Les Chantiers de la jeunesse française (CJF), souvent appelés chantiers de jeunesse, étaient une organisation paramilitaire
française ayant existé de 1940 à 1944. L'armistice du 22 juin 1940 ayant supprimé le service militaire obligatoire, les chantiers de jeunesse furent créés comme une sorte de substitut le 30
juillet 1940. Les jeunes hommes de la zone libre et de l'Afrique du Nord française en âge (20 ans) d'accomplir leurs obligations militaires y étaient incorporés pour un stage de six mois.
Ils vivaient en camps près de la nature, à la manière du scoutisme, mais avec le volontariat en moins, et accomplissaient des travaux d'intérêt général, notamment forestiers, dans une ambiance
militaire. Ils étaient encadrés par des officiers d'active et de réserve démobilisés, ainsi que par des aspirants formés pendant la guerre de 1939-1940. À partir de 1941 l'obligation des
chantiers de jeunesse est étendue à tous les Français de zone libre devant accomplir leurs obligations militaires pour 8 mois.
Dirigés par le général Joseph de La Porte du Theil, les chantiers de jeunesse étaient une
institution ambiguë. Il s'agissait d'inculquer les valeurs de la Révolution nationale, prônée par le Régime de Vichy. Les Chantiers, initialement ouverts aux chefs et aux jeunes juifs français,
leur furent d'abord interdits en Afrique du Nord, à la demande du colonel Van-Ecke, commissaire régional, soutenu par le général de La Porte du Theil. Puis l'année suivante (2ème semestre 1942) le même général obtint que cette exclusion
soit étendue aussi à la métropole. Le culte de la hiérarchie et de la discipline passait notamment par l'importance donnée à tous niveaux au Chef. La vénération du Maréchal Pétain imprégnait profondément les cadres.
Alors que le régime exaltait le retour à la terre et le provincialisme, la vie en groupements dans les bois pouvait aussi se lire comme une réaction contre la ville industrielle et corruptrice,
foyer de l'individualisme et de la lutte des classes. Par ailleurs, aucune "politique" n'était toléré dans les chantiers. Ce qui signifiait l'interdiction de la propagande des partis
collaborationnistes et bien sûr des organisations de Résistance, mais aussi l'absence de radios, de débats et autres moyens de communication qui même censurés, auraient permis aux jeunes de
suivre l'évolution de la guerre et de la politique du régime, et de se faire une opinion personnelle.
Surtout après la guerre, les anciens dirigeants des CJF affirmeront avoir voulu préparer une troupe mobilisable en cas de reprise de la guerre contre l'Allemagne. Les faits leur donnent
effectivement raison en Afrique du Nord, province où les anciens des Chantiers, après le débarquement allié de novembre 1942, furent rappelés, militarisés, entraînés et répartis dans l'Armée
d'Afrique. Ils participèrent ensuite aux campagnes de Tunisie, d'Italie, de France et d'Allemagne de 1943 à 1945, le plus connu étant le 7e régiment de chasseurs d'Afrique du Lt.Colonel van Hecke
à qui est dédié Le Chant des Africains en 1943.
Les détracteurs des Chantiers font remarquer :
Les défenseurs des Chantiers mettent en avant (outre la militarisation des Chantiers d'Afrique du Nord):
Lorsqu'ils envahirent la Zone Sud les Allemands supprimèrent l'Armée d'Armistice mais, divisés sur le sujet, choisirent de maintenir les Chantiers. Toutefois, ils modifièrent profondément leur
implantation à partir de mars 1943 : les groupements de Provence, des Pyrénées, et des Alpes furent respectivement délocalisés dans le Massif Central, dans le département de la Dordogne et dans
les Landes. L'occupant craignait en effet leur concours à un débarquement allié par la Méditerranée (groupements de Provence), le concours ou la participation à des évasions par l'Espagne
(groupements des Pyrénées), et l'aide aux maquis (groupements des Alpes). Il est également à noter une série de contrôles musclés opérés par la Wehrmacht vers le 20 septembre 1943 dans les trois quarts des groupements des Chantiers.
