Monnerville Gaston
Gaston Monnerville, né le 2 janvier 1897 à Cayenne (Guyane) et mort le 7 novembre 1991 à Paris, est un homme d'État français. Député de la Guyane de 1932 à 1940, il est sous-secrétaire d'État aux Colonies de 1937 à 1938, président du Conseil de la République de 1947 à 1958 et du Sénat de 1958 à 1968.
Famille
Gaston Monnerville, petit-fils d'un esclave, est le fils de Marc Saint-Yves Monnerville, fonctionnaire de l'administration coloniale, et de Marie-Françoise Orville. Des côtés maternel et paternel, la famille est originaire de Case-Pilote, commune de la Martinique. Son grand-père paternel, Pierre Monnerville, est un commerçant propriétaire, maire de Case-pilote, puis conseiller général de Martinique. Son frère, Pierre Monnerville, est également engagé en politique, étant député socialiste de 1956 à 1967.
Formation
Gaston Monnerville étudie au lycée de Cayenne. En 1912, boursier, il quitte la Guyane et entre en classe de seconde au lycée Pierre-de-Fermat, à Toulouse. Le brillant élève opte pour les lettres et choisit de suivre la classe de philosophie. Étudiant aux facultés de lettres et de droit de l'université de Toulouse, Gaston Monnerville passe à la fois sa licence ès lettres et sa licence en droit, avec les félicitations du jury. C'est également avec les félicitations du jury qu'il est reçu, en 1921, docteur en droit, après avoir soutenu une thèse sur « l'enrichissement sans cause ».
Carrière d’avocat
En 1918, Gaston Monnerville s'inscrit au barreau de Toulouse. Il quitte Toulouse pour s'inscrire, en 1921, au barreau de Paris. Il entre ensuite au cabinet d'un célèbre avocat et homme politique, César Campinchi, dont il est le principal collaborateur pendant huit ans. En 1927, il est élu président de l'Union des jeunes avocats à la cour de Paris (UJA de Paris). Gaston Monnerville plaide dans plusieurs grands procès. C'est notamment le cas en 1931, dans l'affaire Galmot, où 14 Guyanais sont jugés à la cour d'assises de Nantes après l'émeute provoquée en 1928 par la fraude électorale et la mort suspecte de Jean Galmot. Avec Alexandre Fourny, Alexandre Zévaès et Henry Torrès, Gaston Monnerville assure la défense des accusés. Les jurés se prononcent pour l'acquittement après une plaidoirie jugée excellente de Monnerville. En marge de son métier d'avocat, Gaston Monnerville collabore en tant que journaliste avec la station Radio Tour Eiffel.
Franc-maçonnerie
Gaston Monnerville est initié en franc-maçonnerie, à l'âge de 21 ans, dans la loge « La Vérité 280 », de la Grande Loge de France. Il suit un long parcours dans l'obédience et appartient à plusieurs ateliers au cours de sa vie. Agnostique et très attaché aux valeurs de laïcité, il présente de nombreux travaux axés principalement sur des questions de justice, de droits de l'Homme ou sur le racisme. Il entre dans les hauts-grades au sein d'un chapitre de perfection en 1935 et accède au Suprême conseil à partir de 1937. Il est élu comme conseiller fédéral en 1932 et occupe le poste de vénérable maitre de loge « La Prévoyance 88 » de 1935 à 1937.
Engagement dans la Résistance
Engagé volontaire dans la marine de juin 1939 à la formation du cabinet Pétain, Gaston Monnerville participe à la protestation conduite par Gratien Candace à Vichy contre les premières mesures discriminatoires. Il fait ensuite partie de la Résistance. Il prend contact avec le capitaine Chevance et entre dans le mouvement Combat sous le nom de « Saint-Just », en hommage à son oncle, Saint-Just Orville, maire de Case-Pilote, en Martinique.
