Adolf Eichmann, né à Solingen le 19 mars 1906 et exécuté dans la prison de Ramla, près de Tel-Aviv, le 31 mai 1962, est un criminel de guerre nazi, haut fonctionnaire du Troisième Reich, officier SS-Obersturmbannführer et membre du parti nazi. Nommé pendant la guerre à la tête du RSHA Referat IV B4, qui s'occupe des « affaires juives et de l'évacuation », il est responsable de la logistique de la « solution finale » (Endlösung). Il organise notamment l'identification des victimes de l'extermination raciale principalement dirigée contre les Juifs prônée par le NSDAP et leur déportation vers les camps de concentration et d'extermination. Ayant réussi à échapper à la justice après la capitulation allemande, et notamment au procès de Nuremberg, il est retrouvé, puis capturé par des agents du Mossad en mai 1960 à Buenos Aires, en Argentine, où il vivait depuis dix ans sous le nom de Ricardo Klement. Dans des conditions rocambolesques, il est exfiltré en Israël, où il est condamné à mort et exécuté à l'issue d'un retentissant procès tenu à partir d'avril 1961 à Jérusalem.
Né en 1906 à Solingen, Adolf Eichmann est le fils aîné d’un comptable à la Compagnie des tramways et de l'électricité (d'abord à Solingen, puis, à partir de 1913, à Linz), Adolf Karl Eichmann, et de Maria née Schefferling, décédée en 1914. Durant la Première Guerre mondiale, le père d’Eichmann sert dans l'armée austro-hongroise. À la fin de la guerre, il retourne à Linz et reprend les rênes de l’affaire familiale. Élevé dans une famille peu intéressée par la politique, le jeune Eichmann rejoint les Wandervögel (« Oiseaux migrateurs »), mouvement de jeunesse prônant le retour à la nature. Il est adhérent d'une section particulièrement radicale de ce mouvement, qui « propageait des conceptions raciales extrémistes », Die Greifen (Les Faucons), fondée par Ottger Gräff.
Au lycée, il adhère au Jungfrontkämpferverband, la section de jeunesse de l'association des anciens combattants austro-germaniques. Pro-germanique et anti-républicaine, cette association est néanmoins tolérée par les autorités autrichiennes. Il quitte l’école sans diplôme et commence l’apprentissage de la mécanique qu’il abandonne également. En 1923, il est embauché par la compagnie minière de son père qui a monté sa propre affaire. De 1925 à 1927, il travaille comme vendeur pour Oberösterreichische Elektrobau AG puis comme agent régional de la compagnie pétrolière Vacuum Oil Company AG (future Mobil puis Exxon Mobil), d'abord à Linz puis à Salzbourg, jusqu’à son licenciement en 1932.
La même année, à 26 ans, il assiste avec son père à une réunion du Parti nazi autrichien, sur l'invitation du père d'Ernst Kaltenbrunner, un vieil ami de la famille. Fortement impressionné par cet épisode qui détermine son engagement dans le nazisme, il rejoint la SS autrichienne, le 1er avril 1932, avec le grade de SS-Anwärter (candidat), sur proposition d'Ernst Kaltenbrunner. Celui-ci demeure toutefois distant, considérant Eichmann avec une certaine morgue. Au moment où il rejoint la SS, il vient d'adhérer à l'organisation para-maçonnique Schlaraffia, une association conviviale cultivant l'humour ; Ernst Kaltenbrunner lui explique toutefois, selon Hannah Arendt, qu'« en tant que nazi, il ne pouvait pas être franc-maçon ». De toute façon, Eichmann est peu après exclu des Schlaraffia pour avoir manqué aux règles de politesse (bien que le plus jeune, il a pris l'initiative d'inviter ses confrères à boire un verre de vin). Il est pleinement intégré à la SS en novembre 1932 comme SS-Mann (no 45 326). Il sert alors à mi-temps dans la Allgemeine SS de Salzbourg. Lorsqu'il s'engage chez les SS, il ne connait pas le Programme en 25 points du NSDAP, et n'a pas lu — ni ne lira jamais — Mein Kampf. Au cours de son procès à Jérusalem, il déclare : « Le programme du parti n'avait pas d'importance. On savait à quoi l'on souscrivait. »
Au printemps 1933, alors qu'Hitler a obtenu en mars les pleins pouvoirs, première étape de la « mise au pas » (Gleichschaltung) du pays, sa famille n'ayant pas abandonné la nationalité allemande, il retourne en Allemagne. Il demande alors son intégration à plein temps dans la SS, qui est acceptée. En novembre 1933, il est promu caporal (Scharführer) et intégré à l'équipe d'administration du camp de concentration de Dachau, ouvert dès mars 1933 pour interner les prisonniers politiques. En 1934, il choisit de faire carrière dans la SS et demande son transfert dans le Sicherheitsdienst (SD), alors dirigé par Reinhard Heydrich. Service de renseignement de la SS, le SD avait pour objectif initial d'effectuer du renseignement et du « contre-espionnage » dans les rangs du NSDAP. Selon son témoignage lors de son procès, il croit en fait rejoindre le service de sécurité du Reichsführer, c'est-à-dire l'équipe de garde du corps des hauts dignitaires nazis, plutôt que le Service de sécurité du Reich. Il y est effectivement transféré en novembre et est promu SS-Oberscharführer, chargé d'abord d'accumuler du renseignement sur les « francs-maçons » (catégorie qui amalgamait alors les francs-maçons, les communistes, les juifs et les catholiques) et de préparer l'édification d'un « musée » (nazi) sur la franc-maçonnerie.
