Jean Moulin, né le 20 juin 1899 à Béziers et mort le 8 juillet 1943 près de Metz, en Moselle annexée, est un haut fonctionnaire et résistant français. Préfet de l'Aveyron puis d'Eure-et-Loir, refusant l'occupation nazie, il rejoint en septembre 1941, l'organisation de résistance la France libre à Londres en passant par l’Espagne et le Portugal. Il est reçu par Charles de Gaulle à qui il fait un compte rendu de l’état de la Résistance en France et de ses besoins, notamment financiers et en armement. À l'issue de quelques entretiens, il est envoyé à Lyon par Charles de Gaulle pour unifier les mouvements de la Résistance.
Il est arrêté à Caluire-et-Cuire, dans la banlieue de Lyon, le 21 juin 1943 et conduit au siège de la Gestapo à Lyon où il est torturé ; il est ensuite transféré à la Gestapo de Paris. Il meurt dans le train qui le transporte en Allemagne peu avant le passage de la frontière, le 8 juillet 1943. Son décès est enregistré en gare de Metz. Il dirigea le Conseil national de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale. Considéré comme l'un des principaux héros de la Résistance, il est compagnon de la Libération en 1942, nommé général de brigade à titre posthume lors de la Libération de la France, puis général de division en novembre 1946. Un cénotaphe lui est dédié au Panthéon où se trouvent les tombeaux des grands personnages de la République française. Son corps n'a jamais été identifié avec certitude, et l'urne transférée au Panthéon ne contient que les « cendres présumées de Jean Moulin ».
Jean Pierre Moulin naît au 6 rue d'Alsace à Béziers (Hérault), fils d'Antoine-Émile Moulin, professeur d’histoire-géographie (collège Henri IV) dans cette ville, et de Blanche Élisabeth Pègue. Il est le petit-fils d'un insurgé de 1851. Antoine-Émile Moulin est un enseignant laïque au grand collège de la ville, à l’université populaire, et il est franc-maçon à la loge Action sociale. Il est baptisé le 6 août 1899 par le père Guigues en l'église Saint-Vincent de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône), village d'origine de ses parents : son parrain est son frère Joseph Moulin et sa marraine est sa cousine Jeanne Sabatier. Il passe une enfance paisible en compagnie de sa sœur Laure et de son frère Joseph (qui meurt d'une pneumonie en 1907), et s'adonne à sa passion pour le dessin, où il excelle, au point de pouvoir vendre dessins, aquarelles ou caricatures à des journaux (ce qui ne plaisait pas à son père). Au réputé lycée Henri-IV de Béziers, il est un élève moyen. Occitanophone, car son père était un poète occitan admirateur de Frédéric Mistral, il gardera un attachement sincère à sa langue familiale.
Plus tard, et dans la lignée de son père, élu conseiller général de l'Hérault en 1913 sous la bannière radicale-socialiste, Jean Moulin se forge de profondes convictions républicaines, suivant avec assiduité la vie politique nationale. En 1917, il s'inscrit à la faculté de droit de Montpellier, où il n'est pas un élève brillant, et grâce à l'entregent de son père conseiller général, il est nommé attaché au cabinet du préfet de l'Hérault sous la présidence de Raymond Poincaré. Quittant son milieu familial, il se met à fréquenter des artistes, se passionne pour les voitures de sport, les beaux vêtements et le ski. Mobilisé le 17 avril 1918, Jean Moulin est affecté au 2e régiment du génie (basé à Metz après la victoire). Après une formation accélérée, il arrive dans les Vosges à Charmes le 20 septembre et s'apprête à monter en ligne quand l'armistice est proclamé. Il est envoyé successivement en Seine-et-Oise, à Verdun, puis à Chalon-sur-Saône ; il est tour à tour menuisier, terrassier, téléphoniste aux 7e et 9e régiments du génie. Il est démobilisé début novembre 1919, retourne à Montpellier pour entamer sa deuxième année de droit et reprend ses fonctions d'attaché au cabinet du préfet, le 4 novembre 1919.
