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Revue de presse de l'Histoire - La Seconde guerre mondiale le cinéma les acteurs et les actrices de l'époque - les périodes de conflits mondiales viètnamm corée indochine algérie, journalistes, et acteurs des médias

Heinrich von Brentano 8 novembre 1950

LoupeLe 8 novembre 1950, à l'occasion d'une déclaration gouvernementale sur le Plan Pleven, Heinrich von Brentano, président du groupe parlementaire du Parti chrétien-démocrate (CDU), prononce un discours sur la contribution allemande à la défense de l'Europe.

 

Mesdames, Messieurs, le 16 décembre 1949, j'ai été chargé de faire au nom des partis de la coalition gouvernementale la déclaration suivante :

Brentano Heinrich von« Le peuple allemand a été durement éprouvé par la guerre et ses conséquences. C'est pourquoi il lui faut rassembler toutes ses forces morales et matérielles pour rénover la forme de son État, reconstruire son économie, et créer ainsi pour ses ressortissants des possibilités de vie saines. Nous ne pouvons pas renoncer à l'espoir que les Puissances victorieuses, après avoir gagné la guerre, réussissent enfin à gagner également la paix. Une nouvelle guerre tuerait les espoirs de vie du peuple allemand.

Aussi le peuple allemand n'a-t-il aucune envie de réarmer. L'Allemagne, géographiquement et historiquement partie intégrante de l'Occident civilisé, a la ferme volonté, exprimée dans sa Loi Fondamentale, en tant que membre à droits égaux d'une Europe unie, de servir la paix du monde et de défendre la liberté humaine. »

Mesdames et Messieurs, cette déclaration n'a rien perdu de sa valeur jusqu'à ce jour. Mais rien ne démontre de façon plus saisissante et, devrais-je dire, plus émouvante, la crise dans laquelle se débat le monde, que ce fait qu'il nous faut aujourd'hui nous demander si, et dans quelles conditions, l'Allemagne est prête à contribuer à la défense de la liberté européenne commune.

En exergue : un appel à la Paix.
Pas d'adhésion enthousiaste à la participation allemande

Quand nous discutons de ce problème, il nous faut constamment, comme l'a fait le Chancelier dans sa déclaration, placer en évidence l'appel à la paix. Je crois que le destin qui a précipité non seulement l'Europe, mais le monde, dans les deux dernières guerres, n'a frappé aucun peuple aussi durement que le peuple allemand. Il n'y a aucun peuple - ce matin, le Dr Schumacher a cité des chiffres bouleversants - qui ait eu à supporter des souffrances aussi directes et aussi lourdes que le peuple allemand. Aussi le monde ne devrait-il pas s'étonner de ne pas voir les Allemands répondre par un oui enthousiaste à la question de savoir s'ils participeront à une défense commune. Mais, quand nous ne cessons de répéter avec insistance et une profonde gravité notre désir de paix, parce que nous savons que la seule condition pour pouvoir réaliser la tâche gigantesque que nous a léguée le passé, et que le présent nous impose à nouveau chaque jour, est de pouvoir le faire dans la paix, quand nous répétons sans cesse qu'aucun sacrifice ne doit nous paraître trop lourd pour la paix, alors on ne devrait pas mettre en doute la sincérité d’une telle déclaration.