Au bout de quatre ou cinq mois, il est transféré au département du SD chargé des « affaires juives ». Il réussit à être assigné au centre de commandement du Sicherheitsdienst (SD), à Berlin, où il est rapidement remarqué par ses supérieurs qui le promeuvent encore au rang de SS-Hauptscharführer en 1935 puis à celui de SS-Untersturmführer (sous-lieutenant) en 1937. Il devient alors intime de Dieter Wisliceny, qui témoignera contre lui. Entretemps, il épouse Vera Liebl (1909-1993) le 21 mars 1935. Le couple aura quatre fils, Klaus, né en 1936 à Berlin, Horst Adolf né en 1940 à Vienne, Dieter Helmut né en 1942 à Prague, et Ricardo Francisco né en 1953 à Buenos Aires. Au SD, son supérieur lui enjoint alors de lire son « premier livre sérieux », Der Judenstaat, ouvrage fondateur du sionisme, puis il lut l’Histoire du sionisme d'Adolf Böhm — qu'il confondait toujours avec l'ouvrage de Theodor Herzl lors de son procès — ; ce sont là probablement ses seules lectures, mis à part la presse. Eichmann devient alors défenseur de ce qu'il appelle la « solution politique » (au « problème juif ») : l'expulsion des Juifs d'Allemagne. Lors de son procès, Eichmann, racontant cela, prétend qu'il n'est alors pas à la SD, mais ingénieur chargé des routes à l'Organisation Todt d'Albert Speer.
En 1937, il est envoyé avec son supérieur Herbert Hagen en Palestine, alors sous mandat britannique, pour étudier la possibilité d'une émigration massive des Juifs allemands vers cette contrée. Dans ce but, il entre en contact avec une organisation sioniste. Ils débarquent à Haifa, mais n'obtenant qu'un visa de transit, ils vont jusqu'au Caire où ils rencontrent un membre de la Haganah. Le sujet de la conversation est encore de nos jours mal connu. Les rencontres qu'ils avaient prévues avec les chefs arabes ne peuvent avoir lieu du fait de l'interdiction de territoire palestinien. Dans leur rapport, ils déconseillent une émigration à grande échelle des Juifs allemands autant pour des raisons économiques que pour ne pas contredire la politique du Reich qui préconise de ne pas laisser un État juif se créer en Palestine. Après l’Anschluss (mars 1938), Eichmann est envoyé à Vienne, à la section du SD établie dans la ville et reçoit l'ordre de prendre le commandement des affaires juives et d'organiser l'expulsion des Juifs d'Autriche (dite « émigration forcée »). Pour cette action, il est promu SS-Obersturmführer.
À la fin de cette même année, marquée par la nuit de Cristal (à laquelle il aurait participé d'après Benjamin Murmelstein), il est désigné par le commandement SS pour former le Zentralstelle für jüdische Auswanderung, le « Bureau central pour l'émigration juive », chargé de l'expulsion. En huit mois, 45 000 Juifs sont expulsés par ses soins; en dix-huit mois, il arrive au chiffre de 150 000 Juifs expulsés, soit 60 % de la population juive autrichienne. Il est assisté dans cette tâche par l'avocat Erich Rajakowitsch, qui a l'idée de monter un « fonds d'émigration » alimenté par les Juifs les plus aisés afin de permettre aux plus pauvres de payer leur expulsion. L'une des premières mesures d'Eichmann est de libérer les notables juifs, pour la plupart internés dans des camps, afin ensuite de les convaincre de collaborer à l'organisation de cette expulsion massive. Il organise également le montage des différents papiers d'identité et documents de voyage nécessaires afin que les expulsés soient acceptés par des États-tiers. À la suite d'une réunion en septembre 1939 où Heydrich prône la création d'une réserve juive aux confins du Reich, Eichmann reçoit le 6 octobre l'accord d'Heinrich Müller, chef de la Gestapo, de déporter au-delà de la Vistule quelque 80 000 Juifs du territoire annexé de Haute-Silésie orientale. Le 15 octobre, il trouve l'endroit où installer le camp, le village de Nisko près de Lublin. Le 17 octobre, le premier convoi part pour Nisko. En tout près de 5 000 Juifs de Vienne, du protectorat et de Haute-Silésie orientale seront expulsés vers Nisko. Mais le plan Nisko est stoppé fin octobre 1939 par Himmler qu'il juge peu compatible avec sa priorité de réinstaller les volksdeutsche.