La Revue de presse de l'Histoire - “La liberté de la presse présente des inconvénients. Mais moins que l'absence de liberté.”
Âgé de 97 ans, il était le dernier des sept survivants du massacre commis par les Nazis le 10 juin 1944, dans ce village du Limousin. 643 habitants y avaient été tués, dont 450 femmes et enfants. Il s’est éteint ce samedi 11 février, à Saint-Junien (Haute-Vienne).
Robert Hébras, dernier rescapé du massacre d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne), s’en est allé, ce samedi 11 février. | ARCHIVES MARC OLLIVIER, OUEST-FRANCE
Il était un passeur de mémoire, s’appliquant toute sa vie à la transmettre aux jeunes générations. Robert Hébras s’est éteint, ce samedi 11 février à 6 h 15, entouré de ses proches, au centre hospitalier de Saint-Junien (Haute-Vienne), à l’âge de 97 ans. Il était le dernier des sept rescapés du massacre d’Oradour-sur-Glane, ce village du Limousin victime de la barbarie nazie le 10 juin 1944. Les SS de la division Das Reich y avaient tué 643 habitants. Le plus jeune avait une semaine. La plus ancienne était âgée de 90 ans. Ce fut l’un des pires massacres de civils commis par les Allemands en Europe occidentale.
En ce samedi de début d’été, Robert Hébras, bientôt 19 ans, profite de la chaleur de l’après-midi pour bricoler chez une voisine, lui installer une prise de courant. Lui, l’apprenti mécanicien, aurait dû être au travail dans le garage qui l’emploie à Limoges. Mais son chef d’atelier lui a accordé son week-end la veille au soir. Il est donc rentré en tramway chez ses parents et deux de ses sœurs. La journée paraît calme et paisible… jusqu’à ces premiers bruits de chenilles se faisant entendre au loin, à partir de 14 h.
Deux véhicules, transportant chacun une dizaine d’hommes, assis, une arme entre les jambes, entrent dans le haut de la commune. D’autres camions, au même moment, se positionnent dans le bas d’Oradour. Tout le village est bouclé. Une opération minutieusement préparée. Robert Hébras n’est pas inquiet. Il quitte sa voisine et rentre chez lui. Sa mère, elle, a peur pour lui. Elle craint que les Allemands ne l’emmènent outre-Rhin, au titre du Service du travail obligatoire. Il a l’âge pour l’effectuer.
Forcés par les troupes occupantes à rejoindre la place du champ de Foire, les habitants d’Oradour-sur-Glane sortent de chez eux. Des Allemands les encadrent. Robert Hébras, sa mère et ses sœurs sont dans le cortège. Par chance, sa sœur aînée, mariée, vit ailleurs. Son père, lui, travaille à l’extérieur du village. Au centre de la commune, les femmes et leurs enfants sont séparés des hommes. Ces derniers sont divisés en quatre groupes. Robert Hébras se retrouve dans une grange en compagnie de cinquante ou soixante autres villageois…
« Les premières détonations se font entendre après dix minutes. Les Allemands ouvrent le feu. Je suis légèrement blessé. Je me retrouve sous des corps. Mon copain est décédé à mes côtés. Pourquoi lui et pas moi ? Les soldats donnent le coup de grâce aux mourants, puis nous recouvrent de paille. Je ne bouge pas, ne dis rien. Du sang coule sur moi. Les Allemands s’en vont, puis reviennent. Ils mettent le feu à la grange… » raconte Robert Hébras dans un long témoignage vidéo recueilli par Ouest-France en septembre 2020.
Sentant les flammes atteindre ses cheveux et l’un de ses bras, le jeune homme parvient à s’extirper du brasier et à fuir. Par chance, aucun Allemand dans les parages. Avec quatre autres survivants, ils se cachent, ici dans une étable, là dans des clapiers… « Je pensais pouvoir retrouver ma mère et mes sœurs. C’est le lendemain que j’ai appris de mon père que toutes les femmes et tous les enfants avaient été enfermés, puis brûlés dans l’église. C’est inimaginable, mais cela s’est malheureusement bien produit. Le drame d’Oradour, ce sont ces 450 femmes et enfants tués. »
C’est à force de volonté et de travail que Robert Hébras parvient, au fil du temps, à surmonter l’atrocité du massacre qu’il a vécu. « Je voulais réussir. C’est mon métier de garagiste qui m’a aidé à m’en sortir, qui m’a sauvé. J’étais tous les jours dans mon atelier », confiait-il toujours à Ouest-France voilà trois ans… Soulagé aussi de n’avoir jamais tué un Allemand. « Que ce soit une famille française ou une famille allemande qui perd quelqu’un, c’est toujours le même chagrin… »
Durant toute sa vie, Robert Hébras a été un artisan de paix et de réconciliation, un ardent défenseur de la construction européenne. Déjà décoré de la Légion d’honneur et de l’ordre du mérite allemand, il a également été fait commandeur de l’ordre national du mérite, l’année dernière, sur décision d’Emmanuel Macron. « C’est, désormais, sa petite-fille Agathe qui va poursuivre le travail de mémoire, souligne Mélissa Boufigi, journaliste à Ouest-France et autrice du livre Le dernier témoin d’Oradour-sur-Glane paru en juin 2022. Robert Hébras a pu partir paisiblement, sachant qu’Agathe allait prolonger son œuvre. »