Desnos Robert

Publié le par Mémoires de Guerre

Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 (à 44 ans) au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libérée du joug de l'Allemagne nazie.

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Autodidacte et rêvant de poésie, Robert Desnos est introduit vers 1920 dans les milieux littéraires modernistes et rejoint en 1922 l'aventure surréaliste. Il participe alors de manière éclatante aux expériences de sommeils hypnotiques et publie avec Rrose Sélavy (1922-1923) ses premiers textes qui reprennent le personnage créé par Marcel Duchamp. Dans les années 1924-1929, Desnos est rédacteur de La Révolution surréaliste mais rompt avec le mouvement quand André Breton veut l'orienter vers le Communisme. Il travaille alors dans le journalisme et, grand amateur de musique, il écrit des poèmes aux allures de chanson et crée avec un grand succès le 3 novembre 1933, à l'occasion du lancement d'un nouvel épisode de la série Fantômas à Radio Paris la Complainte de Fantômas. Le poète devient ensuite rédacteur publicitaire mais concerné par la montée des périls fascistes en Europe, il participe dès 1934 au mouvement frontiste et adhère aux mouvements d'intellectuels antifascistes, comme l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires ou, après les élections de mai 1936, le "Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes" En 1940 après la défaite il redevient journaliste pour le quotidien Aujourd'hui, et dès juillet 1942 fait partie du réseau de Résistance AGIR. Il poursuit ses activités de Résistance jusqu'à son arrestation le 22 février 1944. Il est déporté à Buchenwald et passe par d'autres camps avant de mourir à Theresienstadt, en Tchécoslovaquie : épuisé par les privations et malade du typhus, il y meurt le 8 juin 1945, un mois après la libération du camp par les Russes. La dépouille du poète est rapatriée en France, et Robert Desnos est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris. Son œuvre comprend un certain nombre de recueils de poèmes publiés de 1923 à 1943 - par exemple Corps et biens (1930) ou The Night of loveless nights (1930) - et d'autres textes sur l'art, le cinéma ou la musique, regroupés dans des éditions posthumes.

Robert Desnos naît à Paris au 32, boulevard Richard-Lenoir. Il est le second enfant de Lucien Desnos et Claire Guillais. En 1902, la famille s'installe dans le quartier populaire des Halles où son père est mandataire pour la volaille et le gibier, mais également adjoint au maire de l'arrondissement. Ils habitent 11, rue Saint-Martin, dans « ce coin de Paris qui sent le soufre » où, jadis, les alchimistes et autres sorciers se livraient à d'étranges métamorphoses. Gérard de Nerval avait d'ailleurs trouvé là une source à ses voyages imaginaires. En 1913, la famille déménage pour le 9, rue de Rivoli, un autre univers. Mais ce Paris interlope des artisans et des commerçants marque profondément l'enfant et apparaîtra abondamment dans son œuvre. Ses rêveries sont nourries par le spectacle insolite des rues, entre cloître Saint-Merri et Tour Saint-Jacques-la-Boucherie, et le monde varié des images que lui offrent aussi bien les affiches que les illustrations de l'Épatant et de l'Intrépide ou les suppléments illustrés du Petit Parisien et du Petit Journal. À six ou sept ans, Desnos dessine d'étranges formes sur ses cahiers. À douze ans, il passe à la couleur et son monde secret se teinte de fantastique. L'enfant se rêve enfant libre. Malgré tout, on n'échappe pas à sa famille. Élevé dans un milieu petit-bourgeois, Desnos fait sa première communion en 1911 en l’église Saint-Merri. À l'école, il n'est pas bon élève. Il s'ennuie ferme et ne supporte pas le discours patriotique qui s'y développe. Il préfère lire Les Misérables de Hugo et s'embarquer avec les marins de Baudelaire. Il se passionne aussi pour la culture populaire : romans - Émile Gaboriau, Eugène Sue ou Ponson du Terrail -, et bandes dessinées, avec une affection particulière pour l'insaisissable Fantomas dont les exploits sont relatés au cœur d'ouvrages bariolés de couleurs. Il plonge avec délice dans ce romantisme de gare engendré par les Mystères de New York, ou de Chicago, voire de Paris. Les surréalistes se retrouveront plus tard sur ce point en baptisant le merveilleux dans la naïveté populaire Poésie involontaire. Avec le cinéma, ses aventures livresques deviennent presque réalité. De tout cela, Desnos témoignera dans ses récits et ses critiques de films.

