Lebrun Albert
Albert Lebrun, né le 29 août 1871 à Mercy-le-Haut (alors en Moselle) et mort le 6 mars 1950 à Paris (16e), est un homme d'État français, président de la République française du 10 mai 1932 au 11 juillet 1940. Ingénieur de formation, il entame sa carrière politique en Meurthe-et-Moselle, d'abord comme conseiller général puis comme député. Il fait partie de plusieurs gouvernements de la Troisième République, en tant que ministre des Colonies (1911-1912 et 1913-1914), de la Guerre (1913), des Régions libérées (1917-1919). Proche de Georges Clemenceau puis de Raymond Poincaré, il entre au Sénat en 1920 et en devient l'un des membres les plus influents jusqu'à en être élu président, en 1931. En 1932, après l'assassinat de Paul Doumer, il est élu à la présidence de la République.
Son premier mandat est marqué par une instabilité politique chronique, la succession de plusieurs gouvernements et les événements du 6 février 1934, qui le conduisent à désigner un cabinet d'union nationale ; en outre, il ne peut empêcher l'accession au pouvoir du Front populaire et de son chef, Léon Blum, dont il exècre le programme. À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, apparaissant comme une figure de consensus, il accepte de briguer un second mandat, fait unique sous la Troisième République depuis Jules Grévy. Réélu, il voit sa présidence abrégée un an plus tard avec l'instauration du régime de Vichy par Philippe Pétain, à la suite de la signature de l'armistice avec l'Allemagne, auquel il était opposé. Il est alors placé en résidence surveillée jusqu'à la Libération, lors de laquelle le général de Gaulle assure la fonction de chef de l'État alors qu’il souhaitait terminer son second mandat présidentiel.
Fils d'Ernest Lebrun, cultivateur et maire de Mercy-le-Haut, et d'Anne Marie Navel, Albert François Lebrun, remarqué par son instituteur qui lui reconnaît de grandes qualités, part faire ses études au lycée de Nancy. Brillant élève, il est récompensé par l'obtention de nombreux prix et ses résultats lui valent d'entrer à l'École polytechnique, au sein de la promotion X1890 ; entré 230e, il en sort major et choisit le Corps des mines, ce qui le conduit à effectuer des études à l'École des mines, en 1896, dont il sort aussi major. Ingénieur des mines à Vesoul, puis à Nancy, il épouse Jeanne Marguerite Nivoit le 5 février 1902, dans le 7e arrondissement de Paris ; de ce mariage naissent deux enfants, prénommés Jean (1902-1980) et Marie (1904-1984).
Parallèlement, il a entamé sa carrière politique dans son département natal, la Meurthe-et-Moselle, comme conseiller général d'Audun-le-Roman ; il devient, en 1906, le président du Conseil général, une fonction qui favorise son ascension politique nationale, notamment lorsqu'il devient, en 1900, le plus jeune parlementaire de France en étant élu député de la circonscription de Briey contre François de Wendel. Il est constamment réélu jusqu’en 1920, avec une interruption pour partir au front à Verdun comme commandant d'artillerie en août 1914. Il est ensuite sénateur de 1920 à 1932. Durant ses mandats, il est président ou rapporteur général dans les deux Chambres d'importantes commissions (Budget, Armée, Colonies). Membre de l'Alliance républicaine démocratique, souvent classé à tort comme appartenant à la gauche démocratique, Albert Lebrun est un modéré du centre puis de droite, ouvert aux revendications sociales mais inquiet des menées révolutionnaires. Catholique pratiquant, il vote contre la loi sur les associations de 1901, pour la loi de séparation de l'Église et de l'État mais s'oppose à ses mesures les plus répressives.
Ministre des Colonies à plusieurs reprises dans les gouvernements Caillaux, Poincaré et Doumergue, entre 1911 et 1914, Albert Lebrun joue un rôle important dans le coup de force d'Agadir (1er juillet 1911), préférant céder une partie du Congo à l'Allemagne pour gagner en échange un protectorat au Maroc et éviter un conflit avec l'Allemagne (affaire du « bec de canard »). Brièvement ministre de la Guerre en janvier 1913, il participe activement à la reconstruction de la France comme ministre du Blocus et des Régions libérées de 1917 à 1918 puis des seules Régions libérées de 1918 à 1919, dans le gouvernement Clemenceau. Il met en œuvre son goût prononcé pour l'économie et sa vocation première d'ingénieur.
En 1919, un désaccord avec Georges Clemenceau sur la présence de Louis Marin, qui avait voté contre le traité de Versailles, sur une liste commune qu'il conduisait pour les élections législatives dans son département, l'amène à démissionner du gouvernement. Dans les années 1920, il représente la France à la Société des Nations. Président de la Caisse d'amortissement de 1926 à 1931, il participe avec son ami et compatriote lorrain Raymond Poincaré au redressement du franc. Il préside également le conseil d'administration de l'Office national des mutilés et réformés de guerre et fonde avec d'autres amis l'Académie des sciences coloniales. Il est élu président du Sénat en 1931, par 147 voix contre 139 à Jules Jeanneney.
Le 10 mai 1932, après l'assassinat du président Paul Doumer, il est élu président de la République. Sa première élection a ceci de particulier qu'elle intervient avant que la nouvelle Chambre des députés, qui vient d'être renouvelée, ait pris officiellement ses fonctions ; c'est ainsi que de nombreux députés battus participent au vote : il est élu par une Chambre de droite alors que la gauche a remporté les législatives. Sa fonction l'oblige à subir une présidence qui lui laisse en fait peu de marge de manœuvre pour intervenir dans le débat politique. Il voit monter le péril allemand et soutient les propositions de réforme. En 1934, pour surmonter la crise du 6 février, il nomme l'ancien président de la République Gaston Doumergue à la présidence du Conseil.
