Chili
État d'Amérique du Sud en bordure de l'océan Pacifique, le Chili est limité au nord par le Pérou, au nord-est par la Bolivie, à l'est par l'Argentine.
La conquête du Chili est longue et difficile. Protégé, au nord par le désert d'Atacama, à l'est par les Andes, et occupé par des tribus araucanes (les Mapuches) particulièrement belliqueuses, le Chili résiste à l'avancée espagnole. Il faut vingt-deux ans aux conquérants pour asseoir définitivement leur présence dans les vallées centrales et lancer la colonisation. La campagne de Diego de Almagro (1535-1536) est un échec, celle de Pedro de Valdivia (1540-1553) ne peut briser la résistance mapuche ; ce dernier meurt d'ailleurs lors d'une de ces batailles (Tucapel, 1553). Les Espagnols maîtrisent alors la moitié nord du Chili, ont fondé les principales villes du pays (Santiago en 1541, La Serena en 1544, Concepción en 1550 et Valdivia en 1552), mais sont toujours bloqués au sud. La troisième vague d'opérations militaires, menée par Hurtado de Mendoza en 1557, semble écarter définitivement le danger d'une révolte indigène : la conquête est alors presque achevée. En 1598, pourtant, une nouvelle insurrection chasse les Espagnols du sud du fleuve Bío-Bío qui, jusqu'en 1773 (écrasement définitif de la résistance mapuche), constituera, de fait, la borne méridionale de la nouvelle province chilienne.
Les nouveaux arrivants baptisent le territoire conquis la « Nouvelle Estrémadure ». Rattachée au vice-royaume de Lima (cette ville est le point de passage obligé de tout le commerce colonial chilien), cette province dépend juridiquement et administrativement de l'Espagne, qui y nomme la plupart de ses cadres et dirigeants (gouverneur, maires, conseillers municipaux, officiers…). La Couronne espagnole lève l'impôt, mobilise des hommes, est aussi le principal partenaire commercial de la colonie, à qui elle achète des métaux précieux et qu'elle approvisionne en biens manufacturés et produits exotiques (sucre, tabac, cacao) consommés par l'élite locale. Pour l'essentiel, l'économie chilienne repose sur la petite activité minière, sur l'élevage et la culture de céréales. Le reste de l'agriculture et l'artisanat subviennent aux besoins de la population locale et approvisionnent occasionnellement la vice-royauté du Pérou.
La Nouvelle Estrémadure tient cependant un rôle périphérique pendant l'époque coloniale et reste une charge pour l'Espagne : ses richesses minières sont mal exploitées, sa production d'or et d'argent est sans commune mesure avec celles du Pérou et de la Bolivie, les Mapuches obligent la Couronne à maintenir une forte présence militaire vers le Bío-Bío. Enfin, son monopole commercial est battu en brèche par les pirates européens qui, pendant tout le xviie siècle, récupèrent une part non négligeable des maigres richesses du pays. Au xviiie siècle, lors de la guerre de la succession d'Espagne, les ports chiliens et une partie du commerce seront même contrôlés par des armateurs français. Sous le régime colonial, cette province ne joue donc qu'un rôle marginal dans l'Empire espagnol.
La société chilienne est alors fortement polarisée en trois groupes. Le secteur social dominant est composé de l'élite administrative et militaire du pays ainsi que des créoles espagnols, propriétaires de la plupart des terres et des grandes exploitations agricoles du pays : les haciendas, travaillées par les Indiens et les métis selon un système proche du servage (l'encomienda). Cette oligarchie sert de modèle à des classes moyennes urbaines, formées par de petits propriétaires terriens, des artisans réputés, des petits commerçants et des fonctionnaires de rang subalterne, population espagnole créole parfois métissée. En bas de l'échelle sociale, les Indiens, quelques Noirs et les très nombreux métis constituent une main-d'œuvre quasiment gratuite, ne disposant pratiquement pas de droits civiques. L'Église catholique, chargée de l'évangélisation, mais qui est aussi l'un des plus grands propriétaires terriens du pays, maintient un contrôle non négligeable sur l'ensemble de cette société et joue un rôle fondamental dans l'éducation et la culture coloniale.