Pour l'heure, il n'est encore qu'adolescent lorsqu'en 1916, avec pour seuls bagages un certificat d’études acquis en 1913 et son brevet élémentaire, il décide de quitter l'école Turgot. Face à un père désireux de l'encourager à poursuivre ses études pour embrasser une carrière commerciale, il oppose son désir farouche de devenir poète. Mis en demeure de se débrouiller tout seul, relégué — mais il le veut aussi — dans une chambre de bonne, il multiplie les petits boulots. On le trouve, un temps, commis dans une droguerie de la rue Pavée, mais le plus important est ailleurs : Desnos, buvant l'eau vive de ce qui s'offre à lui, se forge une solide et vaste culture autodidacte. Pendant que le premier conflit mondial s'éternise, il fréquente des jeunes gens en commune révolte contre cette boucherie des tranchées. Dès 1918 il a commencé à écrire quelques poèmes, dont certains sont publiés dans Tribune des jeunes, une revue de tendance socialiste. Ses influences se nomment peut-être Apollinaire ou Rimbaud ; plus sûrement Laurent Tailhade, Germain Nouveau et, très certainement, ces anonymes putains des nuits de Saint Merri que le garçonnet avait contemplées du haut de son sixième étage, croisement rue des Lombards et rue Saint-Martin... Ce Fard des Argonautes, daté de 1919, et publié la même année dans la revue d'avant-garde Le Trait d'union, oscille entre illuminations d'un certain Bateau Ivre et grand fourre-tout mythologique issu des magazines à sensation. D'ailleurs, côté alexandrins, Desnos s'embrouille souvent avec la métrique et certains de ses vers ont treize pieds... À ceux qui le lui feront remarquer, intellectuels ayant digéré leurs classiques, Desnos rétorquera : « Je ne suis pas philosophe, je ne suis pas métaphysicien... Et j'aime le vin pur ». Le jeune homme n'a pas de culture savante ; il s'est construit en vrac, pataugeant dans l'immédiat de la vie qu'il mange à pleine dents, et les rêves des nuits qu'il note au tout premier réveil. « Ce que les écrivains ont à dire s'adresse à tous », répète-t-il devant les langages obscurs et les amphigouris des poètes sérieux... Son éveil à la chair ne s'est également pas fait sérieusement. Pas d'amours adolescentes ni d'ombres de jeunes filles en fleurs : c'est en plein hiver à seize ans, dans les bras d'une imposante matrone, que tout cela s'est joué.

Dans cet immédiat après-guerre, Desnos devient secrétaire de Jean de Bonnefon et gérant de sa maison d'édition. Il fréquente des gens infréquentables, des anticonformistes clopinant du côté de l'hôtel de ville. Vers 1920, grâce à l'étonnant poète Louis de Gonzague Frick, il est introduit dans les milieux littéraires modernistes. Chez Georges-Elzéar-Xavier Aubaut, homosexuel notoire et fort singulier personnage qui se farde comme Pierre Loti, se pare de bijoux et se dit ancien secrétaire de Huysmans, il rencontre Benjamin Péret et l'aventure Dada. Mais, malgré ses efforts, Desnos ne parvient pas à pénétrer ce milieu. Qui plus est, l'heure de son service militaire a sonné. Il part pour Chaumont puis au Maroc. Lorsqu'il reviendra, juste un an plus tard, les tempêtes dadaïstes auront déjà fait long feu. Pendant qu'il joue les tirailleurs entre dattiers et palmiers en s'efforçant de tromper son ennui comme il peut, à Paris, les dynamiteurs de la pensée officielle comme de l'ordre social ont lancé leurs premières grenades. Entre 1920 et 1922, le peintre Francis Picabia ouvre la voie à la rupture et André Breton lance son célèbre Lâchez tout dans le second numéro de la revue Littérature. Dada mis au rancart, une nouvelle aventure commence. Benjamin Péret avait parlé de Breton à Desnos avant son départ pour l'armée. Il lui avait décrit les furieux éclats contre son temps de ce jeune homme de vingt-cinq ans. Sans doute est-ce au cours d'une permission que le troufion Desnos établit enfin le contact avec « ces compteurs d'étoiles », selon le mot de Victor Hugo. Tout se passe alors au Certa, un bar du passage de l'Opéra aujourd'hui disparu. S'y retrouvent Aragon, Breton, Radiguet (qui mourra en 1923), Tzara, Soupault, Cendrars, Vitrac- un ami - et quelques autres. Desnos monte dans la nacelle sans se faire prier, car il a déjà expérimenté à sa façon l'écriture automatique, forme d'expression aussi peu contrôlée que possible. En 1922, c'est certain, il a rejoint l'aventure Surréaliste. L'élève se révèle fort doué. Il trouve une famille parmi tous ceux qui se reconnaissent dans Les nécessités de la vie et les conséquences des rêves, ouvrage publié par Paul Éluard en 1921. Voir au-delà ou au-dedans... Desnos s'impose immédiatement par ses exceptionnelles capacités verbales (un flot de paroles intarissable où les mots s'appellent par affinités sonores) et met sa fougue à entrer dans les expériences les plus diverses. Il participe de manière éclatante aux expériences de sommeils hypnotiques, de récits de rêves ou de phantasmes. De fait, « il parle surréaliste à volonté ».