Pas de politique de l'autruche, en face d'un danger réel

Mesdames et Messieurs, si je mets en exergue à mon intervention dans ce débat notre désir sincère de voir maintenir la paix, et si je dis que nous ne regrettons rien davantage que la nécessité d'ouvrir à cette heure un tel débat, alors laissez-moi ajouter que nous devrions considérer comme une étrange fatalité si en face des événements - et pas seulement ceux du passé le plus récent - nous voulions fermer les yeux et faire semblant de croire que l'Allemagne, que l'existence même de la République fédérale, ne sont pas en jeu; si nous voulions agir comme si nous pouvions écarter un danger réel par une politique de l'autruche; si nous voulions agir comme si nous pouvions d’une telle croyance faire sortir des miracles. Il est de notre devoir, non seulement de voir les choses en face, mais de les exprimer, et je suis très heureux que cette discussion ait lieu aujourd'hui. Elle était nécessaire, car l'opinion publique a été fortement inquiétée par certaines déclarations, pas toujours réfléchies, et j'ai l'impression que maint commentaire a été exprimé avant même que celui qui le faisait en eût clairement mesuré la portée, et même que certains commentaires ont été faits sur des déclarations avant même que le texte de cette déclaration fût publié. Je crois que nous aurions tous - je n'excepte personne - mieux servi notre cause, si nous avions donné notre avis sur ces problèmes avec un peu plus de calme, avec un peu plus de pondération, si nous avions compris que des millions d'Allemands suivent avec la plus grande attention les discussions sur ce problème vital, et que chaque nuance fausse, chaque mot malheureux, sont susceptibles de précipiter des millions d'hommes dans l'angoisse et le désespoir. J'ai suivi avec attention l'exposé de notre collègue le Dr Schumacher. Je peux lui dire que les objections, que les réserves qu'il a formulées sont très largement aussi les nôtres. Je crois également que nous devrions parler très franchement de ces problèmes, car j'ai tout de même l’impression qu’une telle discussion peut clarifier bien des choses.

Si je voulais résumer par anticipation l'impression d'ensemble de ce débat - et, Mesdames et Messieurs, je ne pense pas me tromper dans cette affaire - je voudrais tout de même dire ceci : la grande majorité de cette Assemblée, de même que le peuple allemand dans sa grande majorité, a pleinement conscience de la gravité de l'heure, et est prêt, dans son for intérieur, à apporter sa contribution à la défense de la liberté, parce qu'il sait qu'il ne peut pas, et ne veut pas vivre sans liberté.

Ne pas se laisser influencer par certains conseils moralisateurs

Mais – pour répondre à certaines objections – ne nous laissons pas influencer dans notre décision par de quelconques réflexions, ou même par certains conseils moralisateurs. Je crois, au contraire, que nous ne devrions pas être aussi timorés, et ne pas prendre en considération chaque article de journal, quand nous avons d’autres exemples sous les yeux. Peut-être sommes-nous injustes à l’égard du peuple américain., si nous croyons pouvoir juger de son attitude en la matière d’après le seul article de la Neue Zeitung. Nous devrions plutôt nous souvenir d’un discours que le président des Etats-Unis a prononcé, il y a quelques semaines à peine, à l’occasion du cinquième anniversaire des Nations Unies, un discours dont je puis dire qu’il était inspiré par un sentiment de profonde élévation morale, un discours que, à mon avis, chacun d’entre nous serait prêt à signer dans tous ses termes. Laissez-moi en citer une phrase :

« Je crois, a dit le président Truman, que les peuples de la terre font confiance aux Nations Unies pour atteindre deux objectifs importants. Ils attendent de vous votre aide pour une amélioration de leurs conditions d'existence, et ils font confiance aux Nations Unies pour satisfaire leur profond désir de paix. Ces deux objectifs sont étroitement liés. Sans la paix, il est impossible de réaliser des progrès dans l'amélioration des conditions de vie. Sans progrès dans le bien-être des hommes, les fondements de la paix resteront précaires. C'est pourquoi nous ne pourrons jamais nous permettre de négliger une de ces tâches aux dépens de l'autre. »

Mesdames et Messieurs, je ne crois pas qu'on puisse trouver dans ces paroles un ton faussement moralisateur. Celles-ci expriment ce qui est également notre vœu. Celles-ci expriment, avec une clarté sans équivoque - et je considère ceci comme particulièrement significatif - ce qui est ma conviction profonde : que nous ne pourrons jamais séparer la sécurité intérieure et sociale de la sécurité extérieure.

