Slobodan Milosevic devant le TPI

Publié le par Ici Radio-Canada

Celui dont le prénom signifie « libre » en serbe est décédé le 11 mars 2006 derrière les barreaux de sa cellule de La Haye, après plus de quatre ans et demi de détention.

Slobodan Milosevic devant le TPI

Slobodan Milosevic devant le TPI

Surnommé par certains « le boucher des Balkans », l'ancien dirigeant yougoslave Slobodan Milosevic se retrouvait devant le Tribunal pénal international, où il était accusé de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide. D'abord inculpé pour son rôle présumé dans les exactions commises lors du conflit au Kosovo, en 1999, il a vu l'inculpation s'étendre aux crimes commis pendant les guerres de Bosnie (1992-1995) et de Croatie (1991-1995). En tout, 66 chefs d'accusation pesaient contre lui. Le procès qu'on disait historique avorte donc sans que l'ancien homme fort de Belgrade ait connu son verdict.

Slovénie, Croatie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo… En moins de 10 ans, l'ex-Yougoslavie a connu quatre guerres meurtrières. Environ 200 000 morts et plus de cinq millions de personnes déplacées, voilà le lourd bilan des conflits ethniques qui ont déchiré cette région troublée.

Le déroulement du procès

« Ce tribunal est un faux tribunal, cet acte d'accusation est un faux acte d'accusation. Ce tribunal est illégal parce qu'il n'a pas été désigné par l'Assemblée générale des Nations unies, je n'ai donc pas besoin de désigner un avocat pour un organe illégal. »

« L'objectif de ce procès est de produire une fausse justification pour les crimes de guerre commis par l'OTAN en Yougoslavie. » — Slobodan Milosevic

Les procédures du TPI sont inspirées du droit anglo-saxon. Après avoir mené sa propre enquête, chacune des deux parties a présenté ses témoins et défendu sa thèse. Depuis le début du procès, amorcé en février 2002, le TPI a entendu quelque 400 témoins, vu plus d'un millier de pièces à conviction, dont 200 vidéos et lu un million de pages de documents. Milosevic risquait la prison à vie.

Acte un

Slobodan Milosevic comparaissait devant le TPI pour la première fois le 3 juillet 2001. La présentation des preuves de l'accusation, première phase du procès, s'est terminée le 25 février 2004, avec plus d'un an de retard. Près de 300 témoins ont été interrogés. Le procès s'est amorcé avec le « volet Kosovo » (de février à septembre 2002), puis avec celui sur la Bosnie et la Croatie (de septembre 2002 à février 2004).

Contestant la légitimité du TPI, l'ancien dirigeant yougoslave a refusé de plaider coupable ou non coupable. Il a choisi d'assurer seul sa défense, mais il pouvait cependant compter sur deux conseillers juridiques serbes. Les juges ont en outre mis à sa disposition trois amici curiae qui intervenaient à l'audience. Des officiers serbes de même que le Comité pour la défense de Slobodan Milosevic (qui regroupe des associations canadiennes et européennes) lui ont pour leur part fourni des éléments de preuve. Comme il n'a pas d'avocat, les juges, qui craignaient que ses droits ne soient brimés, lui ont laissé une plus grande latitude qu'ils ne laisseraient d'ordinaire à un avocat.

Milosevic s'est plié à la précédure, se servant de cette tribune pour marteler ses opinions politiques. Il a argué que le Tribunal pénal international n'était que l'instrument « d'un complot international » contre le peuple serbe. Dans le volet Kosovo, il a attribué l'exode des Albanais aux bombardements de l'OTAN (qui se sont déroulés de mars à juin 1999). Il a par ailleurs récupéré l'actualité, dénonçant les « terroristes de l'UCK » (l'Armée de libération du Kosovo). Par exemple, lors des audiences consacrées au massacre de Racak, il a plutôt parlé d'une opération antiterroriste visant à démanteler le complot de l'UCK et de la communauté internationale pour « préparer l'agression criminelle de l'OTAN contre la Yougoslavie ».

Avocat agressif, il a malmené les témoins convoqués par le Procureur. Plusieurs d'entre eux, dont bon nombre de paysans, se sont effondrés lors de ses nombreux contre-interrogatoires. Le président croate Stipe Mesic et le président kosovar Ibrahim Rugova, aujourd'hui décédé, ont également témoigné.

L'accusation a connu de nombreux ratés, parmi lesquels des témoignages contradictoires, des documents qui se sont révélés des faux. Il a aussi eu de la difficulté à faire témoigner des proches du pouvoir qui auraient pu confirmer sa responsabilité hiérarchique dans la planification et l'exécution des crimes. Les procureurs ont toutefois réussi à produire des preuves de la responsabilité directe de Milosevic.

Dès 2003, Milosevic souffrait « d'hypertension, de stress et de fatigue extrême », comme l'a confirmé le cardialogue de la prison de l'ONU à La Haye. Depuis octobre 2003, son état de santé a ralenti le rythme du procès et entraîné plusieurs périodes de suspension, occasionnant des coûts estimés à 156 000 $.

« Ni la communauté internationale ni le procureur ne peuvent accepter que ce procès soit tronqué parce que l'accusé, en refusant de bénéficier d'un avocat, a exacerbé ses problèmes de santé.»