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Eichmann est promu SS-Hauptsturmführer et s'est fait un nom au bureau de l'émigration juive. Il s'y est fait de nombreux contacts avec les dirigeants du mouvement sioniste avec lesquels il travaille pour accélérer l'émigration juive depuis le Reich. Eichmann retourne à Berlin en 1939, après la formation du « Bureau central de sécurité du Reich » (RSHA) qui unit sous une seule administration les différents services de police et de renseignement (SD, Gestapo, etc.). En décembre 1939, il est désigné à la tête du RSHA Referat IV B4, la section du RSHA qui s'occupe des « affaires juives et de l'évacuation » avec Rolf Günther et Friedrich Suhr chefs des deux sous-sections « évacuations » et « législation ». En août 1940, il rédige le plan Madagascar (Reichssicherheitshauptamt : Madagaskar Projekt) qui prévoyait la déportation de l'ensemble de la population juive d'Europe occidentale dans la colonie française de Madagascar. Promu SS-Sturmbannführer puis un an plus tard SS-Obersturmbannführer, c'est lui qui rédige à la demande de Heydrich la lettre à la signature de Goering sur les préparatifs de la solution finale :
« […] je vous charge en outre de m'adresser sous peu un plan d'ensemble sur les mesures préparatoires à prendre concernant l'organisation, la mise en œuvre et les moyens matériels nécessaires pour réaliser la solution finale désirée de la question juive. »
À la fin de l'été 1941, Eichmann est convoqué dans le bureau de Heydrich qui lui dit :
« je sors de chez le Reichsführer (ndlr : Heinrich Himmler) ; le Führer vient d'ordonner la destruction physique des Juifs. (« Ich komme vom Reichsführer ; der Führer hat nunmehr die physische Vernichtung der Juden angeordnet ») »
En 1942, Reinhard Heydrich invite Eichmann à participer à la conférence de Wannsee où l'Allemagne nazie met en place l'industrialisation de la « solution finale » ; l'extermination a cependant commencé avant, notamment dans le gouvernement général de Pologne et dans les Reichskommissariat du front de l'Est où des centaines de milliers de juifs, hommes femmes et enfants ont péri sous les balles des Einsatzgruppen. Eichmann est alors nommé « administrateur du transport », chargé de tous les trains qui transportent les Juifs vers les camps de la mort en Pologne. Durant les deux années suivantes, Eichmann assume son rôle avec zèle et déclare qu'il rirait « en sautant dans [s]a tombe, car j'ai le sentiment d'avoir tué cinq millions de Juifs. Voilà qui me donne beaucoup de satisfaction et de plaisir. » Son travail est remarqué et, en 1944, il est nommé en Hongrie pour organiser la déportation : il envoie 450 000 des 800 000 Juifs hongrois dans les chambres à gaz nazies.
À l'été 1944, il négocie avec Rudolf Kastner, responsable d'une petite organisation juive, et permet le départ vers la Suisse d'un peu plus d'un millier de Juifs (1 684 sur 450 000 Juifs hongrois envoyés par lui dans les camps). En 1960, il prétendra dans le magazine Life que Kastner « avait accepté de faire tout son possible pour que les Juifs n'opposent aucune résistance à leur déportation, et même qu'ils se comportent correctement dans les camps de regroupement, si je fermais les yeux et laissais quelques centaines ou quelques milliers de jeunes Juifs émigrer vers la Palestine. C'était une bonne affaire. » En octobre 1944, Heinrich Himmler, ministre de l'Intérieur et Reichsführer SS, ordonne l'arrêt des exterminations. Tirant parti de la confusion lors de la prise du pouvoir par Ferenc Szálasi, Eichmann ordonne cependant personnellement une dernière « marche de la mort » vers Auschwitz. Il s'efforce aussi d'éviter d'intégrer les unités combattantes, ayant été nommé un an auparavant SS-Untersturmführer de réserve de la Waffen-SS, grade qu'il cumule avec celui d’Obersturmbannführer-SS.
À la fin de la guerre, Eichmann fuit l'avancée soviétique et rejoint l'Autriche où il retrouve le chef du RSHA, le SS-Obergruppenführer Ernst Kaltenbrunner. Début mai 1945, il est, avec son épouse, Vera Eichmann, à Altaussee, devenu refuge de nombreux nazis, dont son supérieur Ernst Kaltenbrunner et Franz Stangl. Ce dernier, prenant peur, lui aurait recommandé de « foutre le camp » ; le commandant d'Auschwitz et de Theresienstadt, Anton Burger, lui demande également de quitter ses camarades : « Vous êtes recherché comme criminel de guerre, pas nous ». Le 6 mai, il quitte Altaussee, le Sturmbannführer Wilhelm Höttl, chargé du contre-espionnage au sein du RSHA, partant à la demande de ses collègues avec son adjoint Rudolf Jänisch dans la montagne. Les deux hommes changent alors d'identité, Eichmann se faisant passer pour l'Obergefreiter Bart, caporal de la Luftwaffe. Malgré cela, ils sont arrêtés peu de temps après par l'armée américaine, près d'Ulm, alors qu'Eichmann a pris le nom d'« Otto Eckmann », sous-lieutenant (SS-Untersturmführer) (il ne parvenait pas à effacer avec efficacité son tatouage SS). Jusqu'à août 1945, il est incarcéré au camp de Weiden (ex-stalag XIII-B), près de Nuremberg, avant d'être transféré au camp d'Oberdachstetten.
