La nouvelle vie de Lucien Léger

Publié le par Roger Cousin

JournalL'Express publié le 16/03/2006

Leger LucienAssis sur son lit, une pipe à la bouche, un petit homme aux cheveux grisonnants regarde un DVD du groupe rock Placebo, très prisé des ados. Depuis sa libération le 3 octobre 2005, Lucien Léger se bâtit une nouvelle vie au deuxième étage de la maison en pierres grises de son ami Lucien Bernhard, boulanger à la retraite. L'ex- «détenu le plus ancien de France», comme le baptisa la presse, a passé quarante et un ans derrière les barreaux pour le meurtre d'un enfant de 11 ans.

Sur les murs de sa chambre, il a épinglé les portraits d'artistes et d'intellectuels «anarchistes» qui décoraient sa dernière cellule: Rimbaud, Verlaine, Bakounine ou Ferré. Sur les rayonnages, des CD de l'actuelle icône de la mode gothique Marilyn Manson ou du groupe de hard rock AC/DC côtoient des disques de Jacques Lantier. Une grande télévision à écran plat, cadeau de départ de ses amis détenus, complète le décor. Peu à peu, Lucien Léger reprend pied dans le monde moderne. Sans renier le passé.

«Tout ce que je veux, c'est vivre ma vie tranquillement.» Pour l'heure, Lucien Léger y parvient assez bien. Dans la journée, ce sexagénaire au visage creux et au regard vif règle ses problèmes de Sécurité sociale, répond aux nombreux courriers de soutien, jette au panier les lettres de menace de mort anonymes. «Ces gens-là sont mal dans leur peau. Leurs attaques ne m'atteignent pas.» Il descend prendre les repas avec ses hôtes, qui ne retournent à l'étage que lorsque leur locataire les y «invite». Autour de la table, un autre convive prend place: «Un gars en situation précaire», explique Lucien Bernhard. «Saint Bernhard», faudrait-il presque dire, tant l'ex-boulanger et sa femme ont fréquemment ouvert leur porte aux gens dans le besoin. Lucien Léger a rencontré le couple en prison, par le truchement d'un ami commun prêtre. Aujourd'hui, privé de ses parents, de son frère et de sa femme, décédés durant sa détention, il a trouvé chez les Bernhard une nouvelle famille.

C'est jour de kermesse à l'école publique de Landas. «On s'en fout de Léger! Allez voir ailleurs ce qu'ils en pensent!» fulmine un père de famille. Dans ce bourg de 2 400 âmes traumatisé par les hordes de journalistes qui ont déferlé après la libération du fameux détenu, mieux vaut ne pas aborder le sujet «Lucien Léger». La plupart des habitants passent leur chemin. «Tant qu'il n'y a pas de problèmes, Lucien Léger est quelqu'un comme tout le monde», finit par lâcher une femme dans la rue. M. le Maire, Camille Mollet, l'affirme: «Tout est calme.»

Il faut dire que ce voisin tristement célèbre cultive la discrétion. Lucien Léger n'arpente les rues du village que pour acheter son journal. Deux fois par semaine, il se rend à la Croix-Rouge de Douai pour préparer des repas et distribuer des vêtements. Il y travaillait déjà comme bénévole avant son arrestation. Que pense-t-il de la France de ce IIIe millénaire, lui qui vient de vivre une parenthèse de quatre décennies? «J'ai eu tout le temps de m'informer, avec la presse, la radio, la télévision», assure-t-il, en citant des événements, qui ne datent toutefois pas d'hier: Mai 68, le départ de De Gaulle, le premier homme sur la Lune ou la première opération du coeur. Le TGV, Lucien Léger connaît: il l'a pris à plusieurs reprises pour aller voir sa soeur et sa nièce. Et puis il était «déjà monté des dizaines de fois, par l'intermédiaire du petit écran», dit-il. Avant d'ajouter, sur un ton un peu volontariste: «J'ai repris ma vie comme je l'avais quittée en sortant.» Mais, qu'il le veuille ou non, son quotidien a changé, lui, ponctué d'obligations qu'il devra remplir pendant les dix prochaines années: trois entretiens devant le juge d'application des peines et une visite par mois chez le psychologue.

Son rêve? Finir la thèse qu'il avait commencée en prison, sous le titre: «Croire et savoir». Un sujet tout sauf anodin pour un homme qui a toujours clamé son innocence. Lucien Léger en avait parlé à Michel Foucault, avec lequel il avait noué des contacts depuis sa cellule. «Un bon objet de recherche», lui avait répondu le philosophe.


Publié dans Articles de Presse

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