Au début du xixe s., l'idée d'indépendance fait son chemin parmi les élites chiliennes. La bourgeoisie créole connaît les idées révolutionnaires véhiculées par le Siècle des lumières, ne se satisfait pas d'un système colonial, qui fait obstacle à son enrichissement, et a déjà établi des contacts commerciaux avec des négociants anglais. En 1808, l'invasion de l'Espagne par les armées napoléoniennes affaiblit la Couronne ibérique et joue le rôle d'un détonateur. Le 18 septembre 1810, le Chili organise son premier gouvernement national, abolit l'esclavage, décrète la liberté de la presse et décide l'ouverture commerciale du pays. Cette période dure jusqu'en 1814, date à laquelle les armées espagnoles infligent une défaite aux indépendantistes (désastre de Rancagua). La restauration est de courte durée : l'armée des Andes, dirigée par Bernardo O'Higgins et l'Argentin José de San Martín, bat les armées royales à Chacabuco (1817) et à Maipú (1818) : l'indépendance est proclamée, O'Higgins est investi des pleins pouvoirs. Il promulgue la première Constitution chilienne, établit un Sénat et restructure le pouvoir judiciaire.
La jeune République s'engage de 1817 à 1879 dans un processus de consolidation politique et de croissance économique, facilité par une longue période de paix intérieure. L'exploitation d'importantes richesses minières, le développement de l'agriculture donnent naissance à de grandes fortunes et permettent à l'État de lancer de vastes programmes de travaux publics. À partir de 1860 se développent de façon massive les principales inventions de l'ère industrielle, comme le chemin de fer, le télégraphe, les machines-outils et les machines agricoles. Le Chili s'enrichit donc, dirigé par une élite d'anciens créoles, socialement et politiquement conservateurs, mais économiquement libéraux.
Les négociants anglais, qui ont évincé les Espagnols, contrôlent l'essentiel du commerce extérieur chilien. Avec l'ouverture du pays, de nombreux étrangers s'installent au Chili ; Valparaíso devient ainsi une ville cosmopolite et l'un des principaux ports du Pacifique ; Santiago, quant à elle, s'équipe et acquiert les caractéristiques propres d'une grande ville. Si la paysannerie ne voit pas se modifier ses conditions de vie, la classe moyenne s'étoffe et, dans le domaine intellectuel, de grandes figures (tel le juriste Andrés Bello) élaborent une pensée et une culture véritablement nationales, quoique d'inspiration européenne. Sous la présidence de Manuel Montt (1851-1861), le Chili se dote d'un Code civil particulièrement novateur. Le premier demi-siècle de la République est donc une période de stabilité politique et sociale qui fait exception dans l'ensemble des nouvelles républiques américaines.
Au temps de la colonie, les frontières chiliennes avaient été définies de façon aléatoire dans des régions qui paraissaient sans intérêt. La découverte puis l'exploitation de riches gisements de nitrates dans le désert d'Atacama (territoire alors bolivien et péruvien) amènent le gouvernement du président Aníbal Pinto (1876-1881), appuyé par les Anglais, qui avaient des intérêts économiques dans cette zone, à déclarer la guerre à ses voisins pour s'emparer de ces bassins miniers. Les armées chiliennes gagnent facilement la guerre du Pacifique (1879-1883), conclue par le traité d'Ancón, qui annexe au Chili les provinces d'Antofagasta (Bolivie) et de Tarapacá (Pérou). En 1881, en outre, un accord conclu avec l'Argentine établit la frontière entre les deux pays à la ligne andine de partage des eaux. À la fin de la guerre, le Chili acquiert donc sa configuration définitive, que ses voisins ne cesseront, toutefois (et aujourd'hui encore), de contester.