Le 14 décembre 1945, le procureur du tribunal de Nuremberg, William Walsh, définit l'extermination des Juifs comme « l'objectif ultime du parti nazi et de l’État contrôlé par les nazis », s'appuyant sur une déclaration de Wilhelm Höttl faite le 26 novembre, qui citait une conversation avec Eichmann de l'automne 1944, au cours de laquelle celui-ci avait rapporté que quatre millions de Juifs avait été tués dans les camps et deux millions par les Einsatzgruppen. Devant le lieutenant-colonel Smith Brookhart, le 3 janvier 1946, un collaborateur d'Eichmann, le SS-Hauptsturmführer Dieter Wisliceny, cite à nouveau le nom d'Eichmann, accolé à un document signé d'Himmler évoquant la « solution finale » et présenté à l'été 1942 par Eichmann à son subordonné, qui précisait qu'il s'agissait là d'anéantir la « race juive ». Ayant entendu parler de ces déclarations, Eichmann obtint de l'aide auprès d'anciens officiers SS détenus dans son camp de prisonniers, ainsi que, selon ses dires, d'une « infirmière », et réussit ainsi à s'évader le 5 février 1946, doté de surcroît de faux papiers. Il se cache alors en Allemagne durant plusieurs années, d'abord sous le nom d'Otto Henninger.
Il travaille comme bûcheron pour le frère d'un officier SS fait prisonnier, à Eversen, près d'Hambourg, avant de devenir éleveur de poules en 1948. Le 15 avril 1946, Rudolf Höss, ex-commandant d'Auschwitz, affirme à Nuremberg qu'Eichmann, aux ordres d'Himmler, était l'exécuteur de l'extermination des Juifs. Le Counter Intelligence Corps (CIC, le service de renseignement militaire américain) interroge alors, le 26 novembre 1946, Vera Eichmann à Altaussee, afin d'essayer de retrouver son mari. Une source du CIC prétend alors qu'Eichmann est en Égypte. En janvier 1947, ce sont les parents d'Eichmann qui sont interrogés, sans plus de succès. L'UNWCC, chargé de la poursuite des criminels de guerre et qui l'a sur sa liste, indique cependant à cette date : « On croit qu'il s'est suicidé. Source CIC américain. »
Mi-1948, il se fait faire, dans la commune de Termeno, un certificat d'identité au nom de Ricardo Klement, mais ne l'utilise pas immédiatement. Eichmann, comme Mengele et l'ex-chef de la Gestapo Müller, figure alors sur une liste noire du MI14, laquelle n'est cependant pas rendue publique. À la fin avril 1950, il quitte Eversen et, sous le pseudonyme d'Otto Henninger, part pour l'Autriche puis en Italie en passant par le col du Brenner. Il s'arrête dans de nombreux monastères, dont celui de Saint-Raphaël de Bavière, qui avait pourtant été soupçonné par le SD d'aider les Juifs sous le nazisme. Arrivé en Italie, on lui remet à Merano des papiers d'identité au nom de Ricardo Klement, faits en 1948. On lui donne aussi, au même moment, une autorisation d'entrer en Argentine. Avec l'aide d'un moine franciscain, Edoardo Dömöter, il entre en contact avec l'évêque Alois Hudal, lequel organisait l'un des principaux réseaux d'exfiltration nazis (il aida notamment Franz Stangl, Barbie et Mengele). Grâce à lui, Eichmann obtient le 1er juin 1950, à Gênes, un passeport humanitaire de la Croix-Rouge internationale, établi au nom de « Ricardo Klement », né le 23 mai 1913 à Bolzano (Italie), ainsi qu'un visa argentin.
Le 14 juillet 1950, Eichmann débarque à Buenos Aires où il exercera différents métiers manuels. Il entre rapidement en contact avec Carlos Fuldner, qui lui trouve un emploi à Tucumán, dans une entreprise hydroélectrique détenue par Compañía Argentina para Proyectos y Realizaciones Industriales – Fuldner y Cía (Compañía Argentina para Proyectos y Realizaciones Industriales – Fuldner y Cía). En juin 1952, il fait venir à Graneros sa femme et ses deux fils en faisant appel à — selon ses mots — « l'organisation ». Il aura un quatrième fils, Ricardo Francisco Eichmann, né en 1953.
Début 1953, la compagnie fait faillite, et la famille Eichmann s'installe dans la capitale, rue Chacabuco, dans le quartier Olivos (Vicente López). Bien que distant de Mengele, il croise parfois celui-ci au restaurant ABC, rue Lavalle. À partir de 1956, il écrit des rapports pour mettre au clair sa propre perspective sur la Solution finale : il envisage de rentrer en Allemagne et prépare ainsi sa défense en cas de jugement. En mars 1959, il devint mécanicien dans une usine Mercedes-Benz du Nord de Buenos Aires. Il emménage alors rue Garibaldi dans le quartier de San Fernando. En 1960, il est interrogé notamment par un journaliste néerlandais, l'ancien nazi Willem Sassen, afin d'élaborer une contre-histoire du nazisme pour contrer les premiers écrits des historiens sur ce sujet.