La qualité de son travail l'amène à être promu chef-adjoint de cabinet fin 1920. En 1921, il obtient sa licence en droit. Parallèlement, il devient vice-président de l'assemblée générale des étudiants de Montpellier (section locale de l'UNEF) et membre des Jeunesses laïques et républicaines. Le 6 février 1922, il entre dans l'administration préfectorale en tant que chef de cabinet du préfet de la Savoie, à Chambéry, poste très important pour son âge, sous la présidence d'Alexandre Millerand. Au soir des élections législatives de mai 1924, il se réjouit de la victoire du cartel des gauches en Savoie comme dans tout le pays. De 1925 à 1930, il est sous-préfet d'Albertville. Il est à l'époque le plus jeune sous-préfet de France, sous la présidence de Gaston Doumergue. En septembre 1926, il se marie avec Marguerite Cerruti ; mais celle-ci s'ennuie dans la sous-préfecture et quitte Jean Moulin pour aller vivre à Paris ; il demande le divorce et l'obtient deux ans plus tard.
En 1930, il est promu sous-préfet de 2e classe à Châteaulin dans le Finistère. Il y fréquente des poètes locaux comme Saint-Pol-Roux à Camaret et le poète et peintre Max Jacob à Quimper. Il est reçu chez le sculpteur Giovanni Leonardi et commence à collectionner les tableaux et à dessiner sous le pseudonyme de « Romanin » ; il s'essaie aussi à la céramique. Il est également illustrateur du Morlaisien Tristan Corbière pour son recueil de poèmes Armor. Parallèlement, il publie des caricatures et des dessins humoristiques dans la revue Le Rire, dans Candide ou Gringoire sous le pseudonyme de Romanin. Sa passion pour l'art et notamment l'art contemporain s'exprime aussi à travers son amitié pour Max Jacob et sa collection de tableaux où sont représentés Chirico, Dufy et Friesz. En décembre 1932, Pierre Cot, homme politique radical-socialiste, le nomme chef adjoint de son cabinet aux Affaires étrangères sous la présidence de Paul Doumer.
En 1933, il est sous-préfet de Thonon-les-Bains et occupe parallèlement la fonction de chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l'Air sous la présidence d’Albert Lebrun. Il est promu sous-préfet de 1re classe, et le 19 janvier 1934, il est nommé sous-préfet de Montargis mais n'occupe pas cette fonction, préférant demeurer au cabinet de Pierre Cot. Au début avril, il est rattaché à la préfecture de la Seine et s'installe à Paris. Le 1er juillet 1934, il prend ses fonctions de secrétaire général de la préfecture de la Somme à Amiens, fonctions qu'il va quitter deux ans plus tard en juin 1936. En 1936, il est à nouveau nommé chef de cabinet de Pierre Cot au ministère de l'Air du Front populaire, et avec le ministre, conformément à la politique décidée par Léon Blum, aide clandestinement les républicains espagnols en leur envoyant des avions et des pilotes. Il participe à cette époque à l'organisation de nombreux raids aériens civils comme la traversée de l'Atlantique sud par Maryse Bastié, la course Istres - Damas - Le Bourget.
À cette occasion, Pierre Cot étant officiellement en convalescence, il doit remettre le chèque aux vainqueurs (équipage italien) parmi lesquels se trouve le propre fils de Benito Mussolini. Au dire de sa sœur Laure, « Jean était très embarrassé d’avoir à recevoir et à féliciter les lauréats italiens, alors qu’il était résolument antifasciste ». En janvier 1937, à l'âge de trente-huit ans, il est nommé préfet de l'Aveyron ; c'est à l’époque le plus jeune préfet de France. Ses actions en faveur de l'aviation lui permettent de passer cette même année du génie à la réserve de l'Armée de l'air. Il est affecté à partir de février 1937 à la base de Marignane avec le grade de caporal-chef (mars 1937), puis en février 1938 au bataillon de l'air no 117 basé à Issy-les-Moulineaux. Il est nommé sergent de réserve le 10 décembre 1938.
Révocation de sa fonction de préfet
En janvier 1939, il est nommé préfet d'Eure-et-Loir à Chartres. Après la déclaration de guerre, il demande à plusieurs reprises à être dégagé de ses fonctions de préfet, persuadé, comme il l'écrit, que sa « place n'est point à l'arrière, à la tête d'un département essentiellement rural ». Il se porte donc candidat à l'école des mitrailleurs en allant à l'encontre de la décision du ministère de l'Intérieur. Il passe sa visite médicale d'incorporation à l'école le 9 décembre 1939 sur la base 117 d'Issy-les-Moulineaux. Il est déclaré inapte le lendemain pour un problème de vue. Il force alors le destin en exigeant une contre-visite à Tours qui, cette fois, le déclare apte. Mais le ministère de l'Intérieur l’oblige dès le lendemain à reprendre immédiatement son poste de préfet, d'où il s'emploie, dans des conditions très difficiles, à assurer la sécurité de la population. Devant l'arrivée imminente des Allemands dans Chartres, Jean Moulin écrit à ses parents, le 15 juin 1940 : « Si les Allemands — ils sont capables de tout — me faisaient dire des choses contraires à l'honneur, vous savez déjà que cela n'est pas vrai ».