L'exploitation intensive des gisements de « salpêtre du Chili » (nitrate de sodium) est à l'origine d'une période de prospérité sans précédent, qui transforme le pays. L'État met à profit l'augmentation de ses ressources fiscales pour développer les infrastructures du pays (énergie et transports), tout en menant une politique éducative de « chilénisation » du pays. Le Chili trouve ainsi une cohérence géographique, politique et culturelle qui lui faisait défaut jusque-là. La prospérité entraîne l'apparition d'une nouvelle bourgeoisie industrielle liée au salpêtre (los salitreros : « les salpêtriers »), tandis que se forme, dans le Nord, une classe ouvrière puissante. Dans les villes, les débuts de l'industrie légère étoffent les classes moyennes. Les nouveaux groupes sociaux, instruits, urbains, soutiennent le projet de José Manuel Balmaceda (1886-1891) : ce président, qui instaure rapidement un régime dictatorial, souhaite en effet utiliser les ressources du pays pour mener son industrialisation rapide, sous le contrôle d'un État autoritaire, mais soucieux de progrès social. Les tensions entre Balmaceda et le Congrès, contrôlé par les grands propriétaires terriens et les salitreros, se soldent finalement par une année de guerre civile (1891), perdue par les partisans du président.
La république parlementaire qui succède à la dictature de Balmaceda est aux mains de l'oligarchie minière et des grands propriétaires terriens, majoritaires au Parlement. Jusqu'en 1925, les présidents de la République, affaiblis, ne pourront faire obstacle au Congrès, qui mène une politique économique libérale, donne la priorité aux secteurs bancaires et à ceux liés à l'exportation des ressources naturelles. L'agriculture, l'éducation et les services sanitaires périclitent, tandis que le gouvernement contrôle et réprime sévèrement toute revendication politique et sociale de la population : en 1907, l'armée exécute 2 000 ouvriers en grève et leurs familles (massacre de Santa María de Iquique).
L'âge d'or du salpêtre s'achève en 1914. À partir de cette date, en effet, le Chili ne trouve plus à vendre ses nitrates, remplacés par des engrais synthétiques récemment mis au point en Europe. La dépression des années 1930 prolonge cette crise, amenant chômage, inflation et misère. Cette récession provoque des remous politiques : une nouvelle Constitution est votée en 1925, qui n'empêche pas une courte période d'anarchie et la dictature du général Carlos Ibáñez del Campo (1927-1931). À l'exception de ce dernier et d'Arturo Alessandri Palma (1920-1925 puis 1932-1938), durant ces années noires se succèdent au Chili des présidents sans envergure, aux projets inexistants, gestionnaires d'un pays en déconfiture.
La victoire électorale du Front populaire, dirigé par Pedro Aguirre Cerda (1938-1941), marque un tournant dans la vie économique et politique du pays. Le Chili s'engage dans une série de réformes constitutionnelles à l'origine de trente-cinq années de stabilité démocratique. Parallèlement se met en place un nouveau modèle de développement économique, fondé sur l'industrialisation du pays, le protectionnisme, l'extension du secteur public et la priorité donnée aux classes moyennes. Créé pour organiser la reconstruction des régions dévastées par le tremblement de terre de 1938, l'organisme public CORFO (Corporación de Fomento de la producción) devient par la suite le principal instrument d'intervention d'un État puissant, relativement soucieux de justice sociale et dont l'intervention, à l'exception d'une parenthèse libérale sous la présidence de Jorge Alessandri (1958-1964), est parfaitement consensuelle pendant la période.
Sous l'impulsion de l'État, le Chili s'industrialise, voit se développer ses villes et grossir les rangs d'une classe ouvrière très organisée, alors que prospèrent les classes moyennes, composées surtout des très nombreux salariés du secteur public et des commerçants. Si de nombreuses poches de pauvreté subsistent, les conditions de vie générales de la population s'améliorent constamment pendant cette période. Dans le domaine culturel, de nombreuses institutions voient le jour (orchestre symphonique national, école de théâtre…), tandis que les poètes Gabriela Mistral, Pablo Neruda et Vicente Huidobro acquièrent une renommée internationale. La qualité des services éducatifs et médicaux permet de faire reculer l'analphabétisme, d'augmenter l'espérance de vie et de doter le Chili d'une population instruite, souvent qualifiée, dont les caractéristiques démographiques et sanitaires sont sans commune mesure avec celles des autres pays d'Amérique du Sud.