Durant les années 1950, de nombreux juifs s'emploient à retrouver les criminels nazis en fuite, et Eichmann fait partie des premiers sur la liste. Des documents déclassifiés (notamment sa fiche de police) montrent que le gouvernement ouest-allemand ainsi que la CIA connaissent, dès 1952 (1958 pour la CIA), la localisation et le pseudonyme sous lequel se cache Eichmann (Klement), mais ne le révèlent pas pour raison d'État. Il semble que la crainte ait été qu'Eichmann dénonce Hans Globke, alors membre du gouvernement du chancelier Konrad Adenauer. Le rabbin Abraham Kalmanowitz tenta ainsi en 1953, avec le responsable du département d'État Adolf A. Berle Jr., de convaincre le directeur de la CIA, Allen Dulles, de se mettre à la recherche d'Eichmann. Réticent, ce dernier finit par céder, et ordonna des recherches dans les pays arabes, où se situait Eichmann selon Kalmanowitz.
Sept ans plus tard, l’opération Attila fut déclenchée par le Premier ministre d'Israël David Ben Gourion qui souhaitait à cette occasion un procès, le « Nuremberg du peuple juif », pour refonder une unité nationale (de nombreux jeunes Israéliens ne comprenaient pas ou étaient honteux à l'idée que des millions de Juifs s'étaient « laissé conduire à l'abattoir » et contrariaient l'image héroïque du renouveau juif en Israël) et affermir la légitimité de son parti le Mapaï : Eichmann fut enlevé en pleine rue, juste devant chez lui à Buenos Aires, par un commando d'agents du Mossad dirigé par Isser Harel, alors chef du Mossad et ancien chef du Shin Bet, le 11 mai 1960. Séquestré dans la cave d'une planque louée par les agents israéliens, il reconnut son identité et signa de force une déclaration par laquelle il acceptait d'être jugé en Israël. Le 21, il fut transporté jusqu'en Israël depuis un aéroport militaire argentin, à bord d'un avion de la compagnie aérienne israélienne El Al qui avait emmené la délégation de l'État hébreu aux fêtes du 150e anniversaire de l'indépendance argentine puisqu'il n'existait pas de liaison aérienne directe entre les deux pays.
Pour l'anecdote, à l'entrée de la base, un barrage militaire les attendait. Afin qu'Eichmann ne dévoile pas aux soldats argentins qu'il venait d'être enlevé, il fut revêtu d'un uniforme d'El Al. Eichmann fut placé sous sédatifs (on le fit passer pour malade) et les membres du commando étaient également en tenue de navigants. Il fut suggéré à un moment que les membres du commando simulent l'ivresse pour éviter que le comportement d'Eichmann n'attire l'attention mais l'idée fut abandonnée. À l'entrée de la base, les soldats argentins arrêtèrent l'automobile et se moquèrent des Israéliens incapables de tenir l'alcool. Cette action, contrevenant au droit international et mettant en cause la souveraineté de l'État argentin, souleva des protestations du gouvernement Frondizi, ainsi que des manifestations néo-nazies, marginales, dans le monde. En Argentine, le Mouvement nationaliste Tacuara organise une campagne importante d'antisémitisme.
Le gouvernement israélien nie tout d'abord être impliqué dans cet enlèvement et prétend qu'il est le fait de volontaires civils juifs chasseurs de nazis. David Ben Gourion, alors Premier ministre, annonce la capture d'Eichmann à la Knesset le 23 mai 1960. Cette annonce est acclamée debout par les députés présents. Mais depuis les déclassifications de documents réalisées par les services secrets israéliens dans la première décennie du XXIe siècle, de nouvelles informations sur le déroulement de la capture d'Adolf Eichmann ont été mises au jour. Il est apparu que Lothar Hermann et le Procureur général du land de Hesse Fritz Bauer avaient largement contribué, chacun à leur manière, à la capture du nazi. En effet, Lothar Hermann, un rescapé de Dachau, avait émigré en Argentine en 1938 avec toute sa famille. Or, sa fille, Sylvia, entretenait une relation avec un certain Klaus Klement. Les remarques de Klaus concernant le passé nazi de son père, ainsi que la lecture en 1957 d'un article concernant le procès de SS à Francfort, ont persuadé Hermann que le père de Klaus Klement pourrait être Eichmann.