Le rêve, cette porte ouverte sur l'inconnu, Desnos l'a déjà entrebâillée. Durant l'hiver 1918-1919, il avait noté sur son carnet : "Je suis couché et me vois tel que je suis en réalité. L'électricité est allumée. La porte de mon armoire à glace s'ouvre d'elle-même. Je vois les livres qu'elle renferme. Sur un rayon se trouve un coupe-papier de cuivre (il y est aussi dans la réalité) ayant la forme d'un yatagan. Il se dresse sur l'extrémité de la lame, reste en équilibre instable durant un instant puis se recouche lentement sur le rayon. La porte se referme. L'électricité s'éteint." Lorsqu'en 1924 paraîtra le premier numéro de La Révolution surréaliste, on pourra lire dans la préface signée Jacques André Boiffard, Paul Eluard et Roger Vitrac : "Le procès de la connaissance n'étant plus à faire, l'intelligence n'entrant plus en ligne de compte, le rêve seul laisse à l'homme tous ses droits à la liberté. Grâce au rêve, la mort n'a plus de sens obscur et le sens de la vie devient indifférent." De fait, Desnos est un voyant : il est ce medium qui, endormi, répond aux questions des assistants, amorce des poèmes ou des dessins. Lors de ces séances des sommeils, (la première a lieu chez Breton le 25 septembre 1922) il est question d'aller retrouver la liberté première de la pensée ayant élu domicile dans cet état de somnolence/rêverie que Nerval avait nommé supernaturaliste. Il est aussi celui qui ira le plus loin dans l'amour de l'involontaire et du fabuleux. Fantomas revient, à la fois magicien et sorcier et pénètre les mots. C'est l'heure où Breton annonce :"Le surréalisme est à l'ordre du jour et Desnos est son prophète."

Desnos s'installe alors dans l'atelier du peintre André Masson au 45 de la rue Blomet, à Montparnasse, près du Bal Nègre qu'il fréquente assidûment. Il s'initie à l'opium. C'est alors le temps des trois forteresses surréalistes : Breton, rue Fontaine, Aragon, Prévert, Queneau et André Thirion, rue du Château et cette rue Blomet où Desnos compte Joan Miró et le dramaturge Georges Neveux pour voisins. Clair, garni de bizarreries trouvées au marché aux puces et d'un gramophone à rouleaux, l'atelier de Desnos n'a pas de clé, seulement un cadenas à lettres dont il se rappelle la composition une nuit sur deux. De 1922 à 1923, il se livre là uniquement au travail de laboratoire dont doit résulter Langage cuit, ce que Breton appelle les mots sans rides, et à la recherche poétique. "Les Gorges froides" de 1922 en sont l'un des exemples marquants. Plus tard, c'est sans doute également dans cet antre qu'il écrira The Night of loveless nights. Ce voyage expérimental vers le verbe nouveau est une impasse, et Desnos le sait. Lautréamont ne disait-il pas "une philosophie pour les sciences existe. Il n'en existe pas pour la poésie ?" Peu importe, il faut partir sur les routes, selon le mot de Breton. Sonne l'heure des poèmes de "L'Aumonyme" et des exercices de "Rrose Selavy". Suivent "Les Pénalités de l'Enfer" (1922) et "Deuil pour deuil" (1924). Ces enfants terribles que sont les surréalistes revendiquent un esprit en ébullition perpétuelle et, pour l'heure, encore un humour sans limites. Desnos incarne cela plus que tout autre. Une anecdote de 1925 mérite d'être rappelée. Lors de la première représentation de "Locus Solus" de Raymond Roussel, la salle reste de marbre alors que le poète applaudit à tout rompre : - Ah!J'ai compris, lui dit son voisin, vous êtes la claque... - Parfaitement, répondit-il, et vous, vous êtes la joue...