La sécurité intérieure et sociale est inséparable de la sécurité extérieure

Cela est bien évident : nous pouvons contribuer d'une façon décisive au maintien de la paix si nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour donner au peuple allemand le sentiment de la sécurité ; si nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer les conditions de vie du peuple allemand, si nous élevons son niveau de vie à un degré tel qu'il soit encore plus fortement et plus profondément immunisé contre le virus de l'Est. Mais je pense infailliblement à quelque conception sectaire quand j'entends certains intellectuels, comme cela s'est produit ces semaines dernières, répandre l'idée que ce doit être là notre seule contribution, et que, grâce à cette contribution, nous garantirons la paix au peuple allemand. Je citerai à ce propos une phrase prononcée il y a plusieurs dizaines d'années par Frédéric Naumann, et qui n'a rien perdu de sa valeur : « A quoi serviront les meilleures lois sociales, si les cosaques arrivent ? »

Questions mal posées

De même, je souscris entièrement aux paroles du Dr Schumacher quand il déclare que nous ne devrions pas utiliser la phobie de l'Est comme instrument de propagande. Eh bien, je peux lui assurer que nous ne nous laisserons pas influencer dans nos décisions par cette psychose de peur, que nous sommes au contraire résolus, sans tenir aucun compte de ces sentiments de crainte, à faire l’impossible pour garantir la paix et la liberté. Nous n'avons pas davantage perdu la tête, et j'avoue ne pas comprendre la question qui a été soulevée, de savoir si les communistes auront à bolcheviser des hommes valides ou des estropiés. Je refuse cette alternative. Elle me rappelle la célèbre question, s'il vaut mieux se suicider ou mourir de sa belle mort.

Je crois, toutefois, devoir encore ajouter ceci : on a discuté ici sur le point de savoir si l'Allemagne s’est déclarée prête, si la République fédérale a le droit de se déclarer prête, à contribuer à la sécurité commune. On a critiqué le fait que les déclarations de la République fédérale ont peut-être exprimé un tel accord, un accord qu'on pourrait comparer à une offre, bien que les conditions pour répondre à cette question ne soient pas encore réalisées. Expliquons-nous sur ce point : je crois que le problème n’est pas de savoir si on nous demande ce que nous sommes disposés à entreprendre pour la guerre, mais si nous sommes prêts à répondre à la question : que sommes-nous décidés à faire pour la paix ? Et à cette question, je crois que nous devons répondre sans réticence : tout.

L'exemple de Berlin

Je voudrais, à ce propos - je considère cela comme un devoir - vous rappeler l'attitude de la population de Berlin. A un moment où des millions de gens en dehors de Berlin avaient déjà abandonné tout espoir de voir la résistance de Berlin couronnée de succès, alors que beaucoup, qui aujourd'hui ont repris courage, se disaient de bouche à oreille qu'on devrait renoncer à cette expérience, en ce même moment ces millions de Berlinois n'ont pas perdu courage ; ils ont opposé une résistance héroïque, et ils ont prouvé à tout le peuple allemand et à l'opinion mondiale, qu'il existe à nouveau des Allemands qui placent la liberté au-dessus de tout. Cette attitude courageuse, Mesdames et Messieurs, a porté ses fruits. Car cette attitude courageuse a incité le monde à apporter son aide ; et, si je peux me permettre de compléter les déclarations de mon prédécesseur, le Dr Schaefer, on a fait des sacrifices, non seulement pour la liberté de la Corée du Sud, mais les premiers sacrifices ont été consentis par les Américains pour la liberté de Berlin, même des sacrifices en vies humaines.

