Pourquoi Pompidou a gracié Touvier en 1971: tradition du secret rompue
Paris, 28 novembre.
Jamais un dossier de grâce (réservé au président de la république) n'avait été jusqu'ici révélé au grand jour. La tradition du secret vient d'être rompue par le ministre de la Justice. C'est le juge d'instruction, M. Jean-Pierre Getti, chargé de l'enquête sur les plaintes pour «crimes contre l'humanité» déposées contre Paul Touvier, l'ex-chef du service de renseignements de la milice de Lyon, qui a bénéficié de cette «première».
Quand, en novembre 1971, le président Pompidou décida de gracier Paul Touvier, il avait entre les mains une série de documents sur lesquels il avait fondé sa décision. Une controverse récente, ouverte par un livre sur l'affaire Touvier, tend à accréditer une version selon laquelle, à l'époque, le dossier Touvier avait été l'objet de prévenances. Ces «attentions» pour l'ex-collaborateur de la Gestapo auraient été dispensées, notamment, par le directeur des affaires criminelles d'alors - l'actuel ministre de la Justice, M. Pierre Arpaillange.
Ce dernier a rapidement opposé un démenti formel à pareilles allégations. Pour ce faire, il a révélé avoir été résolument opposé à la grâce, dès mars 1971. Opportunément, une «fuite» a permis la publication d'un document d'époque signé de M. Arpaillange, appuyant les termes du démenti...
Revirement
Cette «fuite», c'était le premier pas. Déjà, la tradition du secret quant aux éléments ayant amené (ou non) un président de la république à faire usage de son droit de grâce, avait été rompue à ce moment-là. Or, à deux reprises précédemment, et conformément à cette tradition, le dossier de grâce avait été refusé net au prédécesseur du juge Getti, M. Claude Grellier.
Le ministre de la Justice vient donc d'opérer un revirement. Un geste sans précédent, motivé par des raisons qui n'ont pas été divulguées mais qu'on ne pourra s'empêcher de considérer comme très «personnelles». Mis en cause, probablement à tort, dans cette affaire, M. Arpaillange a-t-il estimé que son démenti et la «fuite» qui le confirmait n'avaient pas été suffisants? Et que penser du comportement si contradictoire, à quelques mois d'intervalle, du ministre chargé d'un des plus importants départements, celui de la justice? Son initiative actuelle paraît en tout cas bien singulière.
Il n'empêche, elle devrait permettre d'en savoir davantage désormais sur les soutiens dont a joui Paul Touvier. Non seulement les prélats et autres ecclésiastiques qui l'avaient toujours protégé, mais aussi d'autres personnages dont certains n'avaient peut-être jamais été nommés?