Hernu agent de l'Est un nouveau document

Publié le par Roger Cousin

JournalL'Express publié le 28/08/1997

A la suite des révélations de L'Express, un livre-enquête retrace aujourd'hui la carrière de l'agent Hernu. Voici en exclusivité des extraits du chapitre qui raconte comment le dictateur roumain Ceausescu a eu entre les mains, en 1982, la fiche d' «André», alias Charles Hernu.

Hernu CharlesOctobre 1992: le chef des services secrets roumains apporte au contre-espionnage français un dossier extrait des archives de Bucarest, révélant que, pendant au moins dix ans, de 1953 à 1963, Charles Hernu a travaillé pour les services secrets bulgares avant d'être directement recruté par le KGB. Une affaire suffisamment grave pour que le directeur de la DST en informe le président de la République en tête à tête. François Mitterrand donne alors l'ordre d'enterrer le dossier au plus profond d'un coffre-fort.

Quatre ans plus tard, en octobre 1996, L'Express en révèle le contenu. Les deux auteurs de l'article, Jean-Marie Pontaut et Jérôme Dupuis, publient aujourd'hui Enquête sur l'agent Hernu (Fayard, sortie le 3 septembre), un ouvrage dans lequel ils racontent en détail les liens de Charles Hernu avec les services secrets de l'Est: son recrutement, les largesses dont il a bénéficié, ses conversations avec les Soviétiques... Les deux journalistes livrent également le récit mouvementé des dessous d'une enquête qui les a plongés au coeur des services secrets des pays de l'Est.

Parmi les éléments nouveaux contenus dans ce livre, L'Express publie un chapitre relatant comment Nicolae Ceausescu a été informé du «cas» Hernu en 1982 par une note de la Securitate (voir ci-dessous). On y suit la carrière d'agent du futur ministre français de la Défense, recruté par les Bulgares, puis pris en main par le KGB. Les Roumains, qui à leur tour l' «approchent» en 1963, se voient intimer par Moscou l'ordre de cesser toute relation avec lui. Un récit d'espionnage palpitant, qui réveille les fantômes de la guerre froide et s'interroge sur le destin du ministre de la Défense de François Mitterrand.

Exclusif : la note de la Securitate à Ceausescu

«Le 1er septembre 1982, le dossier Hernu atterrit sur le bureau du Conducator roumain, Nicolae Ceausescu. Le dictateur est alors au faîte de sa puissance et de sa mégalomanie, au point d'avoir tenté de faire assassiner quelques jours plus tôt, à Paris, un écrivain roumain en exil, Virgil Tanase. Mais le contre-espionnage français a éventé l'affaire et, au terme d'un rocambolesque feuilleton, Ceausescu fait désormais figure d'accusé. Panique au sein de l'appareil d'Etat à Bucarest! Il faut à tout prix trouver des armes pour riposter contre Paris. La Securitate rédige alors à l'intention de Ceausescu une note ultraconfidentielle.

Elle est entièrement consacrée à Charles Hernu. Longue de sept feuillets, datée du «01.09.82» et portant l'étonnant numéro 00069427, elle est précédée des mentions «Strictement secret», «De la plus haute importance» et «Exemplaire unique». Outre des passages soulignés et des noms en majuscules, elle est rédigée en gros caractères très lisibles (voir ci-contre). [...] Ceausescu, qui était myope mais refusait par vanité de porter des lunettes, exigeait en effet que les notes qui lui étaient soumises fussent rédigées en très gros caractères. Une particularité bien connue des Roumains: lorsqu'il montait à la tribune pour l'un de ces discours-fleuves dont étaient friands les ex-dirigeants de l'Est, Nicolae Ceausescu tenait à la main une monstrueuse liasse de feuillets...

