Vidal-Naquet Pierre
Pierre Emmanuel Vidal-Naquet, né le 23 juillet 1930 à Paris et mort le 29 juillet 2006 à Nice, est un historien et helléniste français. Préfacier de centaines de livres les plus divers, il a milité contre la torture pendant la guerre d'Algérie, contre la dictature des colonels grecs et contre le négationnisme, et a soutenu les efforts de paix au Moyen-Orient.
Sa famille appartenait à la communauté juive comtadine de Carpentras, près d'Avignon. Il est éduqué dans un milieu laïc et républicain. Son père était un avocat « dreyfusard » qui a très tôt rejoint la Résistance. En juin 1940, la famille s'enfuit pour Marseille, et il a étudié au Lycée Périer. Le 15 mai 1944, ses parents, Lucien et Margot, sont arrêtés à Marseille par la Gestapo, déportés et « engloutis l'un et l'autre à Auschwitz en 1944 ». Après la déportation de ses parents, Pierre Vidal-Naquet se cache dans la maison de sa grand-mère dans la Drôme. Il en profite pour se livrer à des lectures intensives, dont l'Iliade, et y rencontre son cousin, le philosophe Jacques Brunschwig.
Il découvre le surréalisme (André Breton, René Char et Antonin Artaud) et, à l'âge de 18 ans, fonde la revue Imprudence avec Pierre Nora. Lecteur de Marc Bloch, sa vocation d'historien naît. En 1949, le procès de Rajk en Hongrie lui ôte définitivement tout désir de rejoindre le Parti communiste français. Père de trois enfants, il a été officier de la Légion d'honneur ainsi que commandant de l'Ordre du Phénix en Grèce. Lecteur de Dumézil et de Lévi-Strauss, il devient membre de l'École de Paris, composée de son ami Jean-Pierre Vernant (avec qui il a écrit quelques livres), de Nicole Loraux et de Marcel Detienne. Il est mort à l'hôpital de Nice le 29 juillet 2006. Parmi ses élèves, on compte les historiens François Hartog, Maurice Sartre, Pauline Schmitt-Pantel et Alain Schnapp. Pierre Vidal-Naquet compte parmi les membres de sa famille José de Bérys, Francine Bloch, Marcel Dassault et Darius Milhaud.
Vidal-Naquet a écrit plusieurs textes à visée autobiographique, dont « Pourquoi et comment je suis devenu historien » (rencontre de Blois 2002) et « Esquisse d'un parcours anticolonialiste » (2001). Il a également rédigé des mémoires, publiées en 1998. Élève en classe d'hypokhâgne et de khâgne à Marseille et au lycée Henri-IV de Paris où il fut condisciple et ancien camarade de Robert Faurisson, il étudie l'histoire et devient docteur ès-lettres (1955) et agrégé d'histoire. Il se marie en 1952. Cette même année, il commence à s'intéresser à Platon. Il est nommé pendant un an au lycée Pothier d'Orléans avant de rejoindre l'université de Caen (1956-1960), où Alain Corbin est son élève. Il étudie alors essentiellement la Grèce antique. Il collabore également à l'édition des œuvres de Léon Blum, avec notamment François Furet. En 1960, il suit l'enseignement de Jean-Pierre Vernant. Il intègre l'université de Lille entre 1961 et 1962. Il consacre ses recherches à la Grèce antique, l'histoire juive ainsi que l'histoire contemporaine. Il se dit persuadé également que le continent nommé Atlantide par Platon constitue simplement une invention de celui-ci et « était tout simplement l'Athènes impérialiste du Ve siècle ». Entré à l'EHESS en 1966, il y devient directeur d'études en 1969. Il est l'un des lecteurs attitrés de la bibliothèque de la Fondation Maison des sciences de l'homme.
