Crime d'agression

Publié le par Mémoires de Guerre

La notion de crime d'agression définit les crimes commis par les personnes ou États ayant préparé, accompli ou promu un conflit armé visant à déstabiliser un ou plusieurs États souverains. La définition du crime d'agression est fixée dans le Statut de Rome depuis 2010 ; les personnes ayant commis un tel crime pourront bientôt être poursuivies devant la Cour pénale internationale (CPI).

Procès de Tokyo

Procès de Tokyo

La notion de crime d'agression est identique à celle de crime contre la paix utilisée devant les tribunaux militaires établis après la Seconde Guerre mondiale (le Procès de Nuremberg et le Tribunal de Tokyo). Les expressions crime contre la paix et crime d'agression sont équivalentes et désignent pareillement une notion unique. Aucune subordination catégorielle n'existe : le crime d’agression n’est pas simplement une forme du crime contre la paix. Au contraire du génocide qui est généralement admis comme la forme aggravée du crime contre l'humanité, en raison de l’intention exterminatrice qu’il comporte spécialement. Les deux expressions se contiennent mutuellement et se superposent. Il s'agit de deux angles complémentaires : l'expression crime contre la paix fait référence à l'élément intentionnel de l'infraction et l'expression crime d'agression à son élément matériel. Par définition, le crime d'agression suppose la volonté libre, éclairée et consciente de menacer ou de briser la paix, de même que le crime contre la paix consiste en la planification ou l'exécution d'une agression illégale.

Les deux expressions sont anciennes puisqu’il a été question de codifier les « crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité », au premier rang desquels les « crimes d’agression », dès 1946 (voir la « confirmation des principes de droit international pénal reconnus par les Tribunaux Militaires Internationaux », résolution 95 (I) de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 11 décembre 1946). La seule nuance est d’ordre chronologique : le « crime d’agression » est la formule employée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale ; le « crime contre la paix » est l’appellation la plus connue depuis. Pourtant, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, signé le 17 juillet 1998, désigne de nouveau la notion étudiée sous le nom de « crime d’agression » (article 5). Étant donné la subtilité de la distinction, on peut tenir ces deux formules pour identiques et leur accorder une place égale. Le crime contre la paix ou crime d’agression appartient incontestablement à la catégorie limitée des infractions de droit international dites par nature ou par essence. Il participe à l’identité historique, humaniste et juridique de cette catégorie, dans laquelle on place également le génocide, le crime contre l'humanité et les crimes de guerre.

Les infractions internationales par nature ou par essence protègent deux valeurs fondatrices et primordiales pour l’humanité : la dignité humaine et la paix mondiale. Ces valeurs indissociables constituent le fondement et en même temps l’objectif principal du droit international moderne. En particulier, la dignité humaine est protégée par le droit international humanitaire (jus in bello en latin) qui encadre la conduite des hostilités pendant un conflit armé. La paix mondiale est protégée par le droit international du maintien de la paix (jus ad bellum ou jus contra bellum en latin) qui encadre le déclenchement des conflits armés. Ces valeurs bénéficient également d’une protection internationale de nature pénale : le jus in bello et le jus contra bellum reçoivent alors un volet pénal. Pour le jus in bello, il s’agit des infractions internationales humanitaires précitées qui sont les violations les plus graves du droit international humanitaire : le génocide, le crime contre l’humanité et les crimes de guerre. Pour le jus contra bellum, il s’agit précisément du crime contre la paix ou crime d’agression qui est la violation du droit international du maintien de la paix.

Au sein de la catégorie des infractions internationales par nature ou par essence, le crime contre la paix ou crime d’agression se démarque nettement par sa nature double et complémentaire. Il trouve sa raison d’être aussi bien dans la nécessité de prévenir la commission de violations graves du droit international humanitaire, que dans la répression efficace de tout recours illégal à la guerre. Ce crime fait la preuve d’une autonomie parfaite par rapport aux infractions internationales humanitaires lors des procès organisés après-guerre (à Nuremberg et Tokyo) ainsi que dans l’ensemble des projets officiels et onusiens rédigés de 1925 à 2002. Il faut attendre 1974 pour que l’Assemblée générale des Nations unies adopte finalement une définition officielle de l’agression internationale, au terme de décennies de travaux laborieux ayant subi des blocages politiques. C’est la résolution 3314 qui définit officiellement l’agression inter étatique, donc dans un sens conventionnel et non pas encore pénal. Il ne faut pas confondre la définition conventionnelle de l’agression inter étatique et la définition pénale du crime d’agression. La première correspond au volet conventionnel du jus contra bellum, la seconde à son volet pénal.

Bien que le crime d’agression figure depuis l’origine à l’article 5 du Statut de Rome, qui énumère les crimes pour lesquels la CPI est compétente, la compétence de la CPI est encore abstraite : en 1998, les États n’ont pas trouvé de consensus s’agissant de la définition du crime d’agression et des conditions d’exercice de compétence de la CPI par rapport à ce crime. La Charte des Nations unies spécifie en effet que c'est le Conseil de sécurité des Nations unies qui est le seul capable de déterminer s'il y a oui ou non un crime d'agression (voir le chapitre 7 à l'article 39 de la Charte des Nations unies). Lors de l'élaboration du Statut de Rome, certains États ont demandé que la poursuite d'une personne pour crime d'agression soit au préalablement acceptée par le Conseil de sécurité des Nations unies. Mais d'autres États ainsi que les ONG préfèrent que ce soit uniquement le Procureur de la Cour pénale internationale qui puisse lancer une procédure contre un tel crime.

En 2010, à la suite de la Conférence de révision qui s’est tenue à Kampala, l’article 8 bis 2 a été ajouté au Statut de Rome : le crime d’agression s’entend de la planification, la préparation, le déclenchement ou la commission d’un acte consistant pour un État à employer la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État. Les actes d’agression comprennent notamment l’invasion, l’occupation militaire ou l’annexion par le recours à la force et le blocus des ports ou des côtes, si par leur caractère, leur gravité et leur ampleur, ces actes sont considérés comme des violations manifestes de la Charte des Nations Unie. L’auteur de l’acte d’agression est une personne qui est effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d’un État.

Cette définition comble une lacune du Statut de Rome mais n’entraîne pas la possibilité immédiate pour la CPI d'exercer sa compétence sur les crimes d’agression. Les conditions d'exercice de cette compétence sont définies aux articles 15 bis et ter du Statut de Rome : la compétence ne pourra pas être exercée avant 2017 et encore sous réserve d'une décision qui sera prise par une majorité des deux tiers des États Parties. Les nouveaux textes adoptés à Kampala y ajoutent l'exigence qu'au moins trente États Parties aient accepté la compétence de la Cour ainsi que l'exigence d'attendre une année supplémentaire après la trentième acceptation. Ils ne sont donc pas encore entrés en vigueur.

La Cour sera alors compétente pour juger les criminels contre la paix en lien avec tous les États Parties. Chaque État Partie pourra cependant refuser la compétence de la CPI en en faisant la déclaration expresse. Par ailleurs, la compétence de la CPI sera liée à la constatation par le Conseil de sécurité d’un acte d’agression, ou à défaut devra être autorisée par une Chambre préliminaire de la CPI. Onze États ont déjà ratifié "les amendements de Kampala" dont l'Allemagne, le Luxembourg et le Botswana (septembre 2013). Enfin se pose encore la question de l’opportunité de donner compétence aux juridictions nationales pour réprimer cette infraction, éventuellement même sur le fondement d’un mécanisme de compétence universelle.

Publié dans Evènements

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article