’a jeté sur les voies, je la vois encore. Un cheminot ou un quidam a dû le ramasser parce que nous avons su plus tard que ce mot lui était parvenu.

Je vous le raconte parce que c’est à ce moment-là que la France s’est réveillée pour sauver les Juifs. Parce que quand mon père est parti, ils se sont dit : bon, ils vont travailler en Allemagne. Mais quand ils ont vu ces wagons à bestiaux avec des petites mains d’enfants qui dépassaient, des vieillards, des grabataires, des malades, ils ont compris que ceux-là n’allaient pas travailler. Et c’est à partir de là que la France s’est réveillée. Vous savez, je témoigne beaucoup dans les établissements scolaires, et je leur dis : « que certes la France a collaboré, mais de toute l’Europe, c’est en France qu’on a sauvé le plus d’enfants juifs. »

Arlette Testyler rescapée de la rafle du Vel d'hiv. Elle a été enlevée avec ses parents à l'âge de 8 ans et demi. © Archive personnelle d'Arlette Testyler

Arlette Testyler rescapée de la rafle du Vel d'hiv. Elle a été enlevée avec ses parents à l'âge de 8 ans et demi. © Archive personnelle d'Arlette Testyler

RFI : Ça veut dire que vous en voulez à l’État, au gouvernement de Vichy en l’occurrence, au maréchal Pétain, mais vous n’en voulez pas à la France ?

Bien sûr que j’en veux au maréchal Pétain et à tous ceux qui ont collaboré activement, vous trouverez leurs noms facilement. Avec mon mari, qui lui a été déporté pendant trois ans, nous avons écrit un livre qui s’appelle Et les enfants aussi. Parce que pendant la rafle du Vel d’hiv, les Allemands n’avaient pas demandé que les enfants de moins de 16 ans soient arrêtés. C’est Pétain qui a ajouté cette instruction de sa main. Mais vous savez, mes parents adoraient la France. Ils avaient choisi de vivre en France. Mon père était parti de Pologne tout jeune parce que c’était le pays des droits de l’homme comme il disait. Et j’aime aussi cette France, même maintenant.

RFI : C’est une histoire que vous avez souvent racontée, pourquoi est-ce si important de le faire encore et encore ?

D’abord, je la raconte parce que les enseignants le demandent. Donc si eux ont le courage d’enseigner ce qu’était la collaboration, qu'est ce c'est de savoir prendre la bonne décision, d’être du bon côté de l’histoire, mais si je le fais surtout, ce n’est pas pour moi, c’est pour ceux qui ne sont pas revenus. Pour qu’on ne les oublie pas, qu’ils ne meurent pas une deuxième fois. Et puis je le fais aussi en me disant que si seulement 10 %, - sans être très exigeant -, si même seulement 10 % des enfants à qui je raconte mon histoire en grandissant pour répondre aux révisionnistes (il y en a et il y en aura encore), aux négationnistes (il y en a et il y en aura encore), s’ils sont 10 % à dire « ah non, moi j’en ai vu, ils ont existé », je pense que ceux qui ont été assassinés à Auschwitz et ailleurs parce que nés juifs, ne meurent pas complètement.

Publié dans Articles de Presse

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