Dans les années 1924-1929, Desnos est rédacteur de La Révolution surréaliste. Mais il faut bien vivre : il travaillera comme comptable des publications médicales de la Librairie Baillère, écrira sur commande pour Jacques Doucet (De l'érotisme, 1923), deviendra, pendant un moment, courtier de publicité pour un annuaire industriel, puis caissier du journal Paris-Soir. À partir de 1925, il se fait journaliste d'abord à Paris-Soir puis au journal Le Soir ; enfin à Paris-Matinal. Sur ce métier, il écrira un sanglant article pour la revue Bifur: "Le journalisme actuel n'est "journalisme" que par le nom. (...) Lecteurs, prenez garde ! L'annonce de huitième page du grand quotidien relative au fabricant de lits-cages influence le "papier" du chroniqueur de première page autant que les fameux fonds secrets et les subventions d'ambassade dont certains partis politiques ont tiré un argument facile pour discréditer leurs adversaires. Un journal, au surplus, s'écrit-il avec de l'encre ? Peut-être, mais il s'écrit surtout avec du pétrole, de la margarine, du ripolin, du charbon, du caoutchouc, voire ce que vous pensez... quand il ne s'écrit pas avec du sang !" Reste le cinéma. Desnos écrira de nombreux scénarios. S'il n'est pas un théoricien, il préconise quand même un accord entre le pamphlet, la métaphysique et la poésie. Le cinéma du rêve, Luis Buñuel ou Jean Cocteau, est encore trop pauvre pour le satisfaire, mais il fait affaire avec ce qu'il voit et multiplie les critiques. Desnos voue alors une passion à l'émouvante chanteuse de music-hall Yvonne George.

Elle est la mystérieuse qui hante ses rêveries et ses rêves et règne sur ses poèmes des Ténèbres. Il l'a probablement rencontrée en 1924. Si l'on en croit Théodore Fraenkel, l'ami fidèle, cet amour ne fut jamais partagé. Il le rêvera plus qu'il ne le vivra, source d'inspiration pour de nombreux poèmes, dont ceux de 1926, dédiés à la mystérieuse. Une occasion pour Desnos de renouer avec le lyrisme. Dès que lui parviennent ces poèmes, Antonin Artaud écrit à Jean Paulhan : « Je sors bouleversé d'une lecture des derniers poèmes de Desnos. Les poèmes d'amour sont ce que j'ai entendu de plus entièrement émouvant, de plus décisif en ce genre depuis des années et des années. Pas une âme qui ne se sente touchée jusque dans ses cordes les plus profondes, pas un esprit qui ne se sente ému et exalté et ne se sente confronté avec lui-même. Ce sentiment d'un amour impossible creuse le monde dans ses fondements et le force à sortir de lui-même, et on dirait qu'il lui donne la vie. Cette douleur d'un désir insatisfait ramasse toute l'idée de l'amour avec ses limites et ses fibres, et la confronte avec l'absolu de l'Espace et du Temps, et de telle manière que l'être entier s'y sente défini et intéressé. C'est aussi beau que ce que vous pouvez connaître de plus beau dans le genre, Baudelaire ou Ronsard. Et il n'est pas jusqu'à un besoin d'abstraction qui ne se sente satisfait par ces poèmes où la vie de tous les jours, où n'importe quel détail de la vie journalière prend de l'espace, et une solennité inconnue. Et il lui a fallu deux ans de piétinements et de silence pour en arriver tout de même à cela. » Cette mystérieuse, Desnos lui a donné un visage et une voix. Elle est cette Étoile de Mer offerte en 1928 à Man Ray. Elle est celle pour qui la plume du poète laisse couler : J'ai tant rêvé de toi, Que tu perds ta réalité... Et voici qu'elle n'est plus. Yvonne George meurt de tuberculose en 1929. Elle n'a que trente-trois ans. Desnos l'aimera désespérément au-delà de la tombe. En 1943, paraîtra l'unique roman de Desnos, Le vin est tiré, où le poète transpose son expérience tragique de la fréquentation d'un groupe d'« intoxiqués ». Ce groupe est centré sur la très belle, et très droguée, « Barbara ». Au fur et à mesure du déroulement du récit, presque tous les personnages sont tués par les drogues qu'il consomment. Quant à Youki Foujita, avec qui il vit depuis 1930, elle est représentée par la sirène. Partagé entre ces deux amours, l'impalpable et le tangible, Desnos s'est attribué la forme de l'hippocampe. En fait, il n'a jamais tranché et l'étoile est devenue sirène, ce qui se lit dans Siramour.