Outre la Grèce antique, son domaine de prédilection, il s'intéresse à des sujets contemporains comme la guerre d'Algérie et le drame de la Shoah. Intellectuel engagé dans la défense des droits de l'homme, il milite contre la torture en Algérie et contre le colonialisme. En 1956, il fait publier dans la revue Esprit un témoignage sur des exactions de l'armée française. À partir de 1957, il effectue un travail d'historien sur la disparition de Maurice Audin, jeune mathématicien français, arrêté en Algérie et disparu depuis : il défend la thèse de sa mort sous la torture contre celle, officielle, de sa disparition par évasion. Il en fait un livre, L'Affaire Audin, paru en 1958 et réédité, largement complété, des années plus tard. Il participe ainsi au « Comité Audin ». Il publie en 1962 La Raison d'état, livre dénonçant l'emploi de la torture. Pour avoir signé en 1960 le « Manifeste des 121 », pétition d'intellectuels sur le droit à l'insoumission durant la guerre Algérie, le ministère de l'Éducation nationale lui retire pendant un an son poste (tout en lui laissant son salaire).
Marxiste anti-stalinien, il a été brièvement membre du Parti socialiste unifié, ainsi que sympathisant de Socialisme ou barbarie, mais ne s'est jamais considéré comme militant d'un parti politique, le PSU n'étant pour lui qu'un « simple cercle de discussion ». Avec Michel Foucault et Jean-Marie Domenach, il signe le 8 février 1971 le manifeste du Groupe d'information sur les prisons. Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Au printemps 1979, Cornelius Castoriadis et lui critiquent fortement Bernard-Henri Lévy dans Le Nouvel Observateur pour avoir mal vérifié ses références dans son livre Le Testament de Dieu (cette première édition du livre citait le témoignage aux procès de Nuremberg de Heinrich Himmler alors que celui-ci s'était suicidé lors de sa capture), affirmé « contemporains » des événements éloignés de plusieurs siècles, et effectué des citations sans en mentionner les auteurs. Le conflit s'étale sur plusieurs numéros jusqu'à ce que Jean Daniel y mette fin sur une dernière réponse de Bernard-Henri Lévy. Ce dernier conviendra de son erreur de référence et du fait qu'il ne mentionne en effet pas toujours les auteurs de ce qu'il cite. Il s'implique dans la défense de Luc Tangorre, comdamné pour une série de viols à Marseille dont l'avocat est le frère de Pierre Vidal-Naquel, François Vidal-Naquet.
Pierre Vidal-Naquet s'est également engagé dans la lutte contre le négationnisme, comme en témoignent ses Mémoires, ou la publication du livre Les Assassins de la mémoire en 1995. Cependant, il sera condamné en janvier 2001 pour diffamation envers le négationniste Henri Roques. Celui-ci avait présenté une thèse en littérature comparée à l'Université de Nantes (thèse par la suite annulée pour irrégularités administratives), consacrée à Kurt Gerstein. Pierre Vidal-Naquet avait écrit à ce propos, dans ses Mémoires : « Si j’en crois un témoin bien placé pour le savoir, [la thèse présentée par Henri Roques] aurait été rédigée non par Henri Roques, qui ne sait pas un mot d’allemand, mais par mon ancien camarade [de khâgne], Robert Faurisson en personne » (P. Vidal-Naquet, Mémoires t.2 - Le trouble et la lumière, 1955-1998, Le Seuil, 1998, p.44). Pierre Vidal-Naquet fut condamné en première instance.
En novembre 2002, la Cour d'appel de Paris donnait raison à Pierre Vidal-Naquet, mais le jugement fut annulé par la cour de cassation en janvier 2005. Pierre Vidal-Naquet et son éditeur s'étant désistés devant la cour d'appel qui devait rejuger l'affaire, le jugement de 2001 fut considéré comme définitif. Une polémique l'a opposé au début des années 1980 à l'intellectuel américain Noam Chomsky concernant le soutien que ce dernier a accordé au négationniste Robert Faurisson menacé dans ses droits fondamentaux. Noam Chomsky considère qu'il n'a fait que soutenir la liberté d'expression de Robert Faurisson sans soutenir ses thèses historiques, tandis que Pierre Vidal-Naquet l'a accusé d'être allé au-delà de ce soutien de principe en qualifiant notamment Faurisson de « sorte de libéral relativement apolitique » et d'avoir maintenu sa position par orgueil et irritation d'avoir été contredit. En juillet 2003, il participe à l'appel « Une autre voix juive », qui regroupe des personnalités juives solidaires du peuple palestinien, pour une paix juste et durable au Proche Orient.