Bien entendu, nous ne devrions pas davantage nous laisser déterminer par quelque psychose ou par l'obsession qu'il faut absolument faire quelque chose. Il est possible que maint discours prononcé ici, ou maint article, semble impliquer cet appel à l'opinion publique : il faut faire quelque chose ! Mais je crois être d'accord avec tous les membres de cette Assemblée en disant qu'il ne nous importe pas tant de faire quelque chose, que de faire ce qui doit être fait. Je ne vois pas non plus de différence - comme on pourrait le supposer, à entendre les déclarations du Dr Schumacher - comme si nous étions en train de discuter ici entre partisans d'une remilitarisation conditionnelle et tenants d’une remilitarisation sans condition.

Pas de réarmement national, mais une contribution à la défense de l'Europe

Tout d'abord, je voudrais souligner ce qu'un des précédents orateurs a déjà exprimé : n'allons-nous pas une bonne fois abandonner cette malheureuse expression ? On ne répétera jamais assez que ce concept de remilitarisation est réellement lié dans le public à certaines idées, comme si nous avions l'intention de restaurer le passé ou du moins de le copier. Pour mes amis et pour moi-même, je puis dire sans ambiguïté que nous ne songeons ni à restaurer le passé, ni à le copier, mais que nous avons la ferme volonté de faire du neuf. Nous ne voulons pas de remilitarisation, nous ne voulons pas d'armée nationale allemande comme moyen de réaliser par la force des buts politiques. Nous voulons contribuer à la création d'une armée européenne dans le cadre d'une Europe intégrée. Nous voulons être prêts, à l'intérieur d'une telle communauté européenne, à nous soumettre aux mêmes obligations et aux mêmes devoirs que les autres, et nous voulons y être prêts, non pas dans le sens et dans la voie d'une remilitarisation, mais dans le sens d'un appel au peuple allemand en vue de défendre sa liberté et de collaborer, dans une telle armée commune. Je ne vois là - permettez-moi cette allusion - aucune contradiction avec la Loi Fondamentale. Je ne voudrais pas continuer la collection de citations du précédent orateur, notre collègue von Merkatz, quoiqu'elle soit instructive ; je me contenterai de citer une phrase qui me semble prouver, plus qu'aucune autre, que certains membres du Conseil parlementaire, y compris certains sociaux-démocrates, avaient déjà conscience de la gravité de la situation. J'avais été chargé, en tant que membre du Comité de rédaction dont faisait également partie notre collègue Zinn, de proposer, dans l'article 26, le remplacement du mot « Guerre » par l'expression « Guerre d'agression », et j'avais déclaré au nom du Comité de rédaction : « Ce qui est interdit, c'est la guerre d'agression, alors qu'une guerre défensive ne serait pas interdite. »

Ainsi que je viens de le dire, je parlais au nom du Comité de rédaction. A quoi notre collègue Schmid a répondu en se prononçant pour le maintien du mot « guerre » tout court. Et voici comment il motivait sa proposition :

« Nous devrions affirmer notre conviction que, dans une symbiose ordonnée des peuples, ce qu'on considérait autrefois comme l'ultima ratio regum, l'expression suprême de la souveraineté, ne doit plus avoir droit de cité, et que s'il faut tout de même employer la force, cet emploi de la force ne doit plus être l'exercice d'un droit de souveraineté nationale, mais un acte de défense collective de toutes les Nations qui œuvrent pour maintenir la Paix dans le monde et rendre toute agression impossible. »

Mesdames et Messieurs, je ne vois pas comment on pourrait esquisser avec plus de justesse la conception du Gouvernement fédéral, que ne l'a fait par anticipation, il y a deux ans, notre collègue Schmid. J'ai déclaré tout à l'heure quel était l'enjeu de la partie. Il ne s'agit pas de reconstituer une armée nationale nouvelle. II me semble opportun et nécessaire de répéter ici la phrase décisive que j'ai prononcée pour mes amis à Strasbourg, une phrase à laquelle je n'ai aujourd'hui rien à ajouter et rien à retrancher. J'avais dit :