Il est arrêté le 17 juin 1940 par les Allemands parce qu'il refuse de signer un protocole rédigé par trois officiers allemands, reconnaissant faussement qu'une troupe de tirailleurs sénégalais de l'Armée française a commis de prétendues atrocités envers des civils à La Taye, un hameau de Saint-Georges-sur-Eure, en réalité victimes de bombardements allemands. Frappé à coups de poing et enfermé pour refus de complicité avec les Allemands, il tente de se suicider en se tranchant la gorge avec un débris de verre. Il évite la mort de peu et conserve ensuite une cicatrice qu'il cache sous un foulard sur des clichés pris après sa guérison, à la préfecture de Chartres. En raison de ses idées républicaines marquées à gauche comme radical-socialiste, il est révoqué par le régime de Vichy du maréchal Pétain le 2 novembre 1940 et placé en disponibilité. Il se met alors à la rédaction de son journal, Premier combat, où il relate sa résistance contre les nazis à Chartres de manière sobre et extrêmement détaillée ; ce journal sera publié à la Libération et préfacé par le général de Gaulle.
Décidé à entrer dans la clandestinité, il quitte Chartres le 15 novembre 1940 et s'installe dans sa maison familiale de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône) d'où, pressé par le besoin de « faire quelque chose », il s'impose deux buts : tout d’abord il veut se rendre compte de l’ampleur de la Résistance française et ensuite aller à Londres afin d’engager les pourparlers avec la France libre. Il possède une fausse carte d'identité au nom de Joseph Mercier (prénom hommage à son frère décédé), professeur de droit. Il s'installe à Marseille, à l’Hôtel Moderne et rencontre, dans plusieurs villes du Midi, des résistants parmi lesquels Henri Frenay, le chef du mouvement de Libération nationale, ainsi qu'Antoinette Sachs qui lui facilite les contacts.
Constitution de l'Armée secrète de la France – Unification des mouvements de résistance
Après avoir réussi à obtenir un visa et un faux passeport, le 9 septembre 1941, il rejoint Londres en passant par l’Espagne et le Portugal, par ses propres moyens, sous le nom de Joseph Jean Mercier. Le 25 octobre, il est reçu par le général de Gaulle, qui l'impressionne vivement et en qui il reconnaît « un très grand bonhomme. Grand de toutes façons ». Il lui fait un compte-rendu (qui sera controversé) de l’état de la Résistance en France et de ses besoins, notamment financiers et en armement. Son compte-rendu donnera lieu à de nombreuses contestations de la part des mouvements de résistance intérieure, comme étant tendancieux, avec des visées personnelles, tout en perturbant les actions de renseignements au profit de l’armée britannique et le système, en contrepartie de financement et de fourniture d’armes au profit de chacun d'entre eux. À Londres, il suit un entraînement pour apprendre à sauter en parachute, tirer au pistolet et se servir d'un poignard.
Misant sur l’ambition et les capacités de réseau de Jean Moulin, de Gaulle en fait son délégué civil et militaire pour la zone libre. Il lui donne un premier ordre de mission, que l'« on ne cite jamais, celui du 4 novembre, entièrement écrit de la main du général de Gaulle, et qui est un ordre de mission d'organisation purement militaire, mission que Moulin a effectivement accomplie, en aboutissant, après onze mois, à la constitution de l'Armée secrète ». Une Armée secrète (AS) chaperonnée par les Forces françaises libres, complètement placées sous les ordres du général. Mais, « pour la question militaire, […] elle est effectivement complètement occultée ». Ensuite, par un second ordre, que l'« on cite toujours, le fameux ordre de mission de Jean Moulin du 24 décembre 1941, qui est un ordre de mission général, lui prescrivant d'accomplir l'union de tous les éléments résistant à l'ennemi », il le charge d’unifier, sur le territoire français, les trois principaux mouvements de résistance, Combat, dirigé par Henri Frenay, Franc-Tireur, et Libération-Sud, ainsi que tous leurs différents services : service ROP (recrutement, organisation, propagande), renseignements, sabotage, entraide.