Il a alors envoyé sa fille enquêter chez les Eichmann. La porte s'ouvrit et Sylvia découvrit un homme d'âge moyen à qui elle demanda : « Êtes-vous Monsieur Eichmann ? » ; l'homme ne répondit pas mais il admit être le père de Klaus Klement. Hermann prévint le Procureur général Fritz Bauer, exerçant dans la Hesse. Le Procureur général n'avait pas confiance en la justice allemande, qui comptait encore de nombreux nazis dans ses rangs, et prévint directement les autorités israéliennes en septembre 1957, en se rendant directement en Israël, bravant la surveillance policière dont il faisait l'objet en Allemagne, et risquant sa vie en « trahissant » son pays (en faisant appel à des services extérieurs). Le Mossad prit contact avec Hermann. Le chef du service, Isser Harel, envoya un de ses enquêteurs, Zvi Aharoni, localiser précisément Eichmann. Le Mossad hésitait, le temps passait, mais grâce aux indications d'Hermann qui continuait à le surveiller, les services secrets élaborèrent un plan d'enlèvement. Le gouvernement israélien approuva ce plan en 1960 et le mit en application peu de temps après.
Le rôle de Simon Wiesenthal, célèbre « chasseur de nazis », est souvent mis en avant dans l'affaire Eichmann, mais demeure pourtant très controversé. Après la capture d'Eichmann, Wiesenthal publia en effet Ich jagte Eichmann (J'ai chassé Eichmann) dans lequel il se plaçait au centre de ce fait d'armes, tandis que Tuviah Friedman, devenu son rival, publiait The Hunter, lequel obtint un bien moindre succès. D'autres écrivirent des livres sur l'affaire Eichmann, dont le Minister of Death (publié en septembre 1960) des journalistes Zvi Aldouby et Ephraim Katz, dont une « bonne partie » serait « totalement inexacte ». Selon la version de Wiesenthal, il aurait rencontré, lors d'une réunion philatélique à l'automne 1953, un ami autrichien, le baron Heinrich Mast, qui, par hasard, en lui montrant sa collection, lui aurait confié avoir conservé cette carte postale d'un ancien officier allemand exilé en Argentine, bien connue à l'époque pour abriter de nombreux anciens responsables nazis, qui aurait dit avoir vu « ce sale porc d'Eichmann » ayant « régné » sur les Juifs, et qui contenait des informations plus précises : « Il vit à Buenos Aires et travaille pour la société des eaux ». Selon les propres dires de Wiesenthal, ces informations auraient permis aux Israéliens de localiser Eichmann. Dans ses Mémoires, Wiesenthal omettait de nommer le baron en question, qui était un ancien agent de l'Abwehr travaillant pour l'Organisation Gehlen jusqu'en 1952, puis pour l'ex-nazi Wilhelm Höttl, directement au service de l'Amt blank, un service secret particulier créé par le conservateur Theodor Blank.
Par ailleurs, interrogé le 25 mai 1960 par The Times, à chaud, Wiesenthal nia « avoir été personnellement impliqué dans l'enlèvement d'Eichmann », indiqua qu'il avait auparavant transféré toutes ses archives sur Eichmann à Yad Vashem, et qu'un des amis, Tuviah Friedman, nouvel émigrant en Israël, avait eu connaissance de tous ces documents mais qu'il ne pouvait préjuger du rôle de celui-ci, alors tenu par la Presse pour le « ravisseur d'Eichmann ». Le rôle crucial allégué par Wiesenthal dans la capture d'Eichmann a été lourdement remis en cause. Ainsi, le Jerusalem Post révéla dans son édition du 7 mai 1991 l'existence d'un manuscrit non publié d'Isser Harel, dirigeant du Mossad lors de la capture d'Eichmann, qui sous-entend que les agissements de Wiesenthal auraient failli compromettre l'enlèvement d'Eichmann et empêché celui de Joseph Mengele. En fait, Wiesenthal n'aurait transmis ses informations obtenues à l'automne 1953 qu'en mars 1954 au consul israélien Arie Eschel ainsi qu'au dirigeant du Congrès juif mondial, Nahum Goldmann. Mais s'il croyait Eichmann en Argentine au milieu des années 1950, vers 1960 il le croyait au contraire en Europe. Ainsi, selon G. Walters (2009) :
« En 1954, Wiesenthal affirma à juste titre qu'Eichmann était en Argentine, et on ne l'écouta pas. En 1959, Wiesenthal se trompa en affirmant qu'Eichmann était en Europe, et on ne l'écouta pas davantage, car les Israéliens savaient qu'il était en Argentine. En 1961, par la publication de Ich jagte Eichmann Wiesenthal s'assura qu'à l'avenir il serait écouté en affirmant qu'il avait toujours soupçonné qu'Eichmann se trouvait en Argentine. »
Eichmann comparaît à Jérusalem pour quinze chefs d'accusation le 11 avril 1961. Ces chefs d'accusation peuvent être regroupés en quatre catégories :
Alors que les crimes de guerre et contre l’humanité ont une qualification internationale, les crimes contre le peuple juif proviennent d'une loi de 1950 votée deux ans après la création de l'État d'Israël ; cette loi a suscité une grande polémique. Exceptionnellement, ce procès fut présidé par trois juges : Moshe Landau, Benjamin Halevy et Yitzhak Raveh. Le procureur était Gideon Hausner, alors procureur général. Eichmann fut défendu par l'avocat allemand Robert Servatius. Le procès eut lieu dans une salle de spectacle du Beit Ha'am (« Maison du Peuple » de Jérusalem, aujourd'hui le Gerard Behar Center, centre artistique inauguré l'année précédente et transformé en tribunal pour l'occasion. Ce procès attira deux fois plus de journalistes qu'à Nuremberg et fut presque intégralement filmé pour les télévisions du monde entier (c'est le deuxième grand procès où des caméras furent autorisées après Nuremberg), malgré les réticences de David Ben Gourion, par quatre opérateurs israéliens formés et supervisés par le documentariste américain Leo Hurwitz qui bénéficia d'équipements à la pointe du progrès (premiers magnétoscopes à l'époque, caméras Marconi), Hurwitz étant recruté par son compatriote, le producteur Milton Fruchtman (il avait déjà fait réaliser pour NBC une biographie de Ben Gourion) pour la Capital Cities Broadcasting Corporation de New York.