L'expérience de l'Unité populaire (1970-1973) clôt cette longue période de stabilité politique. Le socialiste Salvador Allende souhaite, en effet, radicaliser le modèle de développement en lui donnant une orientation beaucoup plus sociale. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau président décide donc la nationalisation des mines, de plusieurs banques et l'expropriation des grands domaines. La situation économique connaît une courte période d'euphorie en 1971, en partie grâce à une forte augmentation des bas salaires, mais se détériore rapidement : baisse de la production, inflation, détérioration de la balance commerciale, aggravées par « le blocus invisible » des grandes banques et compagnies nord-américaines. À la fin de 1971, entreprises et consommateurs chiliens connaissent déjà de sérieux problèmes de ravitaillement.
Cette situation provoque le départ dans l'opposition de la démocratie chrétienne (centre droit), qui soutenait Allende jusque-là. Le président ne peut plus alors compter que sur le parti socialiste et l'extrême gauche, dont le M.I.R. (Mouvement de la gauche révolutionnaire), qui négocie son soutien en échange d'une radicalisation de l'action gouvernementale. De 1972 à l'hiver 1973, les excès politiques et les erreurs économiques des militants, les grèves à répétition, les opérations de sabotage de la droite chilienne, que finance la CIA, aboutissent à une situation de quasi guerre civile et de désorganisation économique totale. Le 11 septembre 1973, l'armée chilienne, dirigée par le général Augusto Pinochet, renverse le gouvernement. Salvador Allende se suicide dans le palais présidentiel de la Moneda.
Les démocrates-chrétiens et la droite chilienne, persuadés que les militaires abandonneront le pouvoir une fois « l'ordre rétabli », accueillent assez favorablement le coup d'État. Pinochet et ses conseillers souhaitent cependant profiter de cette situation de crise pour transformer radicalement le pays et l'engager sur une voie libérale. Le coût de cette libéralisation est énorme : les libertés politiques sont supprimées, des milliers de personnes sont torturées et exécutées, un million d'opposants sont exilés. En 1983, après dix années de crise profonde, marquées par l'inflation, le chômage et l'accentuation des inégalités sociales, le Chili s'engage dans une phase de forte croissance qui, en matière économique du moins, paraît justifier les transformations réalisées par les militaires.
À partir de 1985, la dictature peut donc recréer des espaces de liberté. L'opposition renaît, tandis que certains secteurs de l'opinion prennent des distances avec le régime. À la fin des années 1980, le modèle libéral maintenu par la force est suffisamment installé pour n'avoir plus besoin de répression. En octobre 1988, Pinochet organise, et perd, le plébiscite destiné à le maintenir au pouvoir jusqu'en 1997, première élection démocratique depuis 1973. La brèche est ouverte : les élections présidentielles et législatives de 1989 sont gagnées par l'opposition.
Les présidents démocrates-chrétiens Patricio Aylwin Azócar (1990-1994) et Eduardo Frei Ruíz-Tagle (1994-2000) héritent d'un pays meurtri, mais prospère : les entreprises chiliennes sont compétitives, les finances de l'État sont saines, la pauvreté recule. Le système politique reste cependant verrouillé par les militaires. La commission « Vérité et Réconciliation » a certes dénoncé officiellement en 1991 les violations des droits de l'homme commises depuis 1973 mais, à l'exception de deux militaires emprisonnés, les coupables restent impunis. Pinochet demeure chef de l'armée de terre jusqu'en mars 1998. Sénateur à vie en qualité d'ancien chef de l'État, il siège à partir de cette date à la Chambre haute et contrôle une minorité de blocage. En octobre 1998, l'ancien dictateur est arrêté à Londres par la police britannique, sur la requête de deux juges espagnols, marquant le début de l'« affaire Pinochet ». Libéré pour raisons de santé en mars 2000, il rentre au Chili, où il mourra le 10 décembre 2006 sans avoir été jugé.
