"Je suis là pour raconter la vérité" : le témoignage d'Arlette Testyler, internée dans le camp de Beaune-la-Rolande, en 1942
Arlette Testyler, Parisienne âgée de 89 ans, a été internée durant quelques semaines dans le camp de Beaune-la-Rolande. Elle a perdu son père, décédé dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, après avoir été interné à Pithiviers. Voici son témoignage.
Arlette Testyler, raflée le 16 juillet 1942, a été internée au sein du camp de Beaune-la-Rolande. © Anne-Laure Le Jan
"Celui qui écoute le témoin le devient à son tour", écrivait Elie Wiesel, prix Nobel de la paix. Parmi les témoins de la Shoah, qui n'ont de cesse de raconter ce qu'a été la monstruosité nazie, il y a Arlette Testyler, née Reiman, une Parisienne âgée de 89 ans.
Arrêtée lors de la rafle du Vélodrome d'Hiver, le 16 juillet 1942, elle est restée quelques semaines dans le camp d'internement de Beaune-la-Rolande, puis elle s'est cachée jusqu'à la Libération chez une famille, vivant à Vendôme (Loir-et-Cher). Arlette Testyler a perdu son père, décédé dans le camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau, après avoir été interné à Pithiviers.
"Dans ma tête, j’ai toujours 8 ans et demi. Une partie du temps s’est arrêtée à ce moment-là", souffle-t-elle. Voici son témoignage, aussi douloureux que nécessaire.
Son père, assassiné à Auschwitz
"J’ai été élevée dans l’amour de la France. Mes parents, nés en Pologne, en étaient amoureux. Quand mon père a été arrêté, en mai 1941, au moment de la rafle du billet vert, il a dit : “Qu’est-ce que je risque dans la France de Voltaire, de Diderot et de Zola ? Rien. Mes enfants sont français.” Voilà pourquoi il s'est présenté au commissariat.
Mon père croyait tellement en l’éducation qu’au camp de Pithiviers, il m’a fabriqué un porte-plume en bois. C’est tout ce qu’il me reste de lui. C’est un bien précieux.
Arlette Testyler garde toujours avec elle le porte-plume en bois fabriqué par son père dans le camp d'internement de Pithiviers. Photo Anne-Laure Le Jan
Après la Libération, ma mère, ma sœur et moi l'avons cherché jusqu’à ce que plusieurs personnes disent à ma maman : “Il ne reviendra pas. Nous l'avons vu partir à la chambre à gaz.”"
"Je me suis rendue à Auschwitz où j'ai récupéré l’acte de décès de mon père : “Baraque 28, carré français, emmené à la chambre à gaz.” Quand on m'a donné cette fiche manuscrite, j’ai eu l’impression que mon père mourrait une deuxième fois."
"Perdre mon père de cette façon, ne pas pouvoir me recueillir au cimetière, c’est un deuil qui est difficile à faire. Le chagrin passe, le deuil non."
Arrestation, internement, cachette : son récit
"Le 16 juillet 1942, les policiers sont venus nous chercher à 6 heures du matin. Maman a demandé : “Qui est-ce ?” Ils nous ont répondu : “Nous venons arrêter votre mari.” Maman a dit : “Il a déjà été arrêté”. Parti vers une destination inconnue.
La police nous a arrêtées, ma mère, ma sœur et moi. Nous avons pleuré, ma mère s'est battue. Il n’y avait rien à faire. On nous a emmenées à la gare d’Austerlitz, puis au camp de Beaune-la-Rolande. Je ne sais pas comment elle a procédé mais maman a réussi à trouver une filière et à nous en faire sortir."
"Jusqu’à la Libération, nous nous sommes cachées chez un couple, pauvre, au cœur énorme, à Vendôme. Je suis née à Paris mais, en réalité, je suis née à Vendôme. Car, en 1942, sortir du Vélodrome d’Hiver, puis du camp de Beaune, c’était une deuxième naissance."
Aujourd’hui, j’ai six arrière-petits-enfants. La plus belle revanche contre Hitler et le nazisme. Ce couple m’a sauvé la vie. Qui sauve une vie sauve l’humanité."
Le port de l'étoile jaune
"Quand on nous a obligés à porter l’étoile jaune, j’avais 8 ans. Je suis allée à l’école en rasant les murs. Ma maîtresse, magnifique, a dit aux élèves : “Certaines petites filles portent des étoiles. Si j’entends la moindre réflexion à ce sujet, vous serez punies.” J’étais rassurée.
Puis je suis sortie de l’école, j’ai pris mes patins à roulettes et je suis partie rejoindre mes camarades au square. Le gardien m’a arrêtée et m’a lancé : “Est-ce que tu sais lire ?” Je lui ai répondu: “Oui”. Il m’a dit : “Alors, regarde ce qu’il y a d’écrit.” Il était écrit : “Interdit aux juifs et aux chiens”. J’ai pleuré, j’ai hurlé."
Le devoir de mémoire
"Je fais partie des dinosaures de la Shoah. Après nous, il n’y aura plus rien. Il reste l’Histoire, à condition qu’elle ne soit pas déformée, ni rejetée par les révisionnistes. Certains enseignent dans les facultés, écrivent des livres, prennent la parole dans les médias. Tout cela me fait peur et me met en colère."
"Heureusement qu’il existe le Mémorial de la Shoah à Paris, le Cercil à Orléans, la gare de Pithiviers réhabilitée en lieu de mémoire. Heureusement qu’il existe des films, qui sont à montrer. On y voit toujours quelque chose de vrai.
Avec mon mari Charles, décédé en 2018, nous avons commencé à témoigner lorsqu'en 1995 Jacques Chirac a fait amende honorable et reconnu la responsabilité de la France dans la déportation des juifs. À partir de ce moment, les enseignants sont venus nous chercher.
"Nous nous sommes rendus à quinze reprises à Auschwitz. Mais j’ai toujours catégoriquement refusé d’y emmener des enfants âgés de moins de 15 ans. Je ne suis pas là pour les traumatiser ou les empêcher de dormir. Je suis là pour faire de l’Histoire, pour leur raconter la vérité face au révisionnisme et au négationnisme."
"Je continue à témoigner auprès des élèves. Si seulement 10 % d’entre eux, plus tard, répondent aux négationnistes “j’ai vu des témoins, je leur ai parlé, ils ont existé”, j’aurais fait œuvre utile."