Muni de ces deux ordres de mission, de moyens financiers et de communication radio directe avec le général de Gaulle à Londres, il est parachuté, dans la nuit du 1er au 2 janvier 1942, en compagnie de Raymond Fassin et Hervé Monjaret, au cours d'une opération blind (jargon de la RAF : « sans équipe de réception »), dans les Alpilles, à une dizaine de kilomètres au sud de Saint-Rémy-de-Provence, à 15 km de Saint-Andiol. Il passe la nuit du 2 au 3 janvier 1942 dans le refuge acquis à Eygalières puis rejoint Saint-Andiol à pieds. Dans la Résistance, il prend le pseudonyme évocateur de Rex. Pour accomplir sa mission, Jean Moulin rencontre, entre autres, Henri Frenay, à Marseille, et Raymond Aubrac, à Lyon. Il est aidé dans sa tâche par Daniel Cordier, qui s'occupe de la logistique, et par Colette Pons.
Dès septembre 1942, en zone sud, en région R1, sous l'autorité du général Charles Delestraint, débute la constitution de l'Armée secrète par le versement à l'AS des formations paramilitaires (d'importance très inégale) des trois grands mouvements de résistance. Dans cette tâche, éminemment clandestine, le général Delestraint — choisi, d'un commun accord, par les mouvements de résistance et par le général de Gaulle pour diriger leurs actions militaires (uniquement), sous l'ordre direct de ce dernier — est secondé par les chefs AS secrètement désignés, le régional et les chefs départementaux. Deux mois après, le 27 novembre 1942, est créé le Comité de coordination de la zone sud, à Collonges-au-Mont-d'Or (en banlieue lyonnaise), dans le but de coordonner, avec la mouvance communiste, les trois mouvements principaux de résistance de la zone libre ; ce regroupement donne ensuite naissance, le 26 janvier 1943, aux Mouvements unis de la Résistance (MUR) — membre du directoire et secrétaire général : Pierre Dumas —, lors d’une réunion au domicile d’Henri Deschamps, à Miribel (dans l'Ain).
Dans cette nouvelle unification, Jean Moulin cherche, non sans mal, à contenir les velléités de commandement d’Henri Frenay, chef du mouvement Combat, d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, chef de Libération-Sud, et de Jean-Pierre Lévy, chef de Franc-Tireur. Il utilise ensuite ses dons artistiques pour se créer une couverture de marchand de tableaux et ouvre la galerie d’art « Romanin » — pseudonyme d’artiste de Jean Moulin — au 22, rue de France, à Nice. Dans la nuit du 13 au 14 février 1943, il retourne rendre compte de sa mission à Londres, accompagné du général Delestraint, organisateur et chef de l’Armée secrète. Au cours de la nuit, ils doivent quitter précipitamment la maison Deschamps, à Miribel, pour aller embarquer dans le Jura, à Villevieux (au nord de Lons-le-Saunier), à bord de Lysander. Toutefois, si les mouvements de résistance ont accepté l'unification des mouvements pour améliorer leur efficacité, ainsi que leur financement, leurs chefs n'acceptent que difficilement la tutelle militaire de Londres pour l'AS : Henri Frenay, en particulier, souhaite garder le contrôle de la résistance militaire intérieure et mène une violente campagne contre le général Delestraint, dont il refuse de reconnaître l'autorité à la tête de l'Armée secrète.
Création du Conseil national de la Résistance
Le 14 février 1943, Jean Moulin va à Londres rendre compte de sa mission à Charles de Gaulle, qui le décore de la croix de la Libération et le nomme secrètement ministre, membre du Comité national français, et seul représentant de ce comité pour l'ensemble du territoire métropolitain. Le 20 mars 1943, il revient en France, avec le chef national de l'AS, en atterrissant de nuit en Saône-et-Loire, à Melay (au nord de Roanne), chargé de créer le Conseil national de la Résistance (CNR), tâche complexe, car il est toujours peu reconnu par les mouvements de résistance. En particulier, le responsable de la zone Nord, Pierre Brossolette, suscite bien des difficultés. Cependant, les sujets de discorde sont résolus, et la première réunion du CNR, en séance plénière, se tient à Paris, 48, rue du Four, le 27 mai 1943. Jean Moulin parvient à se faire admettre comme chef du CNR, qui réunit les dirigeants de tous les groupes de la résistance française. Le CNR représente alors l'unité des Forces résistantes françaises aux yeux des Alliés et l'embryon d'une assemblée politique représentative.