Débuts
À la suite de l'affaire Galmot, il lui est proposé de se présenter aux élections législatives de 1932 en Guyane, contre le député sortant, Eugène Lautier. Il est élu à une majorité considérable député radical, puis est réélu en 1936. Le 21 juin 1933, il prononce place du Trocadéro le discours dit du « Drame juif », qui évoque le massacre des Héréros et pressent la Shoah. Il est élu maire de Cayenne en 1935.
Sous-secrétaire d'État aux Colonies
Dans les troisième et quatrième gouvernements de Camille Chautemps, il est sous-secrétaire d’État aux colonies en 1937 et 1938. Ses ministres de tutelle sont Marius Moutet puis Théodore Steeg. Cette nomination est déjà considérée par ses contemporains comme un évènement historique pour la Guyane, car il s’agit de la première fois dans l’histoire qu’un homme politique issu de ce territoire entre au gouvernement français. En revanche, la nomination d'un homme de couleur à des fonctions ministérielles n'est guère appréciée en Allemagne nazie, ni en Italie fasciste. Dans L'Azione coloniale du 22 juillet 1937, un article titré « Derrière le Rouge du Front populaire vient le Noir » annonce la création d'un sous-secrétariat d'État aux Colonies « confié au noir G. Monnerville » et commente : « La France a adopté une politique indigène qui, outre qu'elle est une folie pour la nation française elle-même, est un danger pour les autres nations de l'Europe, car cette action qui dépasse le cadre purement politique pour rencontrer le cadre biologique, doit être dénoncée à l'opinion publique mondiale, là où existe une race incontestablement supérieure à celle de couleur que la France voudrait implanter au cœur de l'Europe ». À son initiative, le bagne est aboli en Guyane.
Président du Conseil de la République
Après la Libération, Gaston Monnerville siège à l’Assemblée consultative provisoire. Le Gouvernement provisoire de la République française le charge de préparer le statut de l’outre-mer français. La vieille revendication d'accorder le statut de département français aux « quatre vieilles colonies » aboutit : en 1946, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion deviennent des départements d'outre-mer. Après avoir été membre des deux Assemblées nationales constituantes, Gaston Monnerville est élu sénateur de la Guyane lors des élections de 1946. Il devient dans la foulée vice-président du Conseil de la République (ancien Sénat). En mars 1947, il brigue la présidence de la haute assemblée après la mort d'Auguste Champetier de Ribes (MRP). Avec le soutien du centre et de la droite, il l'emporte au second tour avec 141 voix contre 131 pour le communiste Henri Martel, soutenu par les socialistes. Il est alors la première personnalité originaire de l'ancien Empire colonial français à accéder à cette fonction.
Gaston Monnerville est réélu à la tête du Conseil de la République chaque année jusqu’à la fin de la IVe République. À l'occasion des élections sénatoriales de 1948, il change de circonscription, quittant la Guyane pour le département du Lot. Siégeant au sein du groupe de la Gauche démocratique, il reste sénateur jusqu'en 1974. Lors de l'élection présidentielle de 1953, René Coty est élu chef de l'État au treizième tour de scrutin, alors que la tradition sous les Troisième et Quatrième Républiques était d'élire le président de la haute assemblée en cas de scrutin indécis. Mais, selon son biographe Jean-Paul Brunet, les origines ethniques de Gaston Monnerville l'auraient défavorisé. L'historienne Georgette Elgey rappelait elle aussi qu'après l'élection de Coty, le sénateur guyanais déplorait que sa couleur de peau l'eût empêché de devenir président de la République. En 1958, il joue un rôle important dans le retour de Charles de Gaulle au pouvoir en se rendant à Saint-Cloud, avec André Le Troquer, pour un entretien sur les modalités de l’investiture du Général et le respect de la Constitution.
