Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane, est mort

Publié le par Le Point par Hélène Pommier

Il était le dernier témoin direct du massacre du 10 juin 1944, quand les SS assassinèrent 643 hommes, femmes et enfants. Robert Hébras, 97 ans, vient de mourir.

Robert Hébras, dernier survivant du massacre d’Oradour-sur-Glane, est mort

« Je me bats pour qu'on n'oublie pas. » Décédé le 11 février 2023 à Saint-Junien (Haute-Vienne), Robert Hébras, rescapé du massacre d'Oradour-sur-Glane, ne se lassait jamais de rappeler les faits tragiques du 10 juin 1944. Lui qui, à l'aube de ses 19 ans, aurait dû mourir dans le plus grand massacre de civils commis en France par les armées hitlériennes. Il était le dernier témoin direct de ce jour de printemps où la division SS Das Reich assassina 643 villageois : 241 femmes, 205 enfants et 197 hommes. Dans ce bourg rural paisible, la quasi-totalité de la population fut anéantie en quelques heures.

Né le 29 juin 1925, Robert Hébras gardait un souvenir précis de ces heures noires. Apprenti dans un garage à Limoges, il devait travailler, ce samedi-là, mais son patron lui avait accordé sa journée. Insouciant, il discutait avec un ami, sur le perron de la maison familiale, quand les Allemands arrivèrent dans la commune, vers 14 heures. « C'était la première fois qu'on voyait ici cet uniforme très foncé. Je n'ai pas eu peur. Presque personne n'a senti le danger. On pensait qu'ils passaient pour rejoindre le front de Normandie », expliquait-il lors d'un entretien qu'il nous avait accordé en septembre 2020. « La population fut rassemblée sur le champ de foire, sans affolement. On discutait de choses et d'autres, du match de foot du lendemain… » La séparation des femmes et des enfants, d'un côté, des hommes de l'autre se déroula dans l'inquiétude, mais « dans le calme ».

Robert Hébras fut conduit dans la grange Laudy, l'un des six lieux d'exécution des hommes. Blessé superficiellement et protégé par les corps des victimes mitraillées, il put s'échapper, ainsi que quatre autres jeunes hommes, avant que le feu n'embrase tout, et s'enfuir en passant de grange en étable. Les femmes et les enfants enfermés dans l'église y furent abattus ou brûlés vifs. Sa mère et deux de ses sœurs, Georgette, 22 ans, et Denise, 9 ans, y périrent. Avec une femme qui parvint à sauter d'une verrière brisée derrière l'autel, ils furent six au total à échapper aux tirs et aux flammes.

Durant des décennies, ce fils d'ouvrier devenu garagiste n'a pas parlé. « Nous étions revenus de l'enfer, nous n'aurions pas dû être vivants, et souvent j'ai préféré me taire », racontait-il dans le livre Avant que ma voix ne s'éteigne, paru en 2014.

J’ai compris que si je ne pourrai jamais pardonner à ceux qui ont massacré, leurs enfants, eux, n’étaient pas responsables.

Un sujet trop douloureux pour être abordé, même en famille. « Avec mon père, on allait à la commémoration chaque année, mais on n'évoquait jamais le sujet. Et je n'ai amené mon fils au village martyr que quand il a eu 20 ans. » Témoin au procès de Bordeaux en 1953, Robert Hébras reprit la parole au procès d'un ancien lieutenant de la division Das Reich, Heinz Barth, à Berlin en 1983. En 1985, il fut convié à une « Conversation pour la paix » à Nuremberg à l'initiative du chancelier Willy Brandt. « C'est là que j'ai compris que, si je ne pourrai jamais pardonner à ceux qui ont massacré, leurs enfants, eux, n'étaient pas responsables. »

Au fil du temps, Robert Hébras a œuvré, à son niveau, pour la réconciliation franco-allemande, témoignant inlassablement auprès des jeunes Français et Allemands. Le 4 septembre 2013, il guida dans le village martyr les présidents français et allemand, François Hollande et Joachim Gauck. L'émouvante image, dans l'église, du survivant entre les deux chefs d'État lui serrant la main a marqué les esprits.

Quand je ne serai plus là, que va-t-il se passer ?

En 2012, sa condamnation par la cour d'appel de Colmar pour diffamation à la suite de la réédition de son livre Oradour-sur-Glane : le drame heure par heure avait suscité un fort émoi en Limousin, avec la création d'un large comité de soutien. Dans cet ouvrage paru initialement en 1992, l'auteur mettait en doute l'enrôlement « soi-disant de force » des Alsaciens incorporés dans la division SS ayant participé au massacre. Les éditions suivantes ont été expurgées de l'expression, sauf, par erreur, celle de 2008. Robert Hébras fut blanchi par la Cour de cassation en octobre 2013.

L'homme ne craignait pas la mort, mais la transmission de la mémoire l'obsédait. Tout comme les résurgences négationnistes. « Quand je ne serai plus là, que va-t-il se passer ? » s'inquiétait-il, après l'inscription de tags indignes sur le Centre de la mémoire d'Oradour (CMO), en août 2020. Il a récemment encouragé sa petite-fille à prolonger son engagement. Désormais pour perpétuer le souvenir et le message, il reste les associations mémorielles, dont l'Association nationale des martyrs d'Oradour-sur-Glane, les ruines du village martyr, et le CMO, ouvert en 1999, qui accueille 300 000 visiteurs chaque année.

Publié dans Articles de Presse

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