Le CNR reconnaît en de Gaulle le chef légitime du gouvernement provisoire français, et souhaite que le général Giraud prenne le commandement de l'armée française. Moulin participe, avec le mouvement Franc-Tireur, à la création du maquis du Vercors, également contesté par les hommes de Combat. Cependant, les motifs d'inquiétude s'accumulent : le capitaine Claudius Billon, chef régional de l'AS, est arrêté le 1er février 1943, à Lyon, le commandant Henri Manhès est arrêté à Paris, en mars, deux mois avant l'arrestation du général Delestraint, chef de l'AS, le 9 juin, à Paris. L'Armée secrète est décapitée, et Jean Moulin, lui-même, se sait traqué, comme il l'écrit au général de Gaulle : « Je suis recherché maintenant tout à la fois par Vichy et la Gestapo, qui n'ignore rien de mon identité, ni de mes activités. Ma tâche devient donc de plus en plus délicate, alors que les difficultés ne cessent d'augmenter. Si je venais à disparaître, je n'aurais pas eu le temps matériel de mettre au courant mes successeurs. »
Jean Moulin en compagnie de deux jeunes femmes sur le bateau de ses amis, Paul et Andrée Chatin, en 1933.
Arrestation à Caluire-et-Cuire
L'arrestation de Jean Moulin fait encore, à ce jour, l'objet de nombreuses interrogations. À l'issue d'investigations et de manipulations menées par différents services allemands, elle intervient dans le contexte des fortes tensions entre composantes de la Résistance et dans celui de communications entre les services de renseignements de l'administration de Vichy, de la Résistance et de l'Allemagne. Cette opération a lieu le 21 juin 1943, à Caluire-et-Cuire (Rhône), dans la « maison du docteur Dugoujon » (en fait, louée par le docteur Dugoujon), où doit se tenir une réunion avec sept dirigeants de la Résistance : André Lassagne, le colonel Albert Lacaze et le lieutenant-colonel Emile Schwarzfeld, Bruno Larat, Claude Bouchinet-Serreules, Raymond Aubrac et Henri Aubry. Réunion, décidée par Jean Moulin, afin de désigner le successeur, par intérim, du général Delestraint à la tête de l'Armée secrète, en attendant une nomination par le général de Gaulle.
Bouchinet-Serreules est absent au rendez-vous fixé sur le trajet. La venue de René Hardy à la réunion, alors qu'il n'y est pas convoqué, a amené nombre de résistants à suspecter ce dernier d'avoir, par sa présence, indiqué à Klaus Barbie le lieu précis de cette réunion secrète. René Hardy, arrêté, puis relâché par la Gestapo quelques jours auparavant, est d'ailleurs le seul à s'évader lors de cette arrestation, n'étant pas menotté, mais ayant eu juste les poignets entravés par de simples liens. René Hardy est accusé, après guerre, d'avoir dénoncé Jean Moulin aux Allemands, et comparaît dans deux procès, en 1947, puis en 1950.
Jean Moulin est interné, avec les autres dirigeants de la Résistance, à la prison Montluc, à Lyon. Après avoir été identifié, il est quotidiennement conduit au siège de la Gestapo, siège établi alors dans les locaux de l’École du Service de santé militaire, avenue Berthelot, afin d'être interrogé et torturé par le chef de la Gestapo de Lyon, Klaus Barbie. Refusant de reconnaître les tortures malgré les évidences, Barbie affirmera que Moulin a fait plusieurs tentatives de suicide, se jetant de lui-même dans les escaliers, tentatives crédibles vu celle de 1940. Jean Moulin est ensuite transféré à la Gestapo de Paris, avenue Foch, puis dans la villa du chef de la Gestapo, Karl Boemelburg, à Neuilly-sur-Seine.
Officiellement, Jean Moulin meurt de ses blessures le 8 juillet 1943, en gare de Metz, dans le train Paris-Berlin mais l'acte de décès allemand, daté du 8 juillet 1943 et indiquant Metz comme lieu de décès, est rédigé six mois plus tard, le 3 février 1944. Quant au certificat de décès, il est rédigé le 25 juillet 1943, ce qui laisse planer un doute sur les circonstances de sa mort. Le 9 juillet 1943, le corps d’« un ressortissant français décédé en territoire allemand » — présumé être Jean Moulin — est rapatrié à Paris, gare de l'Est et aussitôt incinéré. L'urne contenant ses cendres est ensuite déposée au cimetière du Père-Lachaise, case 101, avec pour seule mention « Inconnu incinéré, 09-07-43 ». En 1945, sa famille fait déplacer cette urne dans le carré de la Résistance du cimetière. L’urne est finalement transférée au Panthéon, en 1964.