Acte deux

Milosevic a, à son tour, fait entendre des témoins à partir d'août 2004. Il réclamait deux années pour mener son enquête, une exigeance refusée par les juges, qui ne lui ont accordé que trois mois. Il n'a pas non plus obtenu la mise en liberté provisoire qu'il demandait. Ses problèmes de santé ont amené le TPI à ne faire comparaître l'accusé que trois demi-journées par semaine. Milosevic a concentré sa plaidoierie sur le conflit du Kosovo, y consacrant les deux-tiers des 360 heures qui lui étaient allouées.

Il a argué que les Kosovars d'origine albanaise fuyaient les bombardements de l'OTAN et non les forces serbes. Il a également soutenu que la répression était rendue nécessaire par la présence de l'Armée de libération du Kosovo (UCK), qu'il a présentée comme un mouvement terroriste.

En décembre 2005, les juges ont dû insister pour que Milosevic parle aussi de la Bosnie et de la Croatie. Selon le programme du TPI, l'accusé devait boucler sa défense en mars 2006, et les contre-interrogatoires devaient prendre fin au milieu de l'année.

Acte trois

Le procès devait se terminer avec le verdict, quelques mois après la fin de la deuxième phase. La mort de Slobodan Milosevic, à 64 ans, vient changer le scénario prévu. Nombreux sont ceux qui ont déploré son décès prématuré. Les mères et veuves de musulmans massacrés à Srebrenica pendant la guerre de Bosnie, par exemple, ont déploré qu'il échappe à la condamnation pour les atrocités qui lui étaient imputées.

Les actes d'accusation

Guerre du Kosovo

Dans un premier temps, Slobodan Milosevic a été accusé de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité perpétrés en 1999 au Kosovo. Quatre autres hauts dirigeants sont également inculpés pour les crimes reprochés à l'ancien président yougoslave. Toutefois, il est le seul à avoir été arrêté. Nikola Sainovic est accusé sur la base de responsabilité criminelle individuelle. Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic, Dragoljub Ojdanic et Vlajko Stojiljkovic sont pour leur part accusés sur les bases de responsabilité criminelle individuelle et de responsabilité criminelle supérieure.

L'acte d'accusation allègue que, « entre le 1er janvier et le 20 juin 1999, le 52e Corps des forces armées de Yougoslavie (VJ), les forces policières de Yougoslavie, les forces policières de Serbie et des unités paramilitaires, agissant sous la direction des accusés, avec leur encouragement ou leur soutien, ont mené une campagne de terreur et de violence contre les civils albanais du Kosovo ».

Le bureau du procureur du TPI estime que ces opérations ont été menées dans le but de retrancher une portion importante de la population albanophone, afin d'assurer le contrôle serbe sur la province. Plus spécifiquement, il accuse Milosevic et ses collaborateurs d'être directement responsables de la déportation d'environ 740 000 Kosovars albanais et du meurtre d'au moins 340 autres. Au cours de leur déportation, plusieurs civils ont été tués, d'autres ont été victimes d'abus ou se sont fait voler leurs biens et leurs papiers d'identité. On reproche également aux accusés d'être derrière des actes de pillage, la destruction de foyers de civils et le bombardement de villages.

L'acte d'accusation fait également état de massacres survenus à Djakovica, Gnjilane, Kosovska Mitrovica, Orahovac, Pec, Pristina, Prizren, Srbica, Suva Reka, Urosevac, Racak, Bela Crkva, Velika Krusa, Mali Krusa, Krushe e Vogel, Dakovic, Crkolez, Izbica, Vucitrn ainsi qu'à la prison de Dubrave.

La défense :

Slobodan Milosevic parle d'un plan élaboré par l'OTAN afin de déstabiliser la province serbe, dans le cadre d'une stratégie plus globale de dominition de la région des Balkans. Les victimes civiles auraient été touchées par les bombardements de l'OTAN. La Yougoslavie devait, selon lui, maintenir l'ordre, menacé par les « terroristes »albanais.

Guerre de Croatie

En octobre 2001, une deuxième accusation a été portée contre Slobodan Milosevic pour sa responsabilité dans la guerre de Croatie (1991-1995). Dix chefs d'accusation de crimes contre l'humanité et 22 chefs de crimes de guerre (notamment pour le meurtre de centaines de civils non serbes, pour la détention de milliers de Non-Serbes « dans des conditions inhumaines » et pour l'expulsion d'au moins 170 000 Non-Serbes) pèsent contre lui.

La défense :

Pour Slobodan Milosevic, la guerre de Croatie est attribuable à la politique de l'ancien président croate, Franjo Tudjman, à un amendement de la constitution croate (qui supprimait les droits de la minorité serbe) et à la « reconnaissance prématurée » de l'indépendance de la Croatie par la communauté internationale.

Guerre de Bosnie

En novembre 2001, l'inculpation de Slobodan Milosevic a été étendue aux exactions commises en Bosnie, entre 1992 et 1995. Le TPI met notamment en cause sa responsabilité dans le massacre de Srebrenica, survenu en 1995, massacre qui avait fait plus de 7000 morts au sein de la population musulmane.

Accusé de génocide, de complicité de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre, Slobodan Milosevic fait face à 29 chefs d'accusation pour des crimes commis durant la guerre de Bosnie. Ce conflit, le plus meurtrier des quatre guerres menées en ex-Yougoslavie, avait fait plus de 200 000 morts et un million de réfugiés.

La défense :

Dans le cadre de ce conflit, Slobodan Milosevic affirme que Belgrade a sans cesse tenté d'utiliser son influence pour ramener la paix.

Publié dans Articles de Presse

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