Oradour : un rescapé oublié refait surface

Publié le par L'Humanité - Julie Carnis

L'Humanitépublié le 14/02/2013 à 18h43 par Julie Carnis

À la faveur d’une enquête menée par le parquet allemand, un rescapé oublié d’Oradour-sur-Glane, Paul Doutre, témoigne.

Massacre d'Oradour-sur-Glane

 

Haute-Vienne, correspondance. On pensait que Robert Hébras et Marcel Darthout étaient les seules mémoires vivantes du massacre d’Oradour-sur-Glane, il y avait aussi Paul Doutre. À la faveur de l’enquête menée par le parquet allemand de Dortmund, spécialisé dans la poursuite des crimes nazis, ce rescapé oublié vient de refaire surface. À quatre-vingt-dix ans, cet enfant du pays raconte cet épisode avec une émotion encore intacte.

C’est à l’âge de vingt ans, craignant d’être envoyé en Allemagne, que Paul Doutre déserte les chantiers de jeunesse et revient se cacher dans la menuiserie familiale. L’atelier et la maison d’habitation donnent sur la place du village, là même où les hommes seront rassemblés et exécutés par la division SS Das Reich, le 10 juin 1944. Ce jour-là, « la voiture blindée des Allemands est arrivée sur la place du village à 14 heures exactement », se souvient le rescapé. « Mon père est venu me dire de me cacher, que les Allemands venaient pour contrôler les papiers. Personne n’imaginait ce qui allait se produire. »

C’est parce qu’il n’a pas de papiers que Paul Doutre échappera aux rafales, caché dans des plants de choux du jardin familial. « J’ai entendu au-dessus de ma tête deux Allemands et l’un a dit : kaput. Ils ont cru que j’étais mort », constate-t-il, d’un souffle encore étonné. Alors que les mitraillettes tonnent derrière lui, il parvient aux portes du village martyr. C’est là qu’un voisin lui apprendra que sa famille vient d’être décimée. Il égrène, la gorge serrée : « Mon père, 51 ans, ma mère, 53 ans, ma grand-mère, 84 ans, ma petite-nièce, 5 ans, et mon frère, 18 ans. » Il se cachera quelques heures dans un caveau du cimetière, non loin de l’église en flamme où femmes et enfants se consumaient. Et c’est à la nuit tombante qu’il rejoindra à pied un village voisin de trois kilomètres.

« Je ne suis retourné là-bas que le surlendemain, c’était un carnage », se souvient-il, le regard encore horrifié. « J’ai aidé la Croix-Rouge. Nous avons mis les corps sur des volets pour les transporter à la fosse commune. » Une tragédie qui le conduira à quitter la région et à prendre le maquis. Après-guerre, il reviendra à Oradour où il reprendra la menuiserie familiale. « Je ne pouvais pas aller ailleurs, c’est là que sont mes parents. »

Six anciens soldats allemands dans le viseur de la justice  C’est à la faveur d’une enquête du parquet de Dortmund que Paul Doutre, qui apparaissait dans la procédure pour avoir témoigné au procès de Bordeaux en 1953, a refait surface. Depuis octobre 2010, la justice allemande s’intéresse à six anciens soldats soupçonnés d’avoir participé au massacre d’Oradour. Dans ce cadre, un procureur et un inspecteur allemands se sont rendus sur place, le 29 janvier, pour procéder à des constatations judiciaires. Selon la justice allemande, si un procès devait découler de ces investigations, trois des six anciens soldats visés par l’enquête ne seraient pas en état de comparaître en raison de leur santé.

Publié dans Articles de Presse

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