« Pour conserver aux peuples démocratiques de l'Europe, et au monde, non seulement la paix, mais aussi la liberté, mes amis sont prêts et décidés à soutenir la conception, non pas d'une armée nationale, mais d'une armée européenne commune, formée de peuples démocratiques libres et égaux en droits, sous une direction européenne commune et un contrôle démocratique. Si nous approuvons la résolution de M. Churchill, bien que l'Allemagne n'ait pas encore recouvré sa liberté d'action, c'est que nous voulons exprimer par là que nous estimons avoir les mêmes devoirs à l'égard de la liberté et du Droit que les autres représentants des peuples libres d'Europe. »


Profession de foi en la solidarité internationale

Mesdames et Messieurs, je crois que cela répond à toutes les objections que le Dr Schumacher avait soulevées dans son intervention contre une telle participation. Il avait posé comme condition à une telle participation à la défense du monde occidental notre adhésion sans réserve à la solidarité internationale. Je l’approuve sans réserve. Mais peut-être me sera-t-il permis de rappeler ici le communiqué de la Conférence des ministres des Affaires étrangères en date du 19 septembre 1950, où il est dit que les Gouvernements alliés considéreront toute attaque contre la République fédérale ou contre Berlin, de quelque côté qu'elle vienne, comme une attaque contre leur propre pays. Je crois que voilà une expression de solidarité internationale comme plus d'un parmi nous n'aurait osé en espérer de pareille, il y a quelques mois encore. Je comprends ceux qui craignent, et je partage leur souci, comme chacun d'entre nous, qu'en cas de conflit - que Dieu nous en préserve ! - l'Allemagne, par suite de sa position géographique, ne soit le pays le plus exposé.

Mais, Mesdames et Messieurs, toutes les garanties qu'on pourrait nous donner, toutes les promesses qu'on pourrait nous faire, ne changeront en rien la position géographique de notre patrie, et n'aboliront pas ce tracé des frontières dont nous souffrons aujourd'hui. Sans doute est-ce notre vœu le plus cher et notre exigence, que l'Allemagne ne devienne pas le champ de bataille, et encore moins le glacis d'une lutte armée. Mais peut-être devrait-on adresser cet appel à la solidarité internationale, et ce vœu de ne plus voir l'Allemagne devenir un glacis, au ministre français de la Défense nationale Jules Moch, qui malheureusement est socialiste.

Réclamer la solidarité internationale implique la participation

Quand, par ailleurs, le Dr Schumacher déclare qu'un pays ne devrait pas pouvoir être engagé abusivement pour la défense d'autres pays, je ne puis, là encore, que l'approuver. A coup sûr, il n'y a personne parmi nous qui pourrait admettre que des troupes allemandes, sous quelque prétexte, ou sous certaines conditions fussent utilisées ou engagées abusivement comme contingents pour des buts étrangers. Mais si nous exigeons qu'aucun pays ne puisse être engagé pour en défendre un autre, cela implique nécessairement que nous admettons de participer à la défense de notre propre pays ; sinon nous ne pourrions pas adresser une telle exigence aux autres. Je voudrais tout de même mettre en garde contre une idée qui a été parfois exprimée - pas aujourd'hui - dans les discussions publiques, et qui consisterait à dire, en brandissant la capitulation sans condition : vous nous avez vaincus ; à vous d'en supporter les conséquences, et de nous défendre. Mesdames et Messieurs,  personne ne pourra décharger de leur responsabilité ceux qui, après la capitulation sans condition, ont assumé la pleine responsabilité du destin de l'Allemagne. Mais je crois que nous n'avons pas davantage le droit, pour répondre à une expression que quelqu'un a employée, d'enfoncer nos mains dans nos poches jusqu'aux coudes et d'attendre que les autres défendent l'Allemagne sur l'Elbe ou peut-être demain sur la ligne Oder-Neisse. Je crois qu'on interpréterait très mal une telle attitude. Je crains aussi que de telles déclarations puissent avoir pour effet qu'on n'accorde plus une entière confiance à certains représentants de l’Allemagne, parce qu'on pense qu'il se trouve à nouveau en Allemagne des gens qui se bercent peut-être de l'idée qu'il pourrait arriver un moment où une alliance avec l'Est serait plus avantageuse. Du coup, nous perdrions beaucoup en considération et en crédibilité. Je mets en garde contre de telles idées, qui s’inspirent de la philosophie de l'enfant pas sage qui rend son père responsable du fait qu'il s'est gelé les doigts.