Il provoqua une controverse internationale et un émoi gigantesque. Les téléspectateurs du monde entier découvrirent en direct Eichmann dans une cage de verre blindée écoutant un interminable défilé de témoins décrivant son rôle dans le transport des victimes de la Shoah. La seule ligne de défense d'Eichmann, qui se défendit pied à pied, était d'affirmer n'avoir rien fait d'autre que « suivre les ordres » et qu'il était un idéaliste. La détention d'Eichmann durant toute la durée du procès, donna lieu à des mesures de sécurité draconiennes à la prison de Ramla, non loin de Tel Aviv (il avait auparavant passé les premiers temps de sa détention à la prison de Yagur, près de Haïfa), l'administration pénitentiaire voulant à tout prix éviter que le détenu ne se suicidât ou fût assassiné par vengeance. 22 gardiens furent recrutés et on veilla à ce qu'aucun d'entre eux ne fût ancien déporté (ou ait perdu sa famille dans les camps). Eichmann disposait d'un « appartement » de cinq pièces, situé à l'étage d'une aile de la prison, auquel aucun gardien ashkénaze (donc susceptible d'être originaire d'Allemagne ou d'Europe de l'Est) n'était autorisé à monter. La nourriture du détenu et de ses gardiens arrivait à la prison dans des récipients scellés, afin d'éviter toute tentative d'empoisonnement, les plats d'Eichmann étaient même préalablement goûtés par ses geôliers avant qu'ils ne lui fussent servis.
Déclaré coupable pour tous les chefs d'inculpation après un procès qui dure huit mois, il est condamné à mort le 11 décembre 1961, et interjette appel. Le 28 mars 1962, le jugement en appel confirme le verdict. Il présente un recours en grâce, qui est refusé par le président de l'État, Yitzhak Ben-Zvi, le 31 mai.
Il est pendu par l'agent pénitentiaire Shalom Nagar, juif israélien d'origine yéménite, peu avant minuit le 31 mai 1962, dans la cour de la prison de Ramla. Il est l'un des deux seuls condamnés à mort à avoir été exécuté par Israël, et le seul civil (le capitaine Meir Tobianski avait été fusillé en 1948 pour trahison). En Israël, les faits dont Eichmann a été accusé constituent — avec la trahison — les seuls crimes capitaux. Ses derniers mots auraient été : « Vive l'Allemagne ! Vive l'Autriche ! Vive l'Argentine ! Trois pays que j'ai aimés. J'ai obéi aux lois de la guerre et à mon drapeau. Je salue ma femme, ma famille et mes amis. » Pourtant, le bourreau d'Eichmann ne fait mention d'aucune parole. D'après son souvenir : « Il n'y avait là qu'Eichmann et moi. Je me tenais à un mètre de lui et le regardais droit dans les yeux.
Il refusa qu'on lui bande les yeux, et il portait encore aux pieds des pantoufles à carreaux ordinaires. J'ai tiré la manette et il est tombé en se balançant au bout de la corde. » Il est vraisemblable qu'Eichmann n'ait prononcé aucune parole, car il a passé sa captivité à rédiger un document de 1 300 pages intitulé False Gods qui tenait lieu de dernières paroles et fut rendu public par les autorités israéliennes le 29 février 2000. Son corps est incinéré dans un crématorium construit spécialement à cet effet dans la cour de la prison et ses cendres dispersées en Méditerranée, conformément aux dernières volontés d’Eichmann lui-même. Israël accepta cette requête, mais uniquement si ses cendres étaient jetées en-dehors de ses eaux territoriales afin d'éviter qu'elles ne « souillent » le territoire de l'État hébreu.
Bien que mis en cause lors du procès de Nuremberg, le nom d'Eichmann avant son procès est quasi inconnu de l'opinion publique occidentale (ce qui est moins le cas en Israël où un tiers de la population sont des survivants de la Shoah appartenant aux communautés juives d'Allemagne, d'Autriche et de Hongrie). La volonté de Ben Gourion et du procureur de favoriser « l’avènement du témoin » en faisant raconter toute l'histoire du génocide par les survivants provoque une catharsis dans le pays israélien et « inscrit la Shoah dans le code génétique israélien ». Enfin, cette procédure judiciaire constitue le premier grand procès individuel des crimes commis dans le cadre de la Shoah par une juridiction nationale.
