Papon obtient la condamnation de France-Soir

Publié le par L'Humanité par Claude Marchand

Le tribunal de grande instance de Paris a condamné hier en référé « France-Soir » pour atteinte à la présomption d’innocence de l’ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde, bientôt jugé pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Mais l’ancien serviteur de Vichy a été débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Papon obtient la condamnation de France-Soir

Maurice Papon n’aimerait-il pas la liberté de la presse ? Poser la question, c’est presque y répondre. Après « les Nouvelles de Bordeaux » et « l’Humanité », déjà jugées, avant « le Monde » et « Libération », convoqués devant les tribunaux le 3 septembre prochain, « France-Soir », à son tour, a eu l’heur de susciter l’ire de l’ancien haut fonctionnaire de Vichy, accusé de l’arrestation et de la déportation de 1.560 juifs de Bordeaux.

Des faits qui lui vaudront de comparaître le 8 octobre prochain devant les assises de la Gironde pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Des faits qui, semble-t-il, lorsqu’on les rappelle avec trop d’insistance, valent aussitôt d’être traînés en justice par l’ancien préfet de police pour « atteinte à la présomption d’innocence ». Comme si, en attendant son procès, Papon n’avait de cesse d’occuper le terrain médiatique et judiciaire pour y trouver une tribune permettant à son avocat, Me Jean-Marc Varaut, de crier encore et toujours « au complot » contre son client, de le faire passer pour un « martyr ».

C’est en partie ce que dénonçait, à sa manière, le rédacteur en chef de « France-Soir », Bernard Morrot, dans l’article incriminé, paru en une du quotidien le 8 août dernier, au lendemain de la décision de la chambre d’accusation de Bordeaux de placer Maurice Papon sous contrôle judiciaire. Une manière très directe, il est vrai. Sous le titre « Vous avez dit martyr ? », Bernard Morrot expliquait qu’il y a en effet « des moments, comme ça, où l’envie vous vient de jeter vos précautions de style aux orties et d’écrire ce que vous avez sur le coeur ».

Et de s’en prendre à ceux contestant, par des « incitations pudibondes à une sérénité judiciaire qui n’est pas de mise », la décision de la chambre d’accusation. Et de rappeler que Maurice Papon, « l’ex-collaborateur zélé », a « sciemment livré aux Allemands 1.600 juifs entre 1942 et 1944 ». Et de s’étonner encore de « l’interminable impunité et le confort inadmissible dont a joui un homme qui devrait attendre depuis des années en prison le verdict des assises ». Si l’on ajoute que le titre de une évoquait encore « le serviteur zélé des nazis », on comprend aisément que « France-Soir » avait décidé de ne pas masser la liberté d’expression avec le dos de la cuillère.

Le 18 août, lors de l’examen de sa plainte devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, Marie-Claude Domb, Maurice Papon fit demander 1 million de francs de dommages et intérêts et un droit de réponse en forme de communiqué. Me Varaut fit alors valoir que cet article constituait un appel « au lynchage judiciaire de son client ». Me Marc Louvet, le conseil de « France-Soir », estima pour sa part que l’article, au contraire, ne portait pas atteinte à la présomption d’innocence, notamment parce qu’il mentionnait à plusieurs reprises que les faits attribués à Maurice Papon feraient l’objet d’un procès. Un argument que le tribunal de Bobigny avait retenu, avec d’autres, le 17 juin dernier, pour débouter Papon de sa plainte contre notre journal.

Le tribunal de grande instance de Paris en a décidé autrement. Dans son ordonnance, le juge des référés estime que « France-Soir » a porté atteinte à la présomption d’innocence de Papon « en indiquant sans aucune nuance ou réserve » qu’il a « livré sciemment près de 1.600 juifs aux Allemands ». Il ajoute « qu’en utilisant à l’égard de M. Papon le terme « impunité », qui désigne la situation d’un coupable non sanctionné (…), l’article incriminé présente publiquement (…) Maurice Papon comme étant coupable des faits pour lesquels il n’a pas été jugé… ». « France-Soir » devra donc publier en première page un communiqué judiciaire faisant état de sa condamnation, sous astreinte de 3.000 francs d’amende par jour de retard. En revanche, les dommages et intérêts réclamés par Papon n’ont pas été accordés, le juge estimant que les faits évoqués par l’article sont connus du grand public. Une contradiction pour le moins curieuse.

Bernard Morrot n’a pas souhaité commenter dans l’immédiat cette décision du tribunal : « J’attends d’avoir connaissance de l’intégralité de l’ordonnance du juge, que je n’ai pas encore en ma possession », nous a-t-il précisé. C’est pour cette raison que son quotidien devrait se contenter de publier aujourd’hui la dépêche AFP relatant ce jugement, juste accompagnée de « trois lignes » expliquant la raison de l’absence d’un commentaire ; avant, bien sûr, d’y revenir plus largement dans une édition ultérieure. Quoi qu’il en soit, le journaliste, qui voit dans cette plainte de Maurice Papon « une manoeuvre de Me Varaut pour faire passer son client pour un martyr avant son procès », dit ne rien renier de ses écrits.

Publié dans Articles de Presse

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