Il y a la chair, il y a l'amour. Entre les deux se glisse la pierre angulaire de l'érotisme. Le poète, qui a déjà narré ses convulsions sexuelles dans "Les Confessions d'un enfant du siècle" ("Révolution Surréaliste" n°6) devient Corsaire Sanglot, le héros de La Liberté ou l'Amour (1927) où la liberté des sens est totale, dans un tintamarre d'images extraordinaires et de tempêtes en tous genres. C'est la prose du scandale. Pour la société, l'œuvre sera mutilée par un jugement du tribunal de la Seine, mais l'ouvrage déplaira aussi à certains Surréalistes, qui ne voient pas dans ce texte l'audace nécessaire à toute transgression. Desnos récupéré ? Toujours est-il qu'un clivage naît. Alors que Breton va lentement s'amidonner pour finir en statue de Commandeur, Desnos nage à contre courant, toujours plus loin... C'est en 1929 que s'amorce un changement radical. Certes, on pouvait déjà en sentir les prémices dans The Night of loveless nights et Siramour, mais la corde se rompt là. André Breton est devenu une sorte de Fouquier-Tinville qui agace certains de ses amis. Desnos, auquel ce dernier reproche son narcissisme, est de ces êtres libres qui, jamais, ne plieront devant qui ou quoi que ce soit, fût-ce le rêve du surréalisme. En plus, Breton reproche au poète de faire du journalisme, sorte de tare absolue. Il y a autre chose : Breton veut entraîner les siens vers le communisme et Desnos ne franchit pas cette ligne. On ne l'embrigade pas, on ne l'encarte pas. D'ailleurs, il se sent plus rad-soc. Dans "La Révolution Surréaliste", le groupe des dissidents, passe alors à l'action. Après avoir réglé leur compte à Anatole France et Maurice Barrès, il ciblent dans Un Cadavre le Maître, devenu lion châtré, palotin du monde occidental, faisan, flic, curé ou, encore, esthète de basse-cour. La querelle est totale, infantile certes, mais mortelle.