Les « cendres présumées » de Jean Moulin ont été transférées au Panthéon le 19 décembre 1964, lors de la célébration du vingtième anniversaire de la Libération, sous la présidence du général de Gaulle. En réalité, son corps n'a jamais été identifié avec certitude.
Le discours d’André Malraux
Le 19 décembre 1964, un discours solennel est prononcé lors de la grande cérémonie officielle où André Malraux, ministre des Affaires culturelles, fait entrer Jean Moulin au « Panthéon des Grands Hommes » de la République française. Il fait de lui à cette occasion « le symbole » de l'héroïsme français, de toute la Résistance à lui seul en l'associant à tous les résistants français, héros de l'ombre, connus et inconnus, qui ont permis de libérer la France au prix de leur souffrance, de leur vie, et de leur idéologie de liberté. Ce discours composé et prononcé par André Malraux est souvent considéré comme un des plus grands discours de la République française.
« Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Jean Moulin, avec ton terrible cortège. Avec ceux qui sont morts dans les caves sans avoir parlé, comme toi ; et même, ce qui est peut-être plus atroce, en ayant parlé ; avec tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l'un des nôtres. Entre, avec le peuple né de l'ombre et disparu avec elle — nos frères dans l'ordre de la Nuit… »
« C'est la marche funèbre des cendres que voici. À côté de celles de Carnot avec les soldats de l'an II, de celles de Victor Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice, qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujourd'hui, jeunesse, puisses-tu penser à cet homme comme tu aurais approché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui n'avaient pas parlé ; ce jour-là, elle était le visage de la France… »
Ce discours légendaire est suivi du Chant des Partisans interprété par une grande chorale devant le Panthéon. Il est prononcé dans des conditions rendant difficile la prise de son (le vent soufflait fort) et est notamment retransmis en direct dans de nombreux lycées. Des enregistrements ont été réalisés, on peut notamment l'écouter à l’audiothèque du centre Georges-Pompidou ainsi que sur le site de l'INA. Le manuscrit original de ce discours est conservé et présenté au public au musée de l’ordre de la Libération situé dans l'hôtel des Invalides à Paris aux côtés de la tenue de préfet de Jean Moulin, de son chapeau, sa gabardine et son écharpe.
Controverses
Lorsqu'il vient à la réunion de Caluire, René Hardy, qui a déjà été arrêté par la Gestapo, puis libéré, serait suivi par celle-ci. Certains estiment qu'il s'agit d'une trahison, d'autres d'une imprudence fatale. Certains résistants tentent plus tard d'assassiner Hardy. Ayant rejoint d'autres secteurs de la Résistance, il passe deux fois en jugement après la Libération à cause de cette suspicion qui pèse sur lui. Il est acquitté une première fois en 1947, au bénéfice du doute, mais au lendemain même de son jugement, la découverte d'une pièce infirmant ses déclarations le fait à nouveau incarcérer. Il est jugé en 1950 par un tribunal militaire qui l'acquitte au bénéfice de la « minorité de faveur », 4 jurés l'ayant déclaré coupable et 3 innocent. Henri Frenay, lui, a la conviction que Lydie Bastien, maîtresse de René Hardy, a joué un rôle très trouble dans cette affaire. Dans le livre qu'il lui consacre, Pierre Péan émet l'hypothèse qu'elle aurait été la maîtresse de Harry Stengritt, un adjoint de Klaus Barbie.
La controverse est relancée au cours du procès de Klaus Barbie. Son avocat, Me Jacques Vergès, insinue que les Aubrac ont trahi Jean Moulin et fait signer à Barbie un « testament ». Quelques historiens et quelques journalistes reprennent ce testament à leur compte ou s'appuient sur des documents du KGB pour dénoncer ce qu'ils pensent être des relations entre le stalinisme et la résistance. Aujourd'hui, les thèses contestées de ces historiens ont été largement réfutées : il n'est pas fait grand crédit aux déclarations prêtées par Vergès à Barbie. Il faut par exemple citer, dans le même registre, le livre controversé du journaliste et historien lyonnais Gérard Chauvy, paru en 1997. Malgré le soutien de Stéphane Courtois, universitaire et spécialiste du communisme, lors du procès en diffamation intenté par les Aubrac, et malgré la longue hésitation d'un certain nombre d'historiens de l'Institut de l'histoire du temps présent (François Bédarida, Jean-Pierre Azéma, Henry Rousso), beaucoup se sont prononcés sans ambiguïté contre Chauvy et ses méthodes, prenant parti pour les Aubrac.
