Enquête sur le mari de Caroline

Publié le par Le Point par Emilie Lanez

Enquête sur le mari de Caroline

L'affaire du mari de Caroline commence avec des photos, publiées dans Stern et Bild, deux revues allemandes aux couvertures volontiers topless, pas des plus fiables. Le prince Ernst-August de Hanovre, chef de la plus vieille maison ducale d'Europe, les Welfen (Guelfe en français), et nouvel époux de la princesse Caroline de Monaco, dédaigne leurs « révélations » d'un commentaire agacé sur l'analphabétisme incurable de leur lectorat. Puis vient la couverture orange acidulée du Spiegel. Là, l'affaire du mari de Caroline se corse, car le Spiegel est un magazine consciencieux, lu par plus de 1 million de ses concitoyens.

Or que découvre- t-on dans ces trois magazines ? Que les grands-parents d'Ernst-August, dont sa grand-mère Victoria-Louise, fille du dernier roi de Prusse, et son père, Ernst-August, auraient été sympathisants du régime nazi. Allégations sulfureuses. Les photos publiées sont accablantes. On y voit Leurs Altesses altières deviser dans la cour de leur château de Calenberg avec deux officiers à croix gammée, ou encore le grand-père d'Ernst-August faire le salut hitlérien, puis son père dîner en compagnie d'une brochette compassée de dignitaires du régime, le même posant au milieu de blonds membres des Jeunesses hitlériennes. On y lit que sa grand-mère, reçue par le Führer, lui cueillit un bouquet de fleurs, que le grand-père appela « à suivre le Führer ». Le mari de Caroline de Monaco, fils et petit-fils de nazi ?

L'homme est pressé. Toujours pressé. Pressé de se marier, pressé de divorcer, pressé de se remarier, pressé d'en finir avec les flashs de paparazzi insolents. Pressé de balayer d'une interview donnée dans le restaurant d'un hôtel munichois, le Rafael, les « révélations » sur le passé national-socialiste de sa famille. Ernst-August, prince de Hanovre, duc de Braunschweig, Lüneburg et Cumberland, arrive ce soir-là accompagné d'un de ses oncles, Georg-Wilhelm, un digne octogénaire. « Lui au moins a connu l'époque », glisse-t-il, délicat, à son invitée. Ernst-August de Hanovre reçoit à dîner Cornelia Böllach, une journaliste du quotidien conservateur Süddeutsche Zeitung. Il est affable, un peu tendu, un peu pressé. Il enchaîne les Dunhill Rouge, se précipite pour saisir une serviette qu'il tend à son interlocutrice prise d'une crise d'éternuement. « On dirait un grand gamin, un gosse gâté, fier de son armada d'avocats. Il ne s'est jamais préoccupé de son passé et défend sa famille en ménageant une porte de sortie », raconte-t-elle, un peu attendrie par l'impétueuse gaucherie de son hôte.

Ernst-August, 45 ans, argumente. L'engagement de son grand-père dans les Kraftfahrkorps, troupes motorisées nationales-socialistes ? « C'était une sorte d'Automobile Club », réplique-t-il. La sympathie de ses parents pour le régime ? « On ne savait pas en 1933 que Hitler allait devenir un grand salaud. » Le dîner passe. Ernst-August sort de la poche de sa veste en tweed une photo, prise, dit-il, en 1933. L'assemblée fait le salut hitlérien. Deux bras restent ostensiblement posés sur la couture droite du pantalon, celui de son grand-père et celui de son père. Une photo qu'il n'a pas jugé nécessaire de faire publier. La défense du prince de Hanovre est brouillonne, lapidaire, décidément trop pressée. Dans un premier communiqué bâclé pour apaiser la presse déchaînée, il fait dire que « sa famille était antinazie ». Les historiens se raclent la gorge. Il ajuste. « Ils étaient résistants de l'intérieur. » Les historiens s'enrouent.