On imagine aisément la stupeur du dictateur à la lecture de ce document, qui relate, entre autres, comment celui qui est alors ministre de la Défense au sein du gouvernement français remettait, moyennant finances, des notes concernant l'Otan au KGB! Le début de la note ne laisse d'ailleurs place à aucune ambiguïté: «Nous détenons des informations dont il résulte que Charles Hernu, l'actuel ministre de la Défense français, a été pris en charge par la résidence [nom donné au siège du KGB dans les ambassades] soviétique de Paris sous le nom de code ?André? à la date du 20 juin 1957, comme en témoigne la Xérocopie (photocopie) de l'original de la note des conseillers soviétiques qui se trouvaient dans notre pays à cette époque.

«Selon les documents en notre possession, Charles Hernu a été, à l'origine, en relation avec les organes de renseignements bulgares, de mars 1953 à juin 1957, par l'intermédiaire du diplomate Vinogradov, en poste en France.

«A cette époque, Charles Hernu était haut fonctionnaire au ministère du Commerce extérieur, président du Club des jacobins et membre de la franc-maçonnerie. A ce titre, il avait des liens étroits avec des personnalités politiques de premier plan de l'époque, dont les anciens présidents du Conseil Edouard Daladier, Pierre Mendès France et Guy Mollet, mais aussi avec des personnalités d'avenir comme François Mitterrand, Gaston Defferre, actuel ministre de l'Intérieur, Claude Cheysson, actuel ministre des Relations extérieures.

«[...] Le service de renseignements soviétique, ayant entrevu les perspectives d'ascension politique de Charles Hernu, l'a repris aux Bulgares. Charles Hernu a alors fourni au service de renseignements soviétique des informations et des documents secrets concernant la politique intérieure et extérieure de la France, divers matériaux élaborés dans le cadre de l'Otan, ainsi que des informations concernant le potentiel militaire français et les moyens techniques dont disposait l'armée (notamment concernant, à cette époque, l'Algérie).

«Il résulte des documents en notre possession que, en échange, les Soviétiques lui ont accordé mensuellement des sommes variant entre 1 000 et 1 500 francs (son salaire à cette époque étant de 800 francs). De plus, au mois de novembre 1958, le service de renseignements soviétique (KGB) a accordé à Charles Hernu la somme de 30 000 francs pour soutenir sa candidature aux élections législatives.»

Autre révélation de la note rédigée à l'intention de Nicolae Ceausescu: les services roumains se sont intéressés à Charles Hernu après sa nomination au ministère de la Défense en 1981, comme l'atteste l'étonnante précision suivante: «Charles Hernu a cultivé et entretenu en permanence des relations avec François Mitterrand, avec le frère de celui-ci, le général Jacques Mitterrand, président de la Société nationale de l'industrie aérospatiale, avec Gaston Defferre, ministre de l'Intérieur, Claude Cheysson, actuel ministre des Affaires extérieures, qui a une grande influence sur lui. Il a aussi associé en coulisses d'autres personnalités politiques françaises à des manoeuvres politiques, ainsi qu'à la formation de l'actuelle équipe gouvernementale française (informations obtenues après les élections présidentielles de 1981).

«[...] A la suite de manoeuvres d'Hernu, François Mitterrand a été obligé de nommer au poste de directeur général des services d'espionnage Pierre Marion, vieil ami d'Hernu. Il faut noter que, après sa nomination à ce poste, Pierre Marion, avec l'accord d'Hernu, a procédé à une série de changements à l'état-major du Sdece. [...]»

En conclusion, l'auteur de la note ultrasecrète à Ceausescu confirme que les Soviétiques ont bien ordonné aux Roumains, en 1963, de cesser toutes relations avec Charles Hernu. «Après que les organes de sécurité roumains furent entrés en possession d'informations détaillées sur Hernu, les organes du KGB ont fait croire, en avril 1963, pour se couvrir, qu'?André? avait été abandonné. Cette version a été diffusée afin que les services de renseignements des pays socialistes ignorent qu'André continuait de collaborer avec les organes du KGB.» Quel sort le dictateur roumain va-t-il réserver à cette note ahurissante?»


Publié dans Articles de Presse

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