L'opérette de Ravensbrück
Le Point publié le 23/06/2005 à 10:24
Rire de soi à Ravensbrück était victoire, sabotage, le seul possible. Germaine Tillion, 98 ans, a déjà tout dit dans ses livres
de l'enfer. Le plus bouleversant arrive : calligraphié de sa main sur un carnet (reproduit en encart du beau fac-similé des éditions de La Martinière), ce qu'elle appelle « opérette à Ravensbrück
». Un canular plutôt.
Voici aux Enfers, tel l'Orphée d'Offenbach, le verfügbar, espèce inconnue de Buffon, « née de la conjugaison d'un gestapiste mâle et d'une résistance femelle ». « Verfügbar », c'est corvéable.
Bon pour le pire. Les refrains viennent des rengaines du temps, Tino Rossi, « Phi-Phi», un chant scout... Ainsi la
mémoire triomphe de la matière, et la culture (la référence, la parodie), de l'innommable.
Bijoux, sac, bout de saucisson, tout a été enlevé. « Je croyais qu'on m'avait tout pris », chante le choeur des verfügbar, « et c'est alors qu'on m'a tondue ». Ecrire ça et le chanter le soir, du
fond de l'abîme, pardon, mais c'est plus fort que Beethoven et « Fidelio ». On lit ça et, pardon encore, on sent l'homme, même là, plus grand.