Président du Sénat et opposition à de Gaulle
Il conserve son mandat à la présidence de la Haute assemblée en étant président du Sénat de 1959 à 1968. Il a ainsi présidé la Chambre haute du Parlement durant 21 ans. En 1962, Gaston Monnerville s’oppose au projet de référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel direct et lâche le mot de « forfaiture » à l’encontre du Premier ministre Georges Pompidou, qui avait accepté de signer le projet de référendum. Il combat le projet de réforme du Sénat qui sera rejeté lors du référendum du 27 avril 1969. Il dénonce à ces deux occasions ce qu’il considère être une violation majeure de la Constitution du 4 octobre 1958, une dérive monocratique des institutions au profit de Charles de Gaulle et une volonté d’abattre le Sénat et son président, qu’il considère comme la seule des institutions de la Ve République échappant à la mainmise du chef de l’État. Gaston Monnerville présida également le Sénat de la Communauté en 1959 et 1960.
Sur le plan municipal, après avoir été maire de Cayenne, il est maire de Saint-Céré (Lot). Sur le plan départemental, il préside le conseil général du Lot de 1951 à 1971. Le 27 septembre 1968, en protestation à la réforme souhaitée par Charles de Gaulle visant notamment à ôter au Sénat sa compétence de législateur, « ne voulant pas laisser s'accomplir une nouvelle et grave violation de [la] Constitution et démanteler le régime républicain en France », il renonce à briguer une nouvelle fois la présidence du Sénat le 2 octobre suivant, afin de pouvoir être « libre de [ses] mouvements, de [sa] parole et de [ses] actes » pour « éclairer l'opinion sur les conséquences graves des réformes envisagées, de la renseigner sur le rôle exact et important joué par le Sénat de la République ». Après l'échec du référendum et la démission de Charles de Gaulle, Gaston Monnerville continue à exercer son mandat de sénateur, six ans durant. Lorsque survient la scission radicale de 1972, il donne son adhésion au nouveau Mouvement des radicaux de gauche et en devient membre du bureau national.
Membre du Conseil constitutionnel
Le 22 février 1974, Alain Poher le nomme, à l'âge de 77 ans, membre du Conseil constitutionnel. La nomination de Gaston Monnerville surprend en raison des critiques qu'il avait exprimées envers le Conseil constitutionnel lorsque celui-ci s'était déclaré incompétent pour juger du référendum sur l'élection du président de la République au suffrage universel. Il prête serment le 5 mars, devant le président Georges Pompidou.
Dernières années et mort
Il quitte le Conseil constitutionnel à la fin de son mandat de neuf ans. Déjà chevalier de l'ordre de la Légion d'honneur à titre militaire pour faits de résistance depuis 1947, il est promu officier de l'ordre de la Légion d'honneur en 1983 par le chef de l'État, François Mitterrand, qui lui remet la « rosette » à l'Élysée. Âgé de 86 ans, il n'abandonne pas toute activité. Il prononce encore des conférences sur les institutions ou des causeries sur ses souvenirs d'homme public. La télévision vient l'enregistrer. Il signe quelques préfaces. Atteint d'un cancer, il meurt le 7 novembre 1991, à l'âge de 94 ans. Son épouse est morte centenaire en 2000.
Françaises
- Officier de la Légion d'honneur (1983)
- Chevalier de la Légion d'honneur (1947)
- Croix de guerre 1939-1945
- Médaille de la Résistance française
Étrangères
- Grand Croix de l'Ordre de Saint-Charles de Monaco (1954)
- Grand-croix de l'ordre national du Tchad
- Grand Croix de l'Ordre du Nichan Iftikhar de Tunisie
- et plusieurs autres décorations étrangères.
- Clemenceau, Fayard, 1968
- Portraits (Extrait de « L'Histoire générale de l'Afrique », tome 8. Le Chevalier de Saint-Georges, Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, Alexandre Pouchkine, Alexandre Dumas, Heliodore-Camille Mortenol, Félix Éboué, Ralph Bunche, Martin Luther King, François Beauval Éditeur, 1976, 85 p.
- Vingt-deux ans de présidence, Plon, 1980 (réédition Le Cherche Midi, 2003).
- Gaston Monnerville, Témoignage, Rive droite, 1997.