Rendre la vie digne d'être vécue et la protéger

J'approuve également ce qui a été exprimé ici par plusieurs orateurs : l'objectif le plus important, le plus urgent, de notre politique, doit être avant tout de créer un ordre social juste, de créer des conditions sociales qui - ainsi qu'on l'a dit - rendent pour le travailleur la vie digne d'être vécue ; car nous devons nous rendre à l'évidence : seul défendra sa vie et l'État dans lequel il vit, l'ordre dans lequel il vit, celui qui croit à cet ordre. Et il ne croira à cet ordre social que s'il est juste. Je répète ce que j'ai dit au début : nous ne pouvons pas et ne voulons pas diminuer cette sécurité sur le plan social ; quelqu'un avait exprimé ses soucis à cet égard. Mais comment pouvons-nous la maintenir, si nous ne sommes pas prêts à en remplir d'abord les conditions ?

Je crois qu'on a signalé ici un court-circuit fatal : on craint que la contribution de l'Allemagne à la défense de l'Europe et du Monde ne nous impose de nouveaux sacrifices matériels. Je comprends ce souci. Il est de même bien compréhensible que l'on s'inquiète de savoir si l'élévation du niveau de vie, que nous nous efforçons de réaliser, n'en souffrira pas. Mais ce serait méconnaître notre devoir, si par hasard nous souhaitions pouvoir offrir un de ces jours à l'Union soviétique, en don de joyeux avènement, le peuple au niveau de vie le plus élevé.

Les frais d'occupation

Dans le même ordre d'idées, il convient d'évoquer le problème des frais d'occupation, qu'on a soulevé à juste titre. Moi aussi, je suis d'avis que les frais d'occupation, tels qu'ils pèsent aujourd'hui sur l'Allemagne, dans la mesure où ils servent à l'entretien de troupes chargées de garantir la sécurité de l'Europe et du Monde, représentent déjà une réelle contribution financière de l'Allemagne à la défense commune. Et il me paraît aller de soi que, dans les prochaines négociations sur ce problème, ce point de vue soit affirmé ; mais je crois que précisément, de pareilles négociations, telles qu'en exigent par exemple les propositions du président Pleven, nous donneront la possibilité de défendre ce point de vue avec toute l'insistance voulue.

Contre l'accouplement Plan Schuman - Plan Pleven

On a manifesté à cette tribune un certain étonnement, parce que le Gouvernement fédéral regarde la déclaration du président du Conseil français Pleven comme une contribution précieuse à l'intégration de l'Europe. Mesdames et Messieurs, personne parmi nous n'a pu souscrire intégralement à cette déclaration, et mainte critique a été exprimée, par nous également. Je suis le premier à regretter - et je le dis tout haut - qu'on ait essayé, dans cette déclaration du Gouvernement français, d'accoupler maladroitement le plan Schuman à ce projet d'armée européenne; parce que, de ce fait, on a donné l'impression de vouloir exercer une certaine pression sur le déroulement des négociations. Mais je crois que nous aurions tort de n'en voir que le côté négatif. N'y a-t-il pas dans cette déclaration ministérielle des passages qui expriment clairement la même chose que ce que nous désirons, par exemple quand cette déclaration du Gouvernement français conclut en ces termes :

« La France avait déjà décidé de fournir sa contribution aux efforts entrepris pour la défense commune, dans le cadre de l'Alliance atlantique. Elle prend aujourd'hui l'initiative, d'un projet constructif pour l'organisation d'une Europe unie. L'Europe n'a pas le droit d'oublier les leçons de deux guerres mondiales, et au moment où ses forces se renouvellent, elle devra être organisée de telle façon que ces forces ne puissent servir à rien d'autre qu'à la défense de la sécurité internationale et de la paix. »

Quand je trouve une telle profession de foi dans cette déclaration, je crois devoir adopter la constatation du Gouvernement fédéral et dire : voilà une contribution réelle et précieuse à l'intégration de l'Europe.