Aragon, chargé d'exécuter définitivement Desnos, écrit, entre autres, sous le titre de Corps, âmes et biens, dans Le surréalisme au service de la révolution : "Le langage de Desnos est au moins aussi scolaire que sa sentimentalité. Il vient si peu de la vie qu'il semble impossible que Desnos parle d'une fourrure sans que ce soit du vair, de l'eau sans nommer les ondes, d'une plaine qui ne soit une steppe, et tout à l'envi. Tout le stéréotype du bagage romantique s'adjoint ici au dictionnaire épuisé du dix-huitième siècle. On dirait une vaste tinette où l'on a versé les débris des débauches poétiques de Lebrun-Ecouchard à Georges Fourest, la scorie prétentieuse de l'abbé Delille, de Jules Barbier, de Tancrède de Visan, et de Maurice Bouchor. Les lys lunaires, la marguerite du silence, la lune s'arrêtait pensive, le sonore minuit, on n'en finirait plus, et encore faudrait-il relever les questions idiotes ("combien de trahisons dans les guerres civiles ?") qui rivalisent avec les sphinx dont il est fait en passant une consommation angoissante. Le goût du mot "mâle", les allusions à l'histoire ancienne, du refrain dans le genre larirette, les interpellations adressées à l'inanimé, aux papillons, à des demi-dieux grecs, les myosotis un peu partout, les suppositions arbitraires et connes, un emploi du pluriel (...) qui tient essentiellement du gargarisme, les images à la noix, (...) ce n'est pas la façon de s'exprimer qui vaut à ce livre d'être à proprement parler un chef-d'œuvre..." Pour Desnos, il est temps de constater que Breton est dépassé, vieux, abêti et sent, effectivement, le cadavre. Avec Corps et Biens, qui parait en 1930, Desnos dresse le bilan d'une belle aventure qui s'achève. La rupture est douloureuse, Desnos se retrouve solitaire mais son chemin continue. Youki Foujita partage désormais la vie du poète. Elle en est la lumière, mais aussi le souci. Le couple quitte la rue Blomet pour la rue Lacretelle puis s'installe au 19, rue Mazarine où défilent Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, Felix Labisse, André Masson, Antonin Artaud ou encore Picasso. .

Pour Youki, il écrit des poèmes aux allures de chanson. Desnos est un grand amateur de musique. Le jazz, la salsa découverte lors d'un voyage à Cuba en 1928, le tango, le fado et les disques de Damia, Fréhel, Mistinguett et Maurice Chevalier, rengaines reflétant bien son Paris populaire, meublent sa discothèque. Mais on y trouve aussi les 78 tours de Mozart, Beethoven, Erik Satie et, surtout Offenbach. Comme pour la poésie, la musique doit parler à tous. Il s'improvise d'ailleurs chroniqueur musical. En 1932, grâce à Paul Deharme, Desnos se lance dans une carrière radiophonique où son imagination, son humour et sa parole chaleureuse vont faire merveille. Il devient vite assez célèbre et la radio lui offre des ressources que le journalisme de presse écrite (il a quitté la plupart des quotidiens pour ne plus écrire que dans des hebdomadaires édités par la NRF) ne lui assurent plus. Le 3 novembre 1933, à l'occasion du lancement d'un nouvel épisode de la série Fantômas, il crée à Radio Paris la Complainte de Fantômas qui ponctue, sur une musique de Kurt Weill une série de vingt-cinq sketches évoquant les épisodes les plus marquants des romans d'Allain et Souvestre. Antonin Artaud qui assure la direction dramatique tient le rôle de Fantômas, tandis qu'Alejo Carpentier est responsable de la mise en onde sonore. Le succès est grand. Par ailleurs, il publie la série poétique des Sans Cou (1934). En 1936, il entreprend le tour de force de composer un poème par jour. Cet exercice de refonte des écrits automatiques de l'âge d'or dure un an. Certains poèmes paraissent dans Les Portes battantes. Ce sera la seule publication de ces années de succès radiophonique.

Grâce à Armand Salacrou, il entre à l'agence Information et publicité, où il anime une équipe chargée d'inventer des slogans publicitaires pour des produits pharmaceutiques (la Marie-Rose, le vermifuge Lune, la Quintonine, le thé des familles, le vin de Frileuse). Le poète devient ensuite rédacteur publicitaire aux Studios Foniric et anime l'équipe qui invente et réalise au jour le jour les émissions diffusées sur Radio-Luxembourg et le Poste Parisien. Il cherche à la fois à faire rêver ses auditeurs grâce aux capacités suggestives de la radio et à les rendre actifs dans la communication en faisant appel à leurs témoignages. C'est ainsi qu'en 1938 Des songes remporte un grand succès en reprenant à l'antenne des récits de rêves envoyés par les auditeurs. L'expérience radiophonique transforme la pratique littéraire de Desnos : de l'écrit celle-ci se déplace vers des formes plus orales ou gestuelles. L'essentiel pour Desnos est maintenant de communiquer, et la littérature est un moyen parmi d'autres. Ainsi Desnos écrit-t-il diverses chansons de variété, interprétées par des gens comme le Père Varenne, Margo Lion, Marianne Oswald, Fréhel. Peu à peu ses projets deviennent plus importants : en collaboration avec le compositeur Darius Milhaud, il écrit des cantates comme la Cantate pour l'inauguration du Musée de l'Homme, les commentaires pour deux films de montage de J.B. Brunius (Records 37 et Sources Noires, 1937) et travaille avec Arthur Honegger et Cliquet Pleyel pour des chansons de films.

