Retour sur les passations de pouvoir

Publié le par Ludovic Vigogne

Retour sur les passations de pouvoir

Depuis 1958, il n’y a eu que trois exercices de ce genre. 

Retour sur les passations de pouvoir

«On est un peu prisonnier ici, vous verrez.

Monsieur le président, c’est très dangereux de se représenter au terme d’un septennat. Personne ne pouvait m’empêcher d’être élu. Si vous ne vous étiez pas représenté, vous me succéderiez dans sept ans. »

L’échange a lieu le 21 mai 1981 entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Le second vient prendre la place du premier. Comme à son habitude, le socialiste est arrivé en retard. Afin d’éviter toute inélégance, le chef de l’Etat sortant a fait en sorte qu’ils soient assis dans des fauteuils similaires. « J’évite d’utiliser mon habituel canapé pour ne pas donner l’apparence d’une ultime recherche de supériorité », racontera-t-il plus tard dans ses Mémoires, « Le pouvoir et la vie ». Au 55 rue du Faubourg-Saint-Honoré, en ce matin printanier, cet exercice est le premier du genre. Depuis les débuts de la Ve République, il n’y avait jamais eu une telle passation de pouvoir entre deux présidents issus du suffrage universel.

En 1959 et 1974, Alain Poher n’y avait procédé que par intérim (de Gaulle avait démissionné, Pompidou était décédé). Jusqu’à aujourd’hui, il n’y en a eu que trois. Le rendez-vous est toujours très formel. Le moindre détail est réglé en amont. « Ce n’est ni le lieu ni le moment où l’on échange les grands secrets d’Etat, hormis celui du code nucléaire dont la transmission constitue elle-même un acte avant tout symbolique », dévoile Jacques Chirac dans « Le temps présidentiel ». Habituellement, le chef de l’Etat qui part demande à celui qui arrive de recaser quelques-uns de ses plus proches collaborateurs. VGE a eu cinq requêtes ; Mitterrand, deux. Pendant l’entretien, les bras droits de l’un font faire le tour du propriétaire à ceux de l’autre.

La plus chaleureuse, celle entre Mitterrand et Chirac

Cela n’empêche pas malgré tout les sentiments. La passation de pouvoir la plus chaleureuse a eu lieu le 17 mai 1995 entre François Mitterrand et Jacques Chirac. Le maire de Paris est très touché du geste qu’a eu le socialiste à son égard en réinstallant le bureau présidentiel tel que de Gaulle l’avait laissé quand il était parti. « Je lis dans ses yeux cette lueur de satisfaction que je connais bien : celle de l’homme qui vient de réussir son “coup”. Mais il paraît surtout heureux de m’avoir fait plaisir », racontera Chirac. « Il était resplendissant de bonheur. Il était satisfait de son score et prêt à tout pour me faciliter la vie », rapportera Mitterrand*. A la fin de l’entretien, celui-ci demandera au nouveau locataire de veiller à ce que le couple de colverts qui a pris ses habitudes dans le parc ne soit pas croqué par ses chiens. Sans succès…

Le 16 mai 2007, entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, c’est plutôt bref. Le patron de l’UMP n’était pas vraiment le successeur dont rêvait le Corrézien. Il lui donne un conseil : « Ne prends pas Bernard Kouchner comme ministre des Affaires étrangères. » On connaît la suite. Durant leurs quarante-cinq minutes de tête-à-tête, Valéry Giscard d’Estaing livre, lui, quatre ­informations confidentielles au premier président de gauche de la Ve : l’opération que prépare Sadate pour renverser Kadhafi, la coopération sur le nucléaire que mènent Français et Américains, le nom du successeur de Brejnev, une décision du Conseil supérieur de la magistrature sur le cas d’un condamné à mort. Mitterrand, lui, demandera un conseil à l’Ex : devrait-il mettre en œuvre un scrutin proportionnel aux législatives ? De professionnel à professionnel.

* Propos issus du tome IV de « La décennie Mitterrand ».

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