Après l’exécution d’Eichmann, les historiens n'ont cessé de spéculer sur sa vie et sur son action. La question la plus cruciale étant de définir sa responsabilité exacte dans la mise en œuvre de la « solution finale ». La plupart affirment qu'il savait exactement ce qu'il faisait et connaissait les conséquences de ses actes. Néanmoins, quelques-uns, dont son fils, estiment qu'il a été méjugé et qu'il ne faisait que son devoir de soldat allemand. Une troisième et très controversée analyse est faite notamment par Hannah Arendt, philosophe juive allemande exilée en France (1934), puis aux États-Unis (1941) et qui a couvert le procès Eichmann pour le magazine The New Yorker. Dans son ouvrage, Eichmann à Jérusalem, qui compile ses chroniques de ce procès, Arendt reprend sa théorie du rouage du système et conclut qu'Eichmann n'a montré ni antisémitisme ni troubles psychiques, et qu'il n'avait agi de la sorte durant la guerre que pour « faire carrière ». Elle le décrit comme étant la personnification même de la « banalité du mal », se fondant sur le fait qu'au procès il n'a semblé ressentir ni culpabilité ni haine et présenté une personnalité tout ce qu'il y a de plus ordinaire.
« Je me suis dit : « À quoi bon élaborer mes propres projets ? Je suis trop faible et sans pouvoir. Désormais — c’était la guerre — je ne ferai plus que ce qu’on m’ordonne de faire » ; « J’ai éprouvé de la satisfaction en analysant ma situation au regard des conséquences de la conférence de Wannsee. À ce moment-là, […] je me suis senti vierge de tout culpabilité. Les personnalités éminentes du Reich s’étaient exprimées à la conférence de Wannsee. Les « pontes » avaient donné leurs ordres. Il me restait à obéir. […] Je déclarerai pour terminer que déjà, à l’époque, personnellement, je considérais que cette solution violente n’était pas justifiée. Je la considérais comme un acte monstrueux. Mais à mon grand regret, étant lié par mon serment de loyauté, je devais dans mon secteur m’occuper de la question de l’organisation des transports. Je n’ai pas été relevé de ce serment. » — Déclarations d'Adolf Eichmann
Dans La Traque du mal (2009), Guy Walters conteste ce point de vue. Il insiste au contraire sur le fanatisme d'Eichmann, ce qui néanmoins n'est pas forcément contradictoire avec l'habitude « à l'obéissance, à la discipline et à la subordination volontaire » encensée par Eichmann et le nazisme. La phrase souvent citée — mais par Arendt également —, « Je descendrai dans la tombe le sourire aux lèvres à la pensée que j'ai tué cinq millions de Juifs. Cela me procure une grande satisfaction et beaucoup de plaisir », pourrait tendre à accréditer cette interprétation. À l'appui du fanatisme d'Eichmann, le journaliste Ron Rosenbaum, auteur d'Explaining Hitler: The Search for the Origins of His Evil (1998), avance son intervention à la fin de la guerre pour s'assurer de l'extermination des Juifs hongrois.
Arendt élargit cette constatation à la plupart des criminels nazis, et ce, quel que soit le rang dans la chaîne de commandement, chacun effectuant consciencieusement son travail de fonctionnaire ou de soldat, plus préoccupé comme tout un chacun par son avancement que par les conséquences réelles de son travail. Le fondement de la thèse d'Arendt, construite d'abord et avant tout contre toute interprétation pathologique de ces criminels, reposerait sur l'incapacité de ces hommes à penser, sur un manque d'« imagination » qui les aurait empêchés de se mettre à la place de leurs victimes et d'éprouver ainsi de la pitié — l'arrière-fond kantien et heideggerien de la pensée d'Arendt doit bien entendu être pris en compte dans l'utilisation de ces concepts désignant l'esprit humain.
Beaucoup allèrent plus loin dans ce raisonnement en affirmant que chacun pourrait commettre les crimes les plus odieux, pour autant que les bonnes conditions soient réunies, les bons ordres, les bonnes incitations données au bon moment ; mais Arendt, quant à elle, refuse cette interprétation. Celle-ci fut enrichie par l'expérience Milgram, dont les enseignements demeurent cependant discutés. Dans Souffrance en France, pour expliquer le phénomène de banalisation du mal, Christophe Dejours a soutenu une autre hypothèse en mettant en relation le cas Eichmann avec les stratégies de défense.
En ce qui concerne le procès, Nahum Goldmann, le président du Congrès juif mondial, et le philosophe Martin Buber souhaitaient voir Eichmann traduit devant une Cour internationale. Pour Alain Gresh « l'alternative était posée : le génocide concernait-il seulement les Juifs et Israël ou bien l'ensemble de l'humanité ? » Pour David Ben Gourion, la réponse ne faisait pas de doute : « Le génocide s'inscrivait dans l'histoire juive […] une telle interprétation occultait non seulement les autres victimes, mais aussi la genèse européenne de ce qui s'était passé. ». Adolf Eichmann est le seul nazi avec John Demjanjuk mis en procès à Jérusalem selon la loi israélienne de 1950 réprimant les nazis et les collaborateurs.