La Revue de presse de l'Histoire - “La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l'absence de liberté.”
La pratique devrait appartenir au passé. Vidéo à l'appui, une internaute affirme, dimanche 12 février, que "la destruction des livres des auteurs russes ou en russe" a commencé en Ukraine, ajoutant une référence à l'Allemagne nazie. "En 1933, en Allemagne, les jeunesses nazies brûlaient tous les textes juifs, russes... dans leurs autodafés", rappelle cette "russophile" dans ce message vu plus de 334.000 fois. Mais que sait-on réellement de ces images ?
Le filigrane présent sur la vidéo diffusée sur Twitter renvoie à un compte Telegram pro-russe. Ceci étant, la publication de ce compte, qui diffuse auprès de ses 85.000 abonnés des contenus ciblant l'Ukraine et sa "sous-culture", n'évoque pas d'autodafé. Dans le message, qui ne précise pas le lieu ou la date des images, l'auteur affirme simplement que "des Ukrainiens font don de livres imprimés en russe pour les déchets de papier". Ce qui ne revient pas exactement à un autodafé.
Pour en savoir plus, nous avons tenu à retrouver les auteurs de la vidéo. Une recherche par mots-clés en ukrainien sur Yandex – l'équivalent russe de Google – nous a permis de retrouver un article sur le site de Channel 33. Publié le 9 février, il est accompagné d'un reportage de cette petite chaine locale à propos de l'action "la littérature russe pour recyclage". C'est là que la chaîne Telegram pro-russe a récupéré ces images, auxquelles elle n'a fait qu'ajouter son propre filigrane.
Alors, Kiev veut-elle supprimer la littérature russe ? Pas vraiment. On découvre à travers le reportage qu'il s'agit d'une initiative de l'association locale "Volunteers of Podillia". Active depuis 2014, elle propose aux Ukrainiens de récupérer les livres en langue russe qui occupent leurs étagères et dont ils souhaitent se séparer. Pendant "trois mois", des points de collecte ont notamment permis aux habitants de l'oblast de Khmelnytskyï, dans l'ouest du pays, d'apporter les "livres dans la langue du pays de l'occupant", pour reprendre l'expression utilisée par l'association. Les bénévoles se sont ensuite chargés de "recycler" les quelque 20 tonnes de livres pour en vendre le papier. Objectif : récolter des fonds à destination des troupes ukrainiennes. À l'heure actuelle, "plus de 70.000 hryvnias" (1777 euros) ont permis d'acheter des munitions nécessaires aux forces armées, comme l'explique Channel33.
"80% des ouvrages récoltés sont de la propagande ", précise l'association, dont certains étaient des livres "à destination des enfants". Sur les images, on voit entre autres un livre en hommage à Maksimtsov, "soldat de la patrie" et éminent chef militaire soviétique, mais aussi un manuel pour apprendre le russe ou une biographie du compositeur Alexander Tchaïkovski.
En résumé, il ne s'agit pas du tout d'autodafé. Et encore moins d'une persécution systématique et organisée par le gouvernement ukrainien visant les ouvrages russes comme cela fut le cas sous l'Allemagne nazie. Reste que le but est bien de retirer "la langue de l'occupant" des maisons ukrainiennes. Une initiative qui n'est pas isolée : en septembre dernier, le conseil municipal de Kiev avait annoncé avoir transformé plus de 48.000 livres russes en vieux papiers.