La chanson de Roland...

Publié le par Roger Cousin

JournalL'Ardennais publié le 26/06/2011 à 11H00 par Bruno Testa

Cape et d'épée. Dans « Coups et blessures » (Cherche Midi), Roland Dumas, ex-ministre de François Mitterrand et ex-président du Conseil constitutionnel, nous fait partager son galop dans la politique française depuis la Libération. Un livre plein de vigueur, d'humour et de vacheries. Où l'on découvre un Casanova passionné d'opéra et de chant. Ne termine-t-il pas ainsi son livre : « Dans la longue vie d'aventures qui fut la mienne, j'ai toujours chanté, ne vous déplaise ! »

Dumas RolandJ'avais des préventions contre Dumas. Pas Alexandre, Roland. L'ancien ministre socialiste des Affaires Etrangères, compagnon de François Mitterrand, protagoniste de l'affaire Elf, amant de Christine Deviers-Joncour, avocat de Picasso et de Giacometti, personnage sulfureux et qui ne craint pas de l'être. La légende ne dit-elle pas que Mitterrand avait deux avocats : l'un pour le droit (Badinter), l'autre pour le tordu (Dumas) ?

Eh bien à lire son dernier livre en forme de mémoires, mes préventions sont tombées. Non pas que j'adhère forcément à ce que dit notre homme. Ni que je sois dupe du beau rôle qu'il se donne. Simplement j'ai découvert un homme de panache, libre dans sa tête et son corps, plus homme du XVIIIe que de notre siècle naissant et déjà sénile. Impression de légèreté en le lisant, d'intelligence, de mouvement… Comment ne pas être séduit par l'esthète aimant à la folie les femmes mais aussi l'opéra au point d'interpréter le duo de la Bohême avec la cantatrice Mirella Freni !

Bref, rien à voir avec la sentencieuse baudruche (Badinter) « l'austère qui se marre » (Jospin), le fromage à patte molle (Hollande), le pénis sur pattes (DSK), la cheftaine (Aubry), la vierge épileptique (Royal), le sage à la grimace (Fabius) sans compter les nés vieux (Moscovici, Valls, etc.).

Comme chez Dumas (l'autre, Alexandre), on caracole, enfourche des montures, grimpe par des fenêtres, sort par des portes dérobées, jouit des instants de beauté et de bonté qui existent malgré tout dans ce monde de turpitudes.

Le pacte avec le père

Il y a dans cette écriture qui galope un peu de cette liberté enchanteresse que l'on trouve dans les Mémoires de Casanova, écrits en Français faut-il le rappeler à nos élites telles les Lagarde (sans Michard) qui se font toujours un plaisir de délaisser notre langue pour caqueter en anglais. A ce propos, sur la défense de notre langue, je vous renvoie aux extraits du livre ci-contre.

Roland Dumas n'est pas un théoricien du socialisme. Mais il a des convictions fortes héritées de la guerre. De sa famille d'abord. Son père Georges, fonctionnaire des impôts, est socialiste et résistant. Arrêté par la Gestapo, il est fusillé le 26 mars 1944 en Dordogne avec 24 autres résistants. A 22 ans, aller reconnaître le cadavre de son père, cela donne forcément un coup d'accélérateur à son histoire intime. Roland Dumas en tirera deux leçons.

La première, c'est qu'il convient d'être fidèle à la mémoire d'un homme mort pour ses idées, surtout quand cet homme est votre père. La seconde, presque contraire, que la vie est brève et qu'il faut en profiter au mépris des conventions. D'où ce tiraillement entre surmoi paternel et principe de plaisir. D'où ce personnage de dandy socialiste, en perpétuel équilibre sur un fil, qui ne cesse d'indisposer certains bien pensants de gauche, on l'a encore vu récemment quand il a rendu visite, avec Me Vergès, à l'ancien président de la Côte d'Ivoire Laurent Bagbo. Il s'en explique dans le livre, prêt à faire la preuve que l'élection a été faussée par le clan Ouattara.

Roland et Alexandre

A la différence de certains soixante-huitards qui ont délaissé le col Mao pour suivre Nicolas Sarkozy quand ce n'est pas George Bush, les convictions de Roland Dumas sur la décolonisation ou le Tiers-Monde sont intactes. On suit avec délice les coulisses des affaires étrangères. On entre avec lui dans la tente de Kadhafi, assiste aux pressions des pro-sionistes français pour que Mitterrand ne reçoive pas Arafat. Forcément, Roland Dumas a tendance à ramener la couverture à lui. C'est un peu la loi du genre. Mais il ne manque pas d'ironie sur lui-même pour que cela reste réjouissant. Comme chez Dumas, l'autre, le romancier, la petite histoire se mêle à la grande.

Les ferrets de la reine n'est-ce pas la carte bleue que Elf donna jadis à Christine Deviers-Joncour pour essayer de corrompre le ministre des Affaires étrangères ? Avec cette dernière, Dumas n'est pas tendre, à la limite même de la goujaterie. Mais bon, comme l'auteur ne prétend pas au premier prix de vertu ni au brevet de féminisme, on s'en accommode. D'autant que la « putain de la République » comme elle s'est elle-même surnommée a parfois donné le bâton pour se faire battre. Il n'est pas tendre non plus avec la juge d'instruction Eva Joly, qui n'était pas encore la militante Europe Ecologie que l'on connaît. Ce qui peut se comprendre. Entre le séducteur français et la luthérienne danoise, seuls les dés pouvaient être pipés.

En revanche, même s'il épingle parfois le cynisme du bonhomme, Mitterrand aura été son grand homme. Le sous-titre du livre n'est-il pas : « 50 ans de secrets partagés avec François Mitterrand ». On a dit de Mitterrand qu'il était un personnage de roman. Roland Dumas aussi. Je pense même que la vie de Roland aurait intéressé Alexandre.


Publié dans Articles de Presse

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