La saga des grandes familles: celles qui perdurent
publié le 07/10/2013 à 10h58 par Stéphanie Benz
Installées dans le paysage économique français depuis parfois plus d'un siècle, elles racontent par leur histoire les vicissitudes du capitalisme moderne.
Aujourd'hui encore, c'est une petite-fille de la famille fondatrice des Galeries Lafayette qui préside le conseil de surveillance du groupe.
Les Louis-Dreyfus: une "tsarine" et trois héritiers
À la veille de la guerre, Louis-Dreyfus est déjà mondialisé et diversifié. Créé en 1851 par Léopold Louis-Dreyfus, le groupe, négociant en céréales, dispose d'un réseau d'agents commerciaux
partout dans le monde. Depuis 1903, il s'est aussi fait armateur, en se dotant de sa propre flotte de cargos, et banquier, avec le rachat de la Banque Samuel.
La Grande Guerre profitera à l'entreprise, qui fait de très bonnes affaires en participant au ravitaillement de l'armée française. Toujours dans le giron familial, la société poursuivra ensuite
son expansion, jusqu'à devenir un véritable empire, affichant l'an dernier un chiffre d'affaires de 57 milliards de dollars et des profits de 1 milliard de dollars. Depuis 2009, Louis-Dreyfus est
aux mains de Margarita, la veuve d'origine russe de Robert (l'arrière-petit-fils de Léopold), qui entend bien transmettre le groupe à ses trois enfants.
Les Rothschild: un patronyme synonyme de l'élite bancaire
En 1914, cela fait déjà presque un siècle que le nom des Rothschild est synonyme de pouvoir et d'argent. Certes, en ce début de XXe siècle, la banque n'occupe plus le rang de premier
établissement d'Europe qui était vite devenu le sien après sa fondation, en 1818, par le baron James. "Mais elle figure encore parmi l'élite bancaire, malgré la concurrence des grands
établissements de crédit", note l'historien Christophe Lastécouères (Dictionnaire historique des patrons français, Flammarion).
A cette époque, les Rothschild se font également producteurs de pétrole (en Russie, jusqu'en 1912), transporteurs, avec la gestion de la Compagnie des chemins de fer du Nord (la première
compagnie française), mais aussi philanthropes et grands défenseurs de la communauté juive. Ils comptent bien entendu des représentants parmi les 200 plus gros actionnaires de la Banque de
France, et il y a parmi eux des hommes politiques, parfois à gauche - l'un d'eux aurait même financé la création de L'Humanité de Jaurès !
Par la suite, l'histoire familiale connaîtra de nombreux rebondissements, résumés par ce cri du baron Guy à la une du Monde, en 1981 : "Juif sous Pétain, paria sous Mitterrand, pour moi cela
suffit. Rebâtir sur les décombres deux fois dans une vie, c'est trop." Mais très vite après la nationalisation de la banque, son fils, David, remontera une banque d'affaires, qu'il dirige
toujours. De tous ses lointains cousins, il est le seul, avec Benjamin (Cie E. de Rothschild) à être encore dans la finance.
Les Peugeot: rattrapés par la crise
Pour les Peugeot, le début de la Grande Guerre marque un vrai tournant. Cette famille d'industriels, dont la première usine a été construite en 1802, apprend que Pierre, Robert et Jules, les
trois frères qui ont succédé à leur oncle Armand à la tête de la "SA des automobiles et des cycles Peugeot", sont mobilisés comme officiers. Le conseil de gérance délègue alors la direction
opérationnelle de l'entreprise à un comité composé de personnalités extérieures à la famille.
C'est une première, et elle sera convaincante, puisque Robert, revenu de la guerre, garde auprès de lui certains de ses membres. Ensuite, dès l'entre-deux-guerres, les Peugeot prendront
l'habitude de confier la gestion de leur maison à un manager. Là réside sans doute une des explications de la longévité de la dynastie. Pas sûr, toutefois, que cela suffise à assurer l'avenir :
la famille, encore propriétaire de 25,44 % de PSA, pourrait bien être obligée de passer la main et de vendre ses parts face à l'ampleur de la crise que traverse le groupe.
Les Moulin: ils sont restés fidèles aux Galeries Lafayette
Créées en 1893 par deux Alsaciens, les Galeries Lafayette, dernières-nées des grands magasins, se développent très vite au tournant du siècle. Elles profitent de l'apparition d'un embryon de
société de consommation dans la capitale, porté par l'amélioration des conditions de vie des Parisiens. A tel point qu'en 1912 les deux fondateurs, Théophile Bader et Alphonse Kahn, inaugurent la
mythique coupole de leur vaisseau amiral, ainsi que de nombreux agrandissements.
Par la suite, l'enseigne restera dans les mains des descendants de Théophile Bader - une exception dans cet univers. En 2005, au terme d'une bataille homérique, une de ses petites-filles finira
par céder ses parts. Mais, aujourd'hui encore, c'est son autre petite-fille, Ginette Moulin, qui préside le conseil de surveillance du groupe. Et, comme à chaque génération (le fait est assez
rare pour être noté), elle en a confié la direction opérationnelle à ses gendres.