Au sujet des propositions soviétiques

Un mot encore sur un point particulier, que M. le Chancelier avait également effleuré ; il s'agit de la question de savoir quelle pourra et devra être l'attitude de l'Allemagne au sujet des propositions du Kremlin, concernant la pacification de l'Europe et la réunification allemande. Je crois qu'il n'y a pas grand-chose à en dire, et quand un représentant de l'extrême-gauche vient nous affirmer ici, avec insistance que ce document est sans doute le plus important et le plus significatif qui ait été publié depuis 1945, eh bien je lui pardonne son éloquence euphorique. Après tout, c'est son devoir de présenter les choses de cette façon. Mais il n'y a rien de nouveau dans ce document, c'est pourquoi je ne comprends pas cet enthousiasme. Nous avons déjà formulé ici, au Bundestag, une exigence que nous ne nous lasserons pas de répéter : qu'il soit possible au peuple allemand de procéder à des élections libres et secrètes. Si on nous garantissait que les Allemands de ces quatre zones - je le répète - pouvaient participer librement à des élections générales, égales pour tous, immédiates et secrètes, alors, Mesdames et Messieurs, il ne se trouverait pas un seul parmi nous qui voudrait se soustraire à ce vote du peuple allemand. J'ajouterais cependant une condition ; c'est qu'on garantisse également à ceux qui auront voté librement qu'ils ne seront pas pris à parti demain en raison de leur libre décision.

Mais alors, Mesdames et Messieurs, le moment serait venu - et je suis persuadé qu'il n'y aurait pas une seule voix dans cette salle pour s'y opposer - de procéder à la dissolution de cette Assemblée : en exécution de l'article 146 de la Loi Fondamentale, stipulant que celle-ci cesserait d'être en vigueur le jour où la totalité du peuple allemand pourra décider de son destin par des élections libres. Alors viendra le moment de nous dissoudre nous-mêmes. En attendant, je ne suis pas d'avis que nous devions, pour quelque motif que ce soit, renoncer à nos responsabilités ; que, sous un prétexte quelconque, nous disions : nous ne sommes pas compétents. Je pense aussi qu'il est regrettable - et l’on devrait ici penser à certaines comparaisons possibles qui peuvent faire paraître la chose regrettable - qu'on veuille se soustraire de cette façon à une exigence claire et nette. On en a déjà parlé et je ne voudrais pas répéter ce qu'on a dit. Je me contenterai de constater ceci : celui qui prétend qu'au moment des élections pour le Bundestag la question dont nous discutons aujourd'hui n'avait pas été posée, et qu'en conséquence ce Bundestag n'est pas habilité à prendre des décisions au nom du peuple allemand, eh bien, Mesdames et Messieurs, celui-là devrait logiquement se taire, puisqu'il n'a pas non plus reçu mandat de ses électeurs d'en discuter.

