Les fantômes d'Oradour

Publié le par L'Express par Jean-François Mondot

Les descendants des villageois massacrés en 1944 par la division Das Reich peuvent-ils pardonner aux «malgré-nous» alsaciens qui accompagnaient les bourreaux? Rien n'est moins sûr.

Les fantômes d'Oradour
Les fantômes d'Oradour

Le 10 juin 1944, en deux heures, la division SS Das Reich met fin à l'existence du village d'Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) et à celle de 642 de ses habitants. Parmi les soldats allemands, 13 Alsaciens. Entre Oradour, murée dans sa douleur, et l'Alsace, recroquevillée sur le sentiment d'avoir été injustement accusée, aucun rapprochement n'avait été possible pendant cinquante-quatre ans. La venue du maire de Strasbourg, Roland Ries, le 10 juin, est la première visite officielle d'un élu alsacien depuis la guerre.

S'il ne s'était agi que de pardon, les choses seraient allées vite: les Allemands qui se rendent à Oradour chaque année ne sont pas accueillis par des pierres. Mais l'Alsace considère qu'elle est une victime: sur les 13, un seul s'était engagé volontairement, les autres étant des «malgré-nous», incorporés de force par les nazis. C'est pourquoi le maire de Strasbourg refuse toute repentance: «Je me rends là-bas pour partager la douleur des familles qui ont été victimes de ce crime contre l'humanité. Mais je ne peux pas dire que je viens demander pardon, car ce serait accepter la culpabilité de l'Alsace.»

Pour tisser des liens entre Strasbourg et Oradour, il a fallu une prudence de diplomate. La première étape est la visite d'un groupe de 12 jeunes Alsaciens à Oradour, à Pâques dernier. Puis le maire d'Oradour, Raymond Frugier, est invité par celui de Strasbourg, le 24 avril. Ries, fils d'un malgré-nous alsacien ayant combattu sur le front russe, et Frugier, qui, enfant, échappa de justesse au massacre, se comprennent. «Nous nous sommes parlé de ce que nous avions vécu personnellement, sans trop nous étendre, car nous sommes tous les deux assez pudiques», résume Frugier. Ries, lui, trouve les gestes qui touchent: «Le jour de mon départ, il est venu me chercher à l'hôtel pour m'accompagner à l'aéroport», raconte Frugier.

Les deux hommes décident d'abord de se revoir à Oradour le 8 mai, puis la date du 10 juin, jour anniversaire du massacre, est retenue, pour rendre le geste plus éclatant. Mais Ries annonce qu'il viendra en compagnie de malgré-nous, ce qui provoque à Oradour de vives réactions. «Quand je suis rentré le soir, des membres de l'Association des familles des martyrs m'attendaient devant ma mairie et voulaient des explications», raconte Frugier.

Menacé d'un boycottage de la cérémonie, il doit mettre les choses au point: les malgré-nous peuvent venir à Oradour à titre individuel, mais aucun ne sera invité de manière officielle le 10 juin. «Je n'avais pas bien mesuré combien la question restait sensible là-bas», avoue Ries. La réconciliation est néanmoins en bonne voie, avec des projets communs: «J'envisage de participer au mémorial sur la Seconde Guerre mondiale qui sera construit à Oradour l'année prochaine, annonce Ries. Cela montrerait que les Alsaciens ont la volonté de maintenir le souvenir.»

Publié dans Articles de Presse

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