« Je me demande pourquoi on fait tout ce foin autour de ce personnage d'Ernst-August de Hanovre et de sa famille, s'amuse Berndt Weissbrot, historien à l'université de Göttingen. Les Hanovre étaient, comme la plupart des familles allemandes, sympathisants du régime. Leurs enfants allaient aux Jeunesses hitlériennes comme tous les enfants allemands. Il faut cesser de faire croire, surtout en Allemagne, que le national-socialisme est une greffe venue de l'extérieur, c'est un système qui a fonctionné dans une dynamique collective. » Rudolf von Thadden, historien et directeur du centre d'études des relations franco-allemandes à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, ajoute que « les Hanovre, les familles princières étant rarement de gauche, se comportèrent comme toutes les grandes familles, à qui Hitler fit, un temps, miroiter une restauration de la monarchie, avant de les laisser choir, inquiet de leurs relations avec l'étranger ». L'aristocratie allemande, complice dès les premiers bruits de bottes ? « Non, il y eut aussi d'autres choix. Chez les Hohenzollern, famille royale de Prusse, les fils se divisèrent. Certains suivirent le national-socialisme, allié à ses débuts à une droite classique revancharde, d'autres d'emblée s'inquiétèrent et prirent leurs distances. »

Ernst-August, donc, se défend mal, alors qu'il eût pu soutenir un argumentaire, certes peu glorieux, mais néanmoins convaincant. D'abord - les détails comptent -, ces sensationnelles photos sont tout sauf inédites. « Elles furent publiées lorsque sa tante Frederika Luise épousa Paul Ier de Grèce », rappelle l'ineffable chroniqueur mondain du Figaro, Stéphane Bern. Ensuite, concernant la sympathie incriminée de ses aïeuls pour le régime hitlérien naissant, il pourrait invoquer la faute collective et la malheureuse normalité de sa famille.

Des actions bien encombrantes

Mais, pour tenir cette humble ligne de la repentance, il eût fallu deux choses. S'y connaître en histoire, d'une part. « On ne peut être le chef d'une maison royale et se réfugier derrière sa date de naissance pour invoquer une méconnaissance du passé, de l'Histoire », accuse Henry-Jean Servat, le délicieux et roué chroniqueur mondain de Paris Match. Les faits déclamés sont connus et furent, en leur temps, soumis à vérification. Le grand-père et le père d'Ernst-August se soumirent, après la défaite de l'Allemagne nazie, aux investigations de la commission de dénazification, organe chargé de mesurer l'engagement national-socialiste des citoyens allemands. Le grand-père d'Ernst-August sera, le 20 février 1947, reconnu « sympathisant » du régime national-socialiste. Deux ans plus tard, le 28 janvier 1949, le père d'Ernst-August est, lui, lavé de tout soupçon. « N'a pas soutenu le régime », assure le document officiel.

Seulement, pour défendre sa famille avec l'aisance que donne la bonne foi, il eût aussi fallu, et c'est bien là que la position d'Ernst-August est infiniment délicate, ne pas avoir conservé dans son portefeuille d'actions des biens « aryanisés », c'est-à-dire rachetés de force et à vil prix à des propriétaires juifs, conformément aux lois de Nuremberg de 1935. « Il est étonnant d'entendre le prince de Hanovre invoquer la réunion d'une commission d'historiens pour faire le clair dans cette affaire. Qu'en attendre ? On connaît tout, on sait tout, des Hanovre comme du reste et des autres », commente Berndt Weissbrot.

Des biens juifs fructueux

Les faits décrits par le Spiegel sont patents. Le 14 novembre 1938, Martin Aufhäuser, juif et jusqu'alors propriétaire d'une florissante banque munichoise, est amené par la Gestapo à un conseil d'administration forcé. Il doit passer la main « afin de libérer le secteur de la banque privée de toute influence sémite ». Le grand-père d'Ernst-August devient commanditaire de la banque Aufhäuser. Il assurera avoir agi ainsi pour sauver Martin Aufhaüser, avec lequel il entretenait des relations amicales depuis les années 20, et lui éviter une spoliation totale. Justification confirmée par le fils de Martin Aufhaüser. Seulement, Ernst-August, le fils, aurait attendu la fin des années 80 pour revendre ses parts. La Porr AG, entreprise viennoise de travaux publics, connaît un sort semblable. Le président, dont la femme est juive, doit se retirer. Ernst-August, le grand-père, reprend ses parts, en achète d'autres et se retrouve en possession de 42,7 % de la prospère société. Ernst-August, petit-fils et héritier, ne les aurait revendues, selon le magazine Bild, en passant par une banque genevoise, qu'en 1991. Vente qui aurait rapporté 350 millions de francs à la famille de Hanovre. Sombre épisode, au sujet duquel Mathias Prinz, l'avocat hambourgeois du prince de Hanovre, n'a souhaité fournir aucune explication. Silence concerté. Le prince de Hanovre fait dire par son secrétariat privé qu'il ne peut répondre, « étant en voyage ».