Le devoir de défendre la liberté recouvrée

Mesdames et Messieurs, laissez-moi pour terminer ajouter ceci, avec tout le sérieux et toute l'insistance que méritent ces problèmes : ce que nous avons subi dans le passé, ce que nous avons créé dans un passé plus récent, tout cela ne justifie pas seulement notre désir de conservation, mais nous impose de tout faire pour y arriver. Reportons-nous en pensée à l'année 1945, à une époque où le peuple allemand, sous l'effet de cet effondrement sans précédent, menaçait de se figer totalement dans son agonie et de mourir. Reportons-nous en pensée à ces cinq années, durant lesquelles ce peuple allemand, avec une énergie exemplaire, avec des efforts exceptionnels, avec un sentiment du devoir et un zèle que déjà, maintenant, d'autres lui envient, a recréé une nouvelle Allemagne. Ne devrions-nous pas reconnaître que ce travail des cinq dernières années nous impose le devoir de maintenir ce qui a été créé ? Ne devons-nous pas nous rappeler que le peuple allemand a déjà une fois perdu sa liberté, et n'a pu la reconquérir qu'au prix des plus rudes sacrifices ? Ne savons-nous pas tous que, cette fois, si nous perdons la liberté, nous ne la recouvrerons jamais, parce que ceux qui pourraient la reconquérir ne seront plus en Allemagne ? Et ne sommes-nous pas tous d'accord qu'il n'y a pas de paix sans liberté, qu'il n'y a pas de démocratie sans liberté, qu'il n'y a pas de Justice qui puisse vivre ailleurs que dans la liberté, et qu'il n'y a pas de dignité humaine qui ne soit protégée par la liberté ?

C'était une lourde tâche, de recréer ce que nous avons sous les yeux aujourd'hui. Nous ne sommes qu'au début de cette tâche, et tout ce qui pourrait nous déranger dans notre travail est un coup terrible pour le peuple allemand. Mais le problème n'est pas d'éviter des dérangements : il s'agit maintenant, j'en suis convaincu, de répondre à la question qui nous est posée : voulons-nous continuer à vivre en liberté, ou bien ne nous sentons-nous plus capables de remplir notre tâche, et allons-nous renoncer ?

Je suis persuadé que, non seulement la majorité de cette Assemblée, mais la grande majorité du peuple allemand est décidée, dans la mesure de ses moyens, de tout faire pour maintenir la paix, et protéger son régime politique libéral, basé sur le respect des Droits de l'Homme. La majorité de cette Assemblée, et certainement aussi la majorité du peuple allemand, se déclare avec nous pour l'indivisibilité de la paix extérieure ou intérieure. Nous considérons par conséquent qu'il est de notre devoir de travailler de toutes nos forces au développement du niveau de vie et de l’évolution sociale, dans le cadre de la reconstruction de l'Allemagne, et aussi de contribuer à sa sécurité extérieure.

Nous avons enregistré avec satisfaction que les orateurs de l'opposition se sont également prononcés pour la défense de la liberté et le maintien de la paix, en collaboration avec les peuples libres du monde. Mais la majorité de cette Assemblée regrette avec moi que des considérations tactiques risquent de rendre difficile, sinon impossible, la réalisation par le Bundestag de ce dessein commun. Nous sommes parfaitement d'accord avec le Gouvernement sur le fait qu'une contribution allemande à la sécurité et au maintien de la paix doit être subordonnée à l'octroi au peuple allemand de droits et de devoirs égaux. Nous croyons que la solidarité internationale, inéluctablement nécessaire pour la défense de la liberté et de la paix, devra impliquer la solidarité effective avec le peuple allemand, et en définitive, l'impliquera nécessairement. Nous sommes prêts, en ce qui nous concerne, à faire notre devoir. Mais nous craignons très sérieusement que les méthodes préconisées et mises en œuvre par le président du Parti socialiste ne nous empêchent d'atteindre ce but, et constituent de ce fait une menace pour notre but commun.

Nous en appelons au peuple allemand pour qu'il ne se laisse pas gagner, dans sa lutte pour la réalisation de cet objectif, par l'amertume de certains souvenirs ou de certains griefs, qu'ils soient justifiés ou non. Nous en appelons au peuple allemand pour qu'il ne se laisse paralyser ni par la peur, ni par les menaces, mais qu'il avance résolument dans la voie de la liberté et de la paix, vers la communauté des peuples libres.

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