Les riches secrets de la Françafrique

Publié le par Vincent Hugeux et Boris Thiolay

Les riches secrets de la Françafrique

Les déclarations de Robert Bourgi sur des livraisons d'argent au clan chiraquien ont relancé les soupçons: à qui ont profité les largesses de certains présidents africains?

French-Lebanese lawyer Robert Bourgi answers to journalists questions outside Europe 1 radio station on September 12, 2011 in Paris. Bourgi, a lawyer with a network of African contacts, declared today he had personally handed over $20 million dollars in cash coming from several presidents of France's former African colonies, to French former president Jacques Chirac and his close ally Dominique de Villepin. AFP PHOTO / JOHANNA LEGUERRE  AFP

French-Lebanese lawyer Robert Bourgi answers to journalists questions outside Europe 1 radio station on September 12, 2011 in Paris. Bourgi, a lawyer with a network of African contacts, declared today he had personally handed over $20 million dollars in cash coming from several presidents of France's former African colonies, to French former president Jacques Chirac and his close ally Dominique de Villepin. AFP PHOTO / JOHANNA LEGUERRE AFP

Le 8 juin 2009, la Françafrique est en deuil. Cette nébuleuse opaque et anachronique, ligue de réseaux politico-affairistes qui parasitent depuis des lustres les engagements de Paris au sud du Sahara, pleure le défunt président gabonais Omar Bongo Ondimba, doyen des chefs d'Etat du continent noir. Les ténors de la droite française, accompagnés par quelques voix de gauche, entonnent un concert de louanges. Mais l'hommage tourne court. Le lendemain, sur Europe 1, Valéry Giscard d'Estaing exhume une anecdote assassine, qui date de 1981. Informé à la veille de l'élection présidentielle du concours financier que Bongo fournit alors à son ennemi juré Jacques Chirac, VGE appelle le maître de Libreville: "Ainsi, vous soutenez mon concurrent." "Ah, vous savez...", aurait répondu Omar Bongo de sa voix traînante.

Le 11 septembre dernier, à la faveur d'un entretien au Journal du dimanche (JDD), Me Robert Bourgi, vieux routier des turpitudes françafricaines, dénonce les liens troubles entretenus jadis par la Chiraquie avec une poignée de potentats africains. L'avocat franco-libanais affirme avoir remis "à plusieurs reprises, à l'Elysée, des mallettes" bourrées de cash au tandem Chirac-Villepin. 20 millions de dollars pour la seule période 1997-2005... Les généreux donateurs? Bongo, mais aussi Abdoulaye Wade (Sénégal), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Laurent Gbagbo (Côte d'Ivoire) et Denis Sassou-Nguesso (Congo).

"Me Bob" connaît maints secrets

Jacques Chirac et Dominique de Villepin annoncent aussitôt leur intention d'assigner en diffamation le porteur de valises. Entendu onze jours plus tard par les enquêteurs de la Brigade financière, celui-ci maintient pourtant ses accusations. A une exception près: natif de Dakar, il a rayé de sa liste le nom du président sénégalais. 

"Les valoches? Un secret de polichinelle"

Certes, Bourgi reconnaît ne détenir "aucune preuve" de ces versements. Mais "Me Bob", disciple de Jacques Foccart - le marabout africain de Charles de Gaulle -, connaît maints secrets postcoloniaux. Il sait aussi l'importance de l'enjeu pour les bienfaiteurs: en payant, ils s'assurent un concours politique, et parfois militaire, en cas de menace sur leur pouvoir. A demi-mot, Bongo lui-même évoquait ses propres largesses, qu'elles fussent dispensées à telle éminence socialiste ou à la mouvance néogaulliste, récipiendaire prioritaire. Parmi ses protégés favoris, Charles Pasqua, considéré comme "un frère". Vieille histoire: dans ses Mémoires, Foccart admet que le Gabon contribua au financement du Service d'action civique (SAC), fer de lance des gros bras gaullistes, dont il fut l'un des fondateurs. 

"Les valoches? Un secret de polichinelle, confie un vétéran du marigot franco-africain. Le système, apparu dès l'époque des indépendances, fonctionne encore aujourd'hui." Issu de la gauche, ce témoin connaît la chanson. "En 2002, précise-t-il, [l'ex-chef d'Etat ivoirien] Laurent Gbagbo m'a certifié avoir été sollicité pour financer la campagne présidentielle de Chirac." Le prédécesseur d'Alassane Ouattara avait-il alors cotisé? "Il écrira un jour ce qui est advenu...

La France, passée du vice à la vertu au printemps 2007?

Dans "La République des mallettes", le livre de Pierre Péan paru chez Fayard, le chiraquien repenti Jean-François Probst raconte un épisode édifiant. En 1997, Denis Sassou-Nguesso, tout juste revenu au pouvoir par les armes au Congo-Brazzaville, lui aurait montré le cahier dans lequel son prédécesseur, Pascal Lissouba, consignait les sommes remises à Dominique de Villepin pour alimenter la machine chiraquienne. Le 28 septembre, Jean Eyeghe Ndong, Premier ministre gabonais de 2006 à 2009, a pour sa part confirmé que l'envoi par Omar Bongo de "valises d'argent" destinées à "certaines autorités françaises" relevait d'une pratique courante. 

Congédié en 2005 par son ami Villepin, Robert Bourgi rallia alors le camp de Nicolas Sarkozy. Depuis l'élection de ce dernier, soutient l'émissaire franco-libanais, le ballet des mallettes n'a plus cours. La France officielle serait ainsi passée, un jour du printemps 2007, du vice à la vertu? Peu crédible. A l'Elysée, où Bourgi fut décoré de la Légion d'honneur dès le 27 septembre de la même année, on prend soin de souligner qu'il n'a jamais été investi du moindre mandat officiel. Certes. Reste que le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, admet l'avoir reçu une fois par mois, à l'époque où il était secrétaire général de la présidence (novembre 2007-février 2011). Mais il s'agissait bien sûr de deviser sur la "sociologie" et la "culture" africaines. Le berceau de l'humanité recèle encore tant de richesses méconnues...

Publié dans Articles de Presse

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