Mort d'Hugo Chavez: "La théorie du complot sert bien le régime"
publié le 06/03/2013 à 13h53 par Fabien Cazenave
Le président par interim Nicolas Maduro a affirmé mardi que les Etats-Unis se cachent derrière le cancer qui a eu raison du "Commandante". Une théorie "ahurissante" qui "donne une explication
idéologique aux malheurs du pays", juge notre contributeur Fabien Cazenave.
Hugo Chavez est mort. Il était un dictateur pour certains (dont l'auteur de ces lignes), un héros de la résistance
à l'Amérique capitaliste pour d'autres. Le chef de la révolution bolivarienne ne laisse pas indifférent. Et comme toujours, les zones d'ombres vont servir à ses défenseurs et ses détracteurs pour
qualifier son bilan. Au milieu de toutes les analyses, un article qui reprend des propos officiels interpelle.
Le vice-président Nicolas Maduro, qui assure l'intérim à la tête de l'Etat, a déclaré mardi que le cancer dont souffrait Hugo Chavez était le fruit d'une "conspiration menée par les ennemis[du Venezuela], relève Euronews. Un jour, a-t-il
ajouté, nous pourrons créer une commission scientifique [qui révèlera] que le commandant Chavez a été attaqué avec
cette maladie (...) Les ennemis historiques de cette patrie ont cherché un point faible pour atteindre la santé de notre commandant".
Les Etats-Unis se cacheraient donc derrière les métastases du président du Venezuela? Cette déclaration est ahurissante. Certes, l'exemple du président ukrainien Viktor Iouchtchenko peut donner
du crédit à cette hypothèse. Mais il y a quand même de quoi en douter. Surtout parce qu'elle ne sert que trop un régime autoritaire.
L'intérêt immédiat du régime vénézuelien dans cette annonce
Premier intérêt pour le régime mis en place par Chavez: cela victimise son héros. Il y a une dramaturgie
sous-jacente: on cherche à installer l'idée selon laquelle le leader était tellement incroyable que sa mort ne peut pas être humaine. On passe de la téléréalité du pouvoir avec le gentil qui se
débat contre de méchantes puissances extérieures et à une mythification de sa vie pour les futurs documentaires produits par le régime.
Autre intérêt manifeste: cela maintient en état de guerre le pays. Il y a déjà eu des tentatives de coups d'Etat contre Hugo Chavez durant ses mandats. Cela a même failli réussir. Grâce à son habileté et son charisme, le dirigeant a su
maintenir son régime qui reposait avant tout sur sa personnification du pouvoir. Avec sa disparition, il faut trouver une raison à déployer l'armée dans un pays qui est pourtant officiellement
entrain de pleurer la perte de son président. Tout changement de dirigeant est un moment critique, même en France. Alors encore plus dans un pays qui est en révolution depuis plus d'une dizaine
d'années.
Enfin, cette annonce complètement folle est surtout une explication idéologique aux malheurs du pays. Malgré une manne financière énorme grâce aux réserves pétrolières du pays, tout n'est pas
rose au Venezuela. Le clientélisme d'Hugo Chavez n'a pas suffi à supprimer la criminalité ou à supprimer toutes
les inégalités entre toutes les classes sociales. Utiliser l'argument du complot américain permet de cadrer idéologiquement tous les malheurs du pays. L'embargo économique imposé par les
Etats-Unis, "cet ennemi historique de la patrie", n'est pas suffisant apparemment. Il faut qu'il y ait une mort du héros national décidée dans un bureau de Washington... La boucle est
bouclée!
Ce que cela révèle du Venezuela chaviste
Contrairement à certains ténors de la gauche de la gauche affirment, le Venezuela n'est pas une vraie démocratie. Les élections sont à peu près incontestables dans leurs résultats mais le
déroulement des campagnes électorales ne l'est pas. L'emploi permanent de la télévision, d'Internet ou des journaux pour faire la promotion du régime ne permet pas l'existence d'un débat
électoral apaisé. Car si le parti de Chavez n'est pas au pouvoir, le régime tombe. En France, l'alternance est une
possibilité qui n'empêche pas nos institutions de fonctionner. La mythification de la mort du héros de la patrie, le déploiement de l'armée et l'utilisation de l'ennemi extérieur pour resserrer
les rangs et empêcher toute contestation du régime sont trois preuves du caractère autoritaire du régime en place au Venezuela.
Autre point important: c'est un clan qui dirige le pays. L'ONG Human Rights Watch dénonçait mardi dans un communiqué l'extrême concentration du pouvoir et un mépris affiché pour les droits
humains fondamentaux de ce régime. Le successeur Nicolas Marudo, désigné par Hugo Chavez lui-même, est un proche
du président. Il le suit depuis les débuts du Commandante en politique. Il est marié à Cilia Flores, autre figure du chavisme et procureur général de la République. Donc un couple adoubé par le
chef du pays domine les institutions politiques, l'armée et la justice. Logique dans un régime qui n'est pas encore une vraie démocratie et qui a peur de s'effondrer à tout moment.
Le Venezuela est régi par l'idéologie: le peuple contre "la bourgeoisie parasite", l'ennemi historique de la patrie qui a tué le chef, une révolution permanente pour justifier les actes non
démocratiques du régime. Alors un cancer décidé depuis Washington, rien de plus normal, non?