Que faire de l'or suisse ?

L'Express publié le 11/06/1998 par Jean-Michel Demetz

Croulant sous les lingots, la Banque nationale helvète est bien embarrassée

Le gouvernement helvétique vient de proposer la suppression du rattachement du franc suisse au métal précieux. «La parité or est devenue obsolète, a expliqué le ministère des Finances.

Et la Banque nationale a plus de réserves que nécessaire pour conduire la politique monétaire.» A côté d'un solide matelas de devises, les caves de l'institution abriteraient 2 600 tonnes en lingots. Les experts préconisent d'en vendre la moitié. Au total, le gouvernement récupérerait 14 milliards de francs suisses (56 milliards de francs français). Qu'en faire? Voilà le problème.

A un an des élections, les députés ont bien leur petite idée. Combler les déficits publics, proposent les vertueux. Financer de grands travaux, suggèrent les dépensiers. Mais le débat est brouillé par les révélations sur le rôle de la Confédération dans le recyclage de l'or nazi. Un rapport vient de confirmer que, dès 1941, les dirigeants suisses ne pouvaient ignorer que les lingots d'Allemagne provenaient en réalité, pour partie, des pays occupés et des juifs spoliés.

Aussi, pour solder les comptes du passé, le gouvernement a-t-il relancé son projet de fondation humanitaire, Suisse solidaire, qui pourrait être financé avec l'or de la banque centrale. Mais c'est insuffisant pour le Congrès juif mondial, qui avance que «la responsabilité de la Suisse est renforcée» et demande une réparation plus directe.

Aux yeux de beaucoup de Suisses, l'exigence est insupportable. Christian Blocher, député de Zurich, trublion de la scène politique, le sait bien: si on répartissait l'or entre tous les Suisses, a-t-il calculé, chacun toucherait un chèque de 3 000 francs suisses (12 000 francs français). Une perspective de gain suffisante pour torpiller tout projet de fondation expiatoire?