Certains caricaturistes (comme Sennep), pour souligner l'émotion qu'il aurait ressentie lors des événements du 6 février 1934, s'amusèrent à le représenter dans un lac de larmes. Une particularité physique faisait en effet que des larmes coulaient de ses yeux plus facilement que chez d'autres personnes. En 1936, opposé au Front populaire, il accepte néanmoins, après avoir tenté de l'éviter, de nommer le chef de la majorité, Léon Blum, à la présidence du Conseil et signe « la mort dans l'âme », comme il le dit, les grands textes de cette majorité politique, sans se priver régulièrement de faire des remontrances au Gouvernement et à ses ministres sur la politique conduite.
En vue de l’élection présidentielle de 1939, il est persuadé d'être un recours face aux périls éminents et obtient le soutien de plusieurs personnalités de poids, comme Édouard Herriot et Jules Jeanneney. Le 5 avril 1939, il est réélu président de la République au premier tour, avec 506 voix sur 904, soit 56 % des suffrages. Son principal adversaire, le candidat SFIO, Albert Bedouce, obtient 151 voix (16,7 %). Le 6 avril 1940, il signe le décret qui interdit la circulation des Nomades. En juin 1940, avec Paul Reynaud, il est partisan du départ du Gouvernement pour l'Afrique du Nord et est opposé à l'armistice. Il est cependant conduit, devant le courant majoritaire, à appeler le maréchal Pétain à la présidence du Conseil et le met en garde, en vain, contre l'influence néfaste de Pierre Laval. Il refuse de démissionner et Pétain l'écarte du pouvoir par les Actes constitutionnels nos 1 et 2 et du 11 juillet 1940, pris à la suite du vote des pleins pouvoirs constituants du 10 juillet 1940.
Il se retire alors à Vizille (Isère) chez son gendre, Jean Freysselinard. Placé en résidence surveillée par les Italiens, ces derniers, au moment de quitter la région, lui conseillent sans succès de partir car les Allemands vont venir les remplacer. Contacté par la Résistance pour une exfiltration en Algérie, peut-être parce que Roosevelt veut le remettre en fonction comme président pour écarter le général de Gaulle qu'il n'aime pas, Lebrun refuse. Mais Hitler préfère le faire enlever par la Gestapo, le 27 août 1943, avec André François-Poncet ; envoyé au château d'Itter dans le Tyrol autrichien de septembre à octobre 1943, il y retrouve de nombreux hommes politiques également pris en otage. Lorsque sa santé se dégrade, il est renvoyé en France. Le mandat de président de la République d'Albert Lebrun finissait le 10 mai 1946.
Le général de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la République française, le reçoit le 13 octobre 1944. D'après le récit que de Gaulle en fait dans ses Mémoires de guerre, durant l'entrevue, le président Lebrun lui indique son approbation : « J'ai toujours été, je suis en plein accord avec ce que vous faites. Sans vous, tout était perdu. Grâce à vous tout peut être sauvé. Personnellement, je ne saurais me manifester d'aucune manière, sauf toutefois par cette visite que je vous prie de faire publier. Il est vrai que, formellement, je n'ai jamais donné ma démission. À qui d'ailleurs, l'aurais-je remise, puisqu'il n'existait plus d'Assemblée nationale qualifiée pour me remplacer ? Mais je tiens à vous attester que je vous suis tout acquis. »
Suit un échange de points de vue sur les événements de 1940 au cours duquel le président formule ses profonds regrets d'avoir nommé le maréchal Pétain président du Conseil, le 16 juin, à la suite de la démission de Reynaud, indiquant que ce qui avait emporté sa décision (comme celle de la majorité du Conseil des ministres) fut la position catégorique de Weygand concernant la demande d'armistice. De son point de vue et de celui de quelques autres (Reynaud, Jeanneney, Herriot, Mandel et de Gaulle), la poursuite de la lutte aurait été possible depuis l'Afrique du Nord et l'Empire. Le général prend congé en remerciant le président Lebrun. Il commente cet entretien ainsi : « Au fond, comme chef de l'État, deux choses lui avaient manqué : qu'il fût un chef ; qu'il y eût un État. » Cette dernière citation est à replacer dans le contexte des institutions de la Troisième République, le président de la République n'avait alors qu'un pouvoir limité — le pouvoir exécutif étant détenu par le président du Conseil — et dans celui de la période d'effondrement de l'État, de juin 1940, ainsi que de ce que l'on sait de la politique du général de Gaulle concernant les pouvoirs présidentiels et les institutions de la République.
Il est témoin aux procès de Pétain (23 juillet – 15 août 1945) et de Laval (5 – 9 octobre 1945). Après la guerre, il donne des conférences sur la IIIe République et la sidérurgie, et, au retour d'une d'entre elles, ayant pris froid, il meurt d'une pneumonie en 1950 dans l'appartement qu'il loue, 19, boulevard de Beauséjour (16e arrondissement de Paris), où une plaque rappelle son passage. Des obsèques nationales à Notre-Dame de Paris sont organisées et il est inhumé dans le cimetière de Mercy-le-Haut, où est érigé un monument à sa mémoire.
- Chevalier de la Légion d'honneur en 1930
- Grand-croix de la Légion d'honneur en 1932 et Grand maître de la Légion d'honneur de 1932 à 1940 en tant que président de la République
- Ordre Suprême du Christ (Saint-Siège) en 1935.