Dans cette période heureuse Desnos est conscient de la montée du fascisme en Europe. S'il s'est brouillé avec Breton et ses amis en 1927 parce qu'il refusait de les suivre dans leur engagement au parti communiste, cela ne signifie pas qu'il se désintéresse de la politique. On peut le définir comme un radical-socialiste, épris de liberté et d'humanisme. Son engagement politique ne va cesser de croître dans les années 1930, avec la « montée des périls ». Dès 1934, il participe au mouvement frontiste et adhère aux mouvements d'intellectuels antifascistes, comme l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires ou, après les élections de mai 1936, le "Comité de vigilance des Intellectuels antifascistes". Passionné pour la culture espagnole, il est très choqué par la guerre d'Espagne et le refus du Sénat d'y engager la France. Alors que la conjoncture internationale devient de plus en plus menaçante, Desnos renonce à ses positions pacifistes : la France doit, selon lui, se préparer à la guerre, pour défendre l'indépendance de la France, sa culture et son territoire et pour faire obstacle au fascisme. Aussi, en compagnon de route, accepte-t-il de prêter son concours à des manifestations des Maisons de la culture, et accepte-t-il d'écrire des critiques de disques pour le journal communiste Ce soir.

Mobilisé en 1939 Desnos fait la drôle de guerre convaincu de la légitimité du combat contre le nazisme. Il ne se laisse abattre ni par la défaite de juin 1940, ni par l'occupation de Paris, où il vit avec Youki. Son activité radiophonique ayant cessé, il redevient journaliste pour Aujourd'hui, le journal d'Henri Jeanson et Robert Perrier. Après l'arrestation de Jeanson, le quotidien est rapidement soumis à la censure allemande mais Desnos ruse, surveille ses paroles et réussit à publier, mine de rien, selon son expression, des articles de littérature qui incitent à préparer un avenir libre. Pour Desnos, la lutte est désormais clandestine. Le 20 janvier 1940, il écrit à Youki : « J'ai décidé de retirer de la guerre tout le bonheur qu'elle peut me donner : la preuve de la santé, de la jeunesse et l'inestimable satisfaction d'emmerder Hitler ». Dès juillet 1942, il fait partie du réseau AGIR, auquel il transmet des informations confidentielles parvenues au journal, tout en fabriquant par ailleurs de faux papiers pour des Juifs ou des résistants en difficulté. Ses ennemis essaieront d'ailleurs de le faire passer pour Juif, ce qui signifie la mort. En 1943, il est averti que ce réseau est infiltré (nombre de ses membres furent d'ailleurs dénoncés, arrêtés et déportés), mais il en demeure membre tout en se rapprochant, sous la recommandation du poète André Verdet, du réseau ACTION DIRECTE, créé par Marcel Taillandier. Dès lors, aux missions de renseignements qu'il effectue pour le premier s'ajoutent très certainement des missions bien plus directes et violentes.Sous son nom ou sous le masque de pseudonymes, il revient à la poésie. Après Fortunes (1942) qui fait le bilan des années trente, il s'adonne à des recherches où poème, chanson, musique peuvent s'allier. Ce sont les couplets d'État de veille (1943) ou les Chantefables (1944) à chanter sur n'importe quel air. Puis Le Bain avec Andromède (1944), Contrée (1944), et les sonnets en argot, comme Le Maréchal Ducono, virulente attaque contre Pétain, qui poursuivent, sous des formes variées, sa lutte contre le nazisme. "ce n'est pas la poésie qui doit être libre, c'est le poète", dit Desnos. En 1944, Le Veilleur du Pont-au-Change, signé Valentin Guillois, pousse son vibrant appel à la lutte générale, quand le poète est arrêté, le 22 février.