Plusieurs anciens des chantiers rejoignirent la Résistance, certains passèrent en Afrique du Nord. Les stocks de vivres et de vêtements des Chantiers devinrent une proie classique pour les maquis
en manque de tout. De multiples coups de main, bénéficiant parfois de complicités dans la place, permirent aux maquisards de faire main-basse sur ces dépôts - ce qui explique que sur nombre de
photos, des maquisards soient habillés en uniformes des chantiers, certes non prévus au départ pour leur servir !
C'est à partir de septembre 1943 que le général La Porte du Theil, devant de nouvelles exigences
allemandes qui auraient équivalu à l'envoi en Allemagne de la quasi-totalité des effectifs restant des Chantiers, refuse catégoriquement toute mise à disposition supplémentaire au bénéfice de
l'occupant (d'où les contrôles musclés de la part de la Wehrmacht). Mais il décline également les invitations de la
Résistance à passer à la dissidence et à gagner Alger. Averti d'une arrestation imminente à la fin de décembre 1943, il refuse également de s'enfuir. Destitué, arrêté le 4 janvier 1944 à son
bureau de Châtel-Guyon, il est assigné à résidence en Allemagne jusqu'à la fin de la guerre.
Il obtint un non-lieu en Haute Cour de Justice en 1947. À la lecture de son dossier de justice, on peut en donner quatre principales raisons :
Dans le cadre de la loi sur le Service du travail obligatoire (STO) qui concernait les jeunes garçons nés en 1920, 1921 et 1922, les Chantiers mobilisèrent la classe
appelée sous leurs drapeaux en novembre 1942, au nombre de 32.000 jeunes Français. 16.000 d'entre eux furent effectivement envoyés en Allemagne (Archives nationales [cote F60 1452 p.ex.]). Sur
les 16.000 autres jeunes des Chantiers non partis en Allemagne, 7.000 s'évanouirent dans la nature, parfois avec le concours des chefs de groupement (notamment dans la Province Alpes-Jura) et
9.000 furent astreints au travail obligatoire en France.
En Allemagne même, de nombreux chefs de chantiers requis étaient partis avec leurs jeunes. Un certain nombre se porteront volontaires pour aller les encadrer sur place, les groupements étant
restés intacts. En Allemagne perdureront ainsi, jusqu'en 1945, les pratiques d'une Révolution nationale discréditée dans la France occupée puis disparue en France libérée : culte du Maréchal,
cérémonies patriotiques collectives tels les levers de couleurs ou les "face-à-l'ouest", etc. Les chefs ayant redonné des uniformes à leurs jeunes démobilisés, on vit des jeunes Français défiler
dans des rues d'outre-Rhin en uniforme, en rangs, bannières déployées, encadrés par leurs chefs, et parfois musique en tête. Mais ces mêmes chefs, tout en restant pour la plupart indéfectiblement
pétainistes, contrecarreront aussi la propagande des extrémistes de la collaboration - par exemple en dissuadant les jeunes du STO de s'engager dans la Waffen SS. Ils lutteront également pour une amélioration des conditions d'existence dans les camps de travailleurs
civils.
L'expérience la plus connue est celle mise en œuvre par le jeune chef Georges Toupet en Silésie. Âgé de quelque 25 ans, il parvient à prendre la tête d'un camp à la dérive regroupant 2.500
travailleurs français, et situé à deux pas du complexe d'extermination d'Auschwitz-Birkenau. Lui et ses adjoints luttent contre le laisser-aller, la saleté, le
manque d'hygiène, l'alcoolisme et la prostitution, développent une riche vie culturelle, sportive et éducative, et rétablissent spectaculairement l'ordre et la discipline. Parallèlement, Toupet
participe à une filière d'évasion de prisonniers de guerre et à un réseau de renseignement allié, auquel il communique des informations sur le camp de la mort voisin.