Jacques Baynac soutient d'abord la thèse d'une arrestation créditée au seul engagement policier de la Gestapo, sans aucune dénonciation. Et en 2007, cet historien publie des archives allemandes, britanniques et américaines, jusque-là inédites, montrant que la Gestapo avait alors été informée par les services de renseignement de l'Abwehr, dépendant de l'état-major militaire allemand, lesquels avaient reconstitué pendant plusieurs mois le réseau de Jean Moulin sur la base de longues opérations de surveillance. Dans cet ouvrage, l'auteur cite également des notes des services secrets britanniques du SOE à propos d'une brève arrestation de Daniel Cordier par des policiers allemands, que celui-ci n'a jamais souhaité commenter.
Par ailleurs, certains, comme Henri Frenay, chef du réseau Combat, ou l'avocat et historien Charles Benfredj accusent Jean Moulin d'avoir été cryptocommuniste, c'est-à-dire d'avoir par ses relations dans les milieux radicaux secrètement favorisé les intérêts pro-soviétiques en France en détournant notamment l'aide anglo-américaine aux mouvements de résistance ; ils évoquent ses liens avec Pierre Cot, lui-même proche du communisme, et d'autres sympathisants issus de la CGT, du mouvement de résistance communiste Front national et du parti communiste proprement dit qui seront représentés au sein du CNR (sur les dix-neuf participants à la réunion fondatrice du CNR, deux représentent le parti communiste et le Front national et un la CGT). Henri Frenay lui reproche également d'avoir voulu réhabiliter les partis de la IIIe République au sein du CNR, au détriment des mouvements de Résistance qui, pour certains, se voulaient seuls légitimes à diriger la France à la Libération.
Thierry Wolton met en avant quant à lui les liens existant entre Jean Moulin et Harry Robinson, chef clandestin (Residenz) d'un des principaux réseaux de renseignement de l'Armée rouge en Europe, notamment au travers du communiste Maurice Panier. Les défenseurs de Jean Moulin font remarquer qu'il avait accepté de s'entourer d'hommes venus de tous horizons — ses deux plus proches collaborateurs, son secrétaire Daniel Cordier et son successeur Georges Bidault, sont ainsi à l'époque issus l'un de l'Action française royaliste, l'autre de la démocratie-chrétienne — et qu'il aurait été comme tout le monde assez méfiant envers les communistes, depuis l'épisode du Pacte germano-soviétique, ayant plutôt cherché à les contenir et à les ranger sous la discipline commune d'une Résistance unifiée. Pour répondre aux diverses critiques entourant Jean Moulin, et démentir notamment les accusations de cryptocommunisme, son ancien secrétaire Daniel Cordier a entrepris à la fin des années 1970 une biographie en six volumes.
Refusant l'emploi des souvenirs personnels et des témoignages oraux facilement imprécis ou déformés par le temps, Daniel Cordier s'est appuyé sur les archives de Jean Moulin en sa possession, sur une patiente étude critique des documents écrits, et sur un effort de rétablissement de la stricte chronologie des faits. Publiée entre 1989 (Jean Moulin – L'inconnu du Panthéon, t. 1, J.Cl. Lattès) et 1999 (Jean Moulin – La République des catacombes, Gallimard), la somme de Daniel Cordier, et son apport à l'histoire de la Résistance intérieure française, dont il ne cherche pas à gommer les aspérités et les difficultés, ont été discutés, notamment par Charles Benfredj, historiographe d'Henri Frenay. Dans un documentaire de 2003 (Jean Moulin, lettre à un inconnu), réalisé par William Karel et produit par « Point du jour », diffusé par la chaîne « TV Histoire », il déclare que l'annuaire de la Résistance ne mentionne curieusement pas le nom de Jean Moulin. La journaliste Ghislaine Ottenheimer affirme que Jean Moulin aurait été franc-maçon, mais aucun historien n'a pu le confirmer. Les ouvrages d'historien comme André Combres confirment que son père Antoine-Émile Moulin l'était ou le dictionnaire de référence de Daniel Ligou, confirme que l'appartenance de Jean Moulin est une « légende tenace », ce dernier n'ayant jamais été reçu dans un ordre maçonnique.