Ce jour là, un coup de téléphone d'une amie bien placée l'avait averti de l'arrivée imminente de la Gestapo, mais Desnos avait refusé de fuir de crainte qu'on emmenât Youki, qui se droguait à l'éther. Interrogé rue des Saussaies, il finit à la prison de Fresnes, dans la cellule 355 de la deuxième division. Il y reste du 22 février au 20 mars. Après d'incroyables recherches, Youki retrouve sa trace et parvient à lui faire porter des colis. Le 20 mars, il est transféré au camp de Royallieu à Compiègne où il trouve la force d'organiser des conférences et des séances de poésie (il y écrit Sol de Compiègne). De son côté, Youki multiplie les démarches dans de nombreux services de la police allemande et obtient que le nom de Desnos soit rayé de la liste des transports. Mais, le 27 avril, le poète fait partie d'un convoi de mille sept-cents hommes dont la destination est Buchenwald. Il y arrive le 12 mai et repart deux jours plus tard pour Flossenburg : le convoi, cette fois, ne compte qu'un millier d'hommes. Les 2 et 3 juin, un groupe de quatre-vingt cinq hommes, dont Desnos, est acheminé vers le camp de Flöha, en Saxe où se trouve une usine de textile désaffectée reconvertie en usine pour carlingues de Messerschmitt fabriqués par les prisonniers. De ce camp, Desnos écrit de nombreuses lettres à Youki qui, toutes, témoignent de son ardente énergie comme de son désir de vivre. Le 14 avril 1945 sous la pression des armées alliées, le kommando de Flöha est évacué. Le 15 avril, cinquante-sept d'entre eux sont fusillés. Vers la fin du mois d'avril la colonne est scindée en deux groupes : les plus épuisées - dont Desnos - sont acheminés jusqu'au camp de concentration de Theresienstadt, à Terezin (Tchécoslovaquie), les autres sont abandonnés à eux-mêmes.

À Theresienstadt, les survivants sont soit abandonnés dans les casemates et les cellules de fortune, soit expédiés au Revier, l'infirmerie. Desnos est de ceux-là. Les poux pullulent, le typhus fait rage. Le 3 mai 1945, les SS prennent la fuite ; le 8 mai, l'Armée rouge et les partisans tchèques pénètrent dans le camp. Les libérateurs traînent avec eux quelques médecins et infirmiers afin de sauver qui peut l'être encore. Sur une paillasse, en pyjamas rayés, tremblant de fièvre, Desnos n'est plus qu'un matricule. Plusieurs semaines après la libération, un étudiant tchèque, Joseph Stuna, est affecté par hasard à la baraque n°1. En consultant la liste des malades, il lit : Robert Desnos, né en 1900, nationalité française. Stuna sait très bien qui est ce Desnos. Il connaît l'aventure surréaliste ; il a lu Breton, Éluard… Au lever du jour, l'étudiant se met à la recherche du poète au milieu de deux cent-quarante "squelettes vivants" et le trouve. Appelant à l'aide l'infirmière Aléna Tesarova, qui parle mieux le français que lui, Stuna veille et tente de rassurer le moribond au péril de sa vie. Desnos a tout juste eu la force de se relever en entendant son nom et de souffler « Oui, oui, Robert Desnos, le poète, c'est moi ». Ainsi Robert Desnos sort-il de l'anonymat… Leur a-t-il laissé un dernier poème, comme on le croira ? Rien n'est moins sûr. Au bout de trois jours, il entre dans le coma. Le 8 juin 1945, à cinq heures du matin, Robert Desnos meurt. Paul Éluard, dans le discours qu'il prononce lors de la remise des cendres du poète, en octobre 1945 écrit : « Jusqu'à la mort, Desnos a lutté. Tout au long de ses poèmes l'idée de liberté court comme un feu terrible, le mot de liberté claque comme un drapeau parmi les images les plus neuves, les plus violentes aussi. La poésie de Desnos, c'est la poésie du courage. Il a toutes les audaces possibles de pensée et d'expression. Il va vers l'amour, vers la vie, vers la mort sans jamais douter. Il parle, il chante très haut, sans embarras. Il est le fils prodigue d'un peuple soumis à la prudence, à l'économie, à la patience, mais qui a quand même toujours étonné le monde par ses colères brusques, sa volonté d'affranchissement et ses envolées imprévues. » Robert Desnos est enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.

Publié dans Ecrivains

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