Si les Allemands apprécièrent au début la discipline et l'organisation efficace des Chantiers, qui pouvaient leur servir à maintenir l'ordre parmi des milliers de jeunes travailleurs forcés
exilés, les relations se tendirent progressivement. Au total, sur près de 200, une trentaine de Chefs de chantiers présents dans le Reich paieront de leur vie des actes de résistance avérés,
autant subiront une arrestation prolongée ou reviendront d'une déportation en camp de concentration. Quant aux jeunes gens envoyés en Allemagne par les Chantiers, beaucoup d'entre eux, sans
forcément pardonner à l'institution de les avoir livrés au STO, reconnaîtront du moins ne pas
avoir été laissés livrés à eux-mêmes outre-Rhin. La vie en groupe, le prestige de l'uniforme et la discipline présentèrent aussi pour eux quelques avantages.
Afin de ne pas apparaître aux yeux de l'occupant comme une organisation militaire, les Chantiers étaient placés sous la tutelle du secrétariat d'État à l'Éducation nationale et à la jeunesse. À
l'arrestation de La Porte du Theil, ils passent sous le contrôle du ministre du Travail et de la
Production Industrielle, le technocrate Jean Bichelonne, un ultracollaborationniste responsable de la mise en
œuvre du Service du travail obligatoire. Ce changement accentue leur transformation en un vivier
de main-d'œuvre au service de l'occupant, en France comme en Allemagne.
Le commissariat général, basé à Châtel-Guyon, coordonnait les commissariats régionaux :
Chaque commissariat régional supervisait une école de cadres et 8 à 10 groupements, assimilables à des régiments, de 1500 à 2200 hommes. Chaque groupement était divisé en 6 à 12 groupes,
assimilables à des compagnies de 150 à 200 hommes chacune. Les groupes étaient divisés en équipes.
Deux organisations similaires ont également existé :
On estime le nombre de personnes passées par les Chantiers entre 300.000 et 500.000. Début 1943, ils devaient disposer d'un effectif permanent de quelque 60.000 jeunes. On a pu estimer à 16.000
le nombre de jeunes des Chantiers envoyés directement au STO en Allemagne depuis leur
groupement.
Vers la fin du mois d'octobre 1940 , le général de La Porte du Theil aux responsables « des travaux
» du commissariat général de Châtelguyon (63) de lui proposer un projet d’insigne. C’est le colonel Créange, ancien combattant de 1914-1918, qui se chargea de répondre à cette requête. Et c’est
lui qui, par un croquis hâtif, conçu le « triptyque » original de l’insigne retenu : les épis de blé, le drapeau tricolore et le soleil levant sur un horizon de verdure.
Ce dessin fut mis en forme par Gabriel Séjourné, étudiant aux « beaux arts » et fut présenté au général de La Porte du Theil qui le retint puis le fit mettre en fabrication. Les premiers exemplaires semblent avoir
été livrés fin 1940. Il y eut plusieurs variantes, en tissu et en métal de cet insigne général, au fil des retirages. Les insignes en tissu de grandes dimensions étaient portés sur la poitrine,
du côté droit. Ils étaient également cousus sur le béret, mais dans ce cas ils présentaient de plus petites dimensions et parfois, le numéro du groupement. Le modèle en tissu pour poitrine était
le seul réglementaire et avait fait l’objet d’une publication au journal officiel en 1941. En ce qui concerne les différentes variantes des insignes tissés de poitrine, il est difficile
aujourd'hui de les replacer chronologiquement. Les différences sont relatives à la couleur du fond (bleu, noir, vert), aux dimensions plus ou moins grandes, et aussi à la mention « CJF » («
Chantiers de la jeunesse française ») qui ne figure plus sur le dernier tirage.
Une modification significative du dessin intervint à partir de fin 1943. Ce modèle très sobre sur fond noir, sans mention « CJF », sans soleil ni verdure, n’était pas destiné aux Chantiers de
jeunesse dans l’esprit de leur création en 1940 : il fut distribué aux groupements des Chantiers mis à la disposition des usines d’armement sous tutelle de la « Production industrielle »
(travaillant pour le compte de l’occupant), à partir de septembre 1943. Cet insigne ne semble avoir été porté que par les cadres. "Insigne brodé en soie pour les officiers et en coton pour les
jeunes,se porte sur la poche droite des effets de dessus"