Le certificat de décès de Jean Moulin, enregistré à l'état civil de la mairie de Metz le 2 février 1944
Vie privée
En juin 1922, sa demande en mariage à Jeannette Auran, rencontrée en 1920, est rejetée par le père de celle-ci. Son mariage avec Marguerite Cerruti, célébré le 27 septembre 1926, s'achève par un divorce, prononcé le 19 juin 1928. Jean Moulin enchaîne les amours, jusqu'à son arrestation en juin 1943. Sa liaison avec la volage Marie-Gilberte Riedlinger (« Madame Lloyd »), à partir de 1937 et jusqu'à leur rupture février 1943, semble avoir beaucoup compté pour lui. Il noue simultanément des relations amoureuses avec l'artiste Antoinette Sachs (de 1936 à 194368), égérie de Paul Géraldy ou encore, avec Colette Pons (Colette Jacques), en 1942, laquelle tient la galerie de peintures Romanin à Nice qui sert de couverture à Jean Moulin.
La sexualité de Jean Moulin est sujette à controverse. En 2003, le Dictionnaire des cultures gays et lesbiennes supervisé par Didier Eribon évoque « l'éventuelle homosexualité ou bisexualité d'un grand résistant, comme Jean Moulin », supposant par ailleurs les prédispositions des homosexuels de l'époque à entrer en résistance, au motif que ceux-ci auraient déjà l'expérience de la clandestinité dans leur vie privée. Dans Jean Moulin, l'ultime mystère, Pierre Péan et Laurent Ducastel consacrent un chapitre à ce sujet, « L'était-il ? », évoquant « un séducteur, goûtant des plaisirs charnels avec des filles, éventuellement avec des garçons », pour noter que « les voix officielles de la Libération s'efforceront toujours de nier la présence d'homosexuels dans la Résistance, image qui fut longtemps peu conforme à l'idée que la France avait de ses héros » ; les auteurs n'apportent néanmoins aucune conclusion à leur questionnement.
A contrario, Jean-Paul Sartre observa, dans un article de 1949, les supposées prédispositions des milieux homosexuels parisiens à la collaboration. Les Allemands auraient fait pression sur Jean Moulin, lors de son arrestation à Chartres, le 18 juin 1940, en lui déclarant « Comme nous connaissons maintenant votre amour pour les nègres (…) nous avons pensé vous faire plaisir en vous permettant de coucher avec l'un d'eux ». Cette déclaration et cette nuitée de prison interviennent alors que les Allemands torturent Jean Moulin afin qu'il impute à des tirailleurs sénégalais des crimes que ceux-ci n'ont pas commis. L'historien Thomas Rabino, dans L'autre Jean Moulin (2013) ne recense que trois liaisons féminines au cours de sa vie, dont celle avec Marguerite Cerruti, son épouse entre 1926 et 1928.
Le musée Jean-Moulin, affirme que le résistant était « un homme à femmes, séducteur avec ça - un vrai tombeur ». Le secrétaire de Jean Moulin, le résistant Daniel Cordier, par ailleurs homosexuel, interrogé sur le livre de Pierre Péan, indique ne pas avoir lu le chapitre consacré à la sexualité de Jean Moulin et affirme que « c'était un homme à femmes ». Cependant, non seulement les divers travaux historiques n'ont jamais permis d'identifier les dizaines de conquêtes que son entourage lui avait attribuées après-guerre, mais des recherches récentes montrent qu'à partir des années 50 certaines de ses relations sentimentales avec des hommes, notamment le poète Max Jacob, ont été volontairement effacées, car considérées comme peu conformes avec l'idée qu'il fallait se faire du héros.
- Officier de la Légion d'honneur (décret du 1er octobre 1945)
- Compagnon de la Libération (décret du 17 octobre 1942, sous le pseudonyme de caporal Mercier)
- Médaille militaire
- Croix de guerre 1939-1945 avec palme (décret du 1er octobre 1945)
- Chevalier du Mérite agricole
- Médaille interalliée 1914-1918, dite « Médaille de la Victoire »
- Médaille commémorative de la guerre 1914-1918
- Médaille commémorative des services volontaires dans la France libre (médaille FFL)
- Médaille commémorative de la guerre 1939-1945 avec barrettes « France » et « Libération »
- Médaille d’or de l'Éducation physique
- Médaille d'argent de l'Assistance publique
- Médaille d'argent des Assurances sociales
- Médaille d'argent de la Prévoyance sociale
- Chevalier de la Couronne d'Italie (Italie, 1926)
- Ordre de la Couronne yougoslave (royaume de Yougoslavie)
- Ordre du Jade brillant (Chine, 1938)