Ernst-August se flatte de n'entretenir avec l'Histoire qu'une liaison distante aux retrouvailles furtives. C'est être pour le moins ingrat, car celle-ci fut longtemps bonne fille à son égard. En tant que fils aîné de six enfants, elle lui offre une ribambelle de titres, parmi les plus vieux d'Europe, une place - la 74e - dans la succession au trône d'Angleterre, un nom prestigieux, une fortune considérable, une couronne ducale millénaire. Elle lui tisse une vie luxueuse, où, par magie des liens et des bourses, tout s'efface. Ou presque tout. Car elle ne put rien pour le consoler du suicide, en 1988, de son jeune frère, Ludwig-Rudolph, qui se donne la mort après avoir découvert sa femme italienne morte d'une overdose, laissant derrière lui un orphelin de 10 mois, dont Ernst-August ne parvint pas à obtenir la garde.

Le rêve de Grace de Monaco

Lorsque l'arrière-petit-fils du dernier empereur d'Allemagne, Guillaume II, est renvoyé, à 12 ans, du très huppé pensionnat de Salem, son père l'inscrit à Boxhill, un collège tout aussi huppé d'Angleterre. Lorsque le gamin s'en échappe - on dit même qu'il aurait volé un lapin, viatique pour sa fugue -, il est inscrit au Royal Agricultural College de Cirencester. Qu'il y apprenne donc son futur métier de grand propriétaire terrien. Mais Ernst-August se lance dans la production de documentaires animaliers. Part au Canada, revient à Londres. Il s'ennuie, s'amuse, collectionne les cochons et les montres, dont il fait négoce à la Watch Gallery, élégante boutique londonienne. Le prince allemand préfère les lumières de la capitale britannique aux trente pièces austères du château de Calenberg, où son père officie. Un père conscient de son rang et de ce à quoi grande noblesse oblige. « C'était un homme qui avait un très grand sens de la tradition, témoigne Charles Hargrove, le très britannique ancien correspondant du Times à Paris, qui entretint avec la famille une longue amitié. Les relations familiales étaient souvent tumultueuses. » Cet Ernst-August-là, en effet, s'acquitte de sa tâche princière avec discipline, ne se soustrayant à aucune chasse organisée dans le village voisin du château, n'échappant à aucune cérémonie locale, à aucune fanfare, à aucun flonflon. Prince de Hanovre, c'est aussi un métier. Ernst-August, lui, danse, s'amuse. Boit du whisky, croise une jeune princesse, venue faire ses études en Angleterre, une princesse brune et monégasque. « Grace de Monaco avait à l'époque beaucoup espéré que ces deux-là se marient », raconte Henry-Jean Servat. Mais Ernst-August s'entiche d'une jolie blonde, qu'il présente à Caroline. Chantal Hochüli est suissesse, roturière, richissime. Ernst-August défie son père, fâché d'une telle mésalliance au sein de la maison royale. Le fils l'épouse et, au dire de ses proches, cette femme posée, respectueuse de son entourage, le modéra. Un temps, car Ernst-August s'en lasse, deux héritiers plus tard.

Il renoue avec Caroline. Expédie son divorce en six mois, une coûteuse séparation, car sa discrète épouse s'est fait défendre par Fiona Shakleton, qui affiche à son palmarès le divorce du prince Charles. Chantal Hochüli reçoit 800 millions de francs, la splendide maison de Fulham au coeur de Londres et une ferme kenyane. Ernst-August mène sa nouvelle histoire d'amour à son rythme : tambour battant et sans souci. « On ne peut épouser la fille la plus médiatisée d'Europe et croire qu'on va continuer à profiter de la vie », s'indigne Henry-Jean Servat. Le mariage, dont le prince Rainier lui-même n'aurait eu connaissance que quatre jours auparavant, est « une formidable promotion sociale pour Caroline. La princesse sérénissime, lointaine descendante d'un pirate italien qui trucida pendant leur sommeil les moines réfugiés sur le Rocher pour s'autoproclamer prince Grimaldi, devient soudain altesse royale et cousine de la reine d'Angleterre, quelle progression ! », s'amuse le chroniqueur. Quant au prince de Hanovre, s'il n'a guère besoin d'ascension sociale, il aurait été, selon un observateur des us étourdissants de la jet-set, « happé par la volupté de paraître ». Qui le connaissait avant qu'il n'épouse Caroline ?

