Les frasques de la maison Windsor
L'Express publié le 04/09/1997
Que reste-t-il de l'austère et autoritaire Victoria, qui légua un solide royaume à son fils Edouard VII? Des fastes, une immense richesse, mais une Couronne aujourd'hui encore secouée par la
confusion des sentiments
Si l'on en croit la prophétie de Charles II, l'avenir de la Couronne britannique serait lié à la présence, dans la Tour de Londres, de six corbeaux. Or, par deux fois, cet été
et en 1995, année du divorce annoncé du prince et de la princesse de Galles, l'un de ces volatiles aux ailes rognées, superstition oblige, est passé de vie à trépas. Grâce au décret signé en 1662
par ledit roi, les corvidés ont été immédiatement remplacés. Ce qui n'a pas empêché les experts d'y voir un mauvais présage, en cette fin de siècle où la maison Windsor vit des années de plus en
plus «horribilis».
Ce siècle avait un an à la mort de la reine Victoria. Fille unique du duc de Kent et de la princesse de Saxe-Cobourg, celle qui laissera soixante-quatre ans plus tard un Empire à son apothéose
hérite à 18 ans, en 1837, d'une monarchie ébranlée par les frasques de son oncle Guillaume IV. Volontaire mais fade et sans charme, excentrique à sa manière, gelée, elle s'éprend deux ans plus
tard, dès leur première rencontre, du neveu de sa mère, le prince de Saxe-Cobourg. «Si excessivement beau...», note-t-elle dans son Journal, le 10 octobre 1839, que, en reine sûre de ses
privilèges, cinq jours plus tard, elle demande en mariage celui qui deviendra son prince consort et son meilleur soutien. Ils furent heureux et eurent neuf enfants. Si heureux qu'à la mort de son
mari la reine, âgée de 42 ans, s'enferme dans un veuvage rigoureux.
Se complaisant dans une dévotion morbide, à l'origine de ce puritanisme, symbole de l'ère qui porte son nom, dans lequel la bourgeoisie conventionnelle va s'engouffrer aveuglément. Car c'est
moins par refoulement des plaisirs du corps que par désespoir que Victoria vit dix ans entre le château de Windsor et celui de Balmoral, en Ecosse, immense demeure sévère et glacée où elle
installe ses quartiers d'été de veuve inconsolée. Une retraite saluée par les critiques acerbes de ceux qui remettent, déjà, en question les dépenses d'une monarchie un temps trop absente. Reine
du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, mais aussi impératrice des Indes à partir de 1876, grâce à Disraeli, le seul qui saura la faire sourire, celle qui institue le We (Nous) impérial
et rétablit le rituel royal laisse les politiques gouverner. Mais, en famille, c'est elle qui décide. Austère et autoritaire, elle marie ses enfants aux têtes couronnées du Continent, ce qui lui
vaudra le surnom de «grand-mère de l'Europe». A sa mort, la «veuve de Windsor», comme la nommera Kipling, laisse un empire en deuil d'une «mère» vénérée et une couronne solide au prince de
Galles, ce fils aîné qu'elle a toujours méprisé et qui n'attend même plus son heure.
Mari volage, il aime les cocottes
Le règne d'Edouard VII sera bref. Neuf ans à peine avant qu'un coup de froid fatal attrapé à Biarritz emporte le père spirituel de l'Entente cordiale vers son destin final. Ecarté des affaires
par sa mère, il s'est spécialisé en frivolité. Mari volage, il aime les cocottes et les dîners chez Maxim's, grisé par l'atmosphère légère de la Belle Epoque. Mais ses tempêtes conjugales sont
passées sous silence. Car son règne connaît l'avènement des journaux dits «populaires», qui ne sont pas encore à l'affût des palpitations royales, mais remplacent avantageusement les revues
intellectuelles, lesquelles n'épargnaient aucune critique à la monarchie. En effet, ironie de l'Histoire, le Daily Mail, qui tire à 700 000 exemplaires, fait de la cour un tabou et l'assure de sa
discrétion. Pour un temps... Car, près d'un siècle plus tard, cette même presse se nourrira de ses amours. Frivole peut-être, mais plus libéral que ses prédécesseurs, Edouard VII sera le premier
monarque moderne.
Pour George V, jeux, femmes et boissons ne font pas partie du décor. Militaire, pas très brillant mais discipliné, il aime la vie de famille. Abandonnant en 1917 la référence dynastique
germanique à la maison de Saxe-Cobourg-Gotha, il est le fondateur de ce qui dorénavant s'appellera «the House of Windsor». Décidant que les descendants de la reine Victoria, qui étaient aussi
citoyens anglais, porteraient le nom du château où en son mausolée reposent cette dernière et son prince. C'est ce nom qui sera attribué, en 1936, à son fils le roi Edouard VIII. Sans grande ambition, le vieux jeune homme au sourire de petit garçon triste règne moins d'un
an avant d'abdiquer. Par amour pour Wallis Simpson, cette Américaine deux fois divorcée, certes. Mais aussi
poussé dans ses retranchements pour cause d'indulgence et même de connivence avec une Allemagne devenue nazie.
Signe du destin. Au moment où la cour d'Angleterre est à nouveau ébranlée par ce qui l'a toujours secouée - les sentiments - les collections «privées et publiques» du duc et de la duchesse de
Windsor devaient être dispersées au cours d'une vente aux enchères orchestrée par Sotheby's, à New York. A partir du 11 septembre et pendant neuf jours. Du moins, c'est ce qui était prévu jusqu'à
l'accident fatal de Diana...
40 000 objets, un bric-à-brac qui, en dehors du bureau où Edouard VIII a signé son abdication, va des
mouchoirs aux bergères qui meublaient leur demeure à l'orée du bois de Boulogne. En passant par les souliers dans lesquels ils ont promené leur vie d'exilés sans but autre que l'élégance des
apparences érigée en art de vivre. La plupart de ces objets, écuelles de leurs carlins adorés compris, sont marqués, brodés, frappés de leurs armes. Comme si cette couronne qu'Edouard aura portée
moins d'un an et ce titre d'altesse royale auquel la duchesse n'aura jamais eu droit leur étaient restés en travers du décor. Leur histoire avait tous les ingrédients d'un conte de fées. Sauf les
enfants. Faute de descendants, la duchesse, à sa mort, lègue tout à l'Institut Pasteur.
Et c'est là qu'intervient Mohamed al-Fayed, récent propriétaire de cette collection. Lui dont le fils unique, Dodi, vient de mourir au côté de la princesse Diana, alors qu'ils se rendaient dans
cet hôtel particulier qui a hébergé le couple mythique des Windsor. Et où, aujourd'hui, vit la famille al-Fayed. Lui, le millionnaire égyptien qui a toujours rêvé de s'approcher de la couronne,
ce symbole gravé sur le passeport que le gouvernement lui refuse. Lui dont le fils a peut-être fait définitivement basculer le destin de la cour d'Angleterre. Et dont le nom sera à jamais lié à
cette famille sur le déclin.