le « Prince la Baston »

Epouser Caroline, se dépêcher d'épouser Caroline, et ne pas inviter quelques magazines choisis, c'est s'attirer des rancoeurs. Et des curiosités que Son Altesse royale ne pourra, comme à son habitude, régler par quelques assignations devant les tribunaux, pratique qu'il partage avec sa jeune épouse. Ou pis par quelques coups de poing ou de pied rageurs, dont il est coutumier. Un tempérament musclé, fort discourtois, qui lui vaut le surnom de « prince la baston ». Il plante son parapluie dans les jarrets des photographes trop collants, menace d'empoigner un garde-côte tropézien qui l'enjoint de respecter la limitation de vitesse, expédie un reporter du journal de son fief de Calenberg à l'hôpital. Fracture du nez et commotion cérébrale.

Dans l'épreuve délicate qu'il traverse, sa famille ne lui offrira qu'un faible soutien. On la dit exaspérée, à sa manière, aristocratique et discrète. « Le mariage ne leur a pas fait plaisir, raconte encore Charles Hargrove ; ces personnes-là n'aiment pas être projetées à la devanture des journaux. » Les frères et soeurs, prévenus par un télégramme reçu le matin même, ne se déplaceront pas. Le jour des noces princières, un frère du marié assiste à un autre mariage dans une église parisienne. Ernst-August ne pourra guère se réfugier à l'abri de ses terres allemandes, où les habitants du village de Marienburg l'apprécient modérément. L'un d'eux se plaignait, dans une lettre adressée au Spiegel, de ses manières tonitruantes, de ses fanions armoriés qu'il fait dresser à son approche et du peu d'attention qu'il leur témoigne. Ernst-August et son épouse auraient d'ailleurs projeté de s'installer près de Fontainebleau, dans une demeure qu'y possède le prince Rainier. C'est là que le fils aîné de Caroline poursuit ses études.

Il ne pourra guère compter sur sa désinvolture insolente, sa gueule tannée de play-boy las, ni sur son épouse, qu'on dit « très fatiguée ». La traque des paparazzi, sans doute... Le fidèle ami de sa femme, le couturier Karl Lagerfeld, demeure muet, lui aussi. On le dit froissé, Rainier l'ayant prié de quitter sa splendide demeure monégasque, La Vigie, afin qu'elle serve de pied-à-terre au nouveau couple.

Le prince de Hanovre a toutefois un vif intérêt à apaiser la tempête médiatique. Celle-ci ne s'est pas levée par hasard. Outre le risque qu'il a pris en épousant la « une » préférée des magazines, en deuil de sa rivale Diana, il doit aussi affronter des négociations fort complexes avec le gouvernement de Basse-Saxe (voir encadré), où résidait sa famille, avant que cette région ne tombe sous la coupe communiste. C'est le Land aujourd'hui le plus pauvre d'Allemagne, auquel Ernst-August de Hanovre réclame, en toute légitimité juridique, la restitution des biens familiaux confisqués au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pas une bagatelle : 5 000 hectares de terres pour une valeur estimée à 1,65 milliard de francs, le château familial de Blankenburg, de la vaisselle précieuse, des collections de tableaux, des poêles en faïence, le cloître de Michaelstein et une douzaine de maisons de la vieille ville de Blankenburg. Or, pour pouvoir réclamer, au nom de ses ancêtres, une restitution, « il faut prouver que sa famille n'a pas activement pris part à des crimes de guerre, précise Rikman von Platten, avocat à Leipzig. Il est avéré que sa famille n'a pas été complice de crime quelconque, mais il arrive à la table des négociations précédé d'une embarrassante rumeur ». De ce fait, il marchande affaibli. Comme si l'Histoire se vengeait d'un fils à la mémoire trop sélective.

Publié dans Articles de Presse

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