En janvier 2000, trente ans après l'arrivée au pouvoir de S. Allende, un socialiste, Ricardo Lagos, est élu président de la République, battant de peu l'ultraconservateur Joaquín Lavín (51,3 % contre 48,69 %). Malgré une forte poussée de la droite, la coalition de centre gauche, qui gouverne le pays depuis dix ans, reste donc au pouvoir. L'année suivante, la gauche perd le Sénat, qui passe à droite lors des élections sénatoriales partielles mais conserve la majorité de justesse à la Chambre des députés (décembre 2001). En octobre 2004, après des années de débat, un accord intervient entre la Concertation des partis pour la démocratie ou concertation démocratique (la coalition formée principalement de socialistes et de démocrates-chrétiens au pouvoir) et l'opposition de droite pour modifier la Constitution imposée en 1980 par A. Pinochet : selon la réforme (entrée en vigueur le 17 septembre 2005), le chef de l'État a désormais le pouvoir de limoger les commandants en chef des forces armées, jusqu'alors inamovibles ; les charges des huit sénateurs désignés – dont quatre occupées par des militaires – et celle de sénateur à vie, réservée aux anciens présidents, sont abolies ; la durée du mandat présidentiel est réduite de six à quatre ans non renouvelable consécutivement. En revanche, le scrutin binominal, qui empêche la représentation de partis minoritaires, est maintenu. En novembre 2004, le Chili tourne la page de la dictature lorsque le chef de l'armée reconnaît officiellement la responsabilité des militaires dans les violations des droits de l'homme.
La « Concertation » remporte la majorité au Sénat et à la Chambre des députés à l'issue des élections législatives de décembre 2005, ainsi que, pour la quatrième fois consécutive depuis le retour de la démocratie en 1990, la présidence de la République. Sa candidate, Michelle Bachelet, est élue le 15 janvier 2006 avec 53,5 % des voix, contre 46,5 % pour son rival, Sebastián Piñera, prospère homme d’affaires et l’un des deux candidats de droite resté en lice. Première femme appelée à gouverner le Chili et première femme élue au suffrage universel direct à la présidence d'un État d'Amérique du Sud, M. Bachelet forme un gouvernement strictement paritaire. Rapidement confrontée à une vaste protestation sociale (agitation lycéenne et revendications sectorielles) qui la contraint à procéder à un remaniement ministériel dès juillet, la présidente voit sa cote de popularité chuter dès les premiers mois de son mandat. En mars 2007, alors que l'alliance avec le parti démocrate-chrétien montre des signes d'effritement, la désorganisation du Transantiago, le nouveau système de transport dans la capitale, conduit au deuxième remaniement ministériel depuis l'entrée en fonctions de M. Bachelet. Ce remaniement met fin notamment à la parité. Malgré de bons résultats économiques, la présidente est sanctionnée pour son insuffisante prise en compte des délaissés de la prospérité et ne recueille que 35 % d'opinions favorables. À la suite de l'exclusion de la Démocratie chrétienne, fin décembre, du sénateur Adolfo Zaldívar, chef de file de l'aile droite du parti, la défection de cinq députés au mois de janvier aboutit à faire perdre à la coalition gouvernementale la majorité qu'elle détenait dans les deux chambres. Le gouvernement doit désormais négocier avec une opposition renforcée au Congrès, qui progresse également aux élections municipales d’octobre 2008.
En politique étrangère, le gouvernement Bachelet entend resserrer ses liens avec ses voisins latino-américains alors que le Chili a été traditionnellement tourné davantage vers les États-Unis et la zone Asie-Pacifique (adhésion à la Coopération économique Asie-Pacifique [APEC] en 1994). Tout en conservant sa marge de manœuvre dans le cadre d’un multilatéralisme affirmé, il tente notamment d’aplanir le contentieux historique qui l’oppose à la Bolivie sur l’accès de celle-ci à la mer par un accord sur la construction d’un corridor interocéanique impliquant également le Brésil (décembre 2007). Le différend avec le Pérou, concernant la délimitation de sa zone économique maritime, est en revanche porté devant la Cour internationale de justice (CIJ) en mars 2009. Par ailleurs, les relations avec l’Argentine sont renforcées avec le traité de Maipú d’intégration et de coopération, ratifié en novembre 2009. Enfin, s’associant activement à la politique d’intégration régionale, M. Bachelet assure la première présidence pro tempore de l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) fondée en mai 2008 à Brasília, contribuant notamment à la résolution de la grave crise qui secoue la Bolivie en août et septembre.
Malgré un bilan économique très honorable « récompensé » par l’adhésion du Chili à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en janvier 2010 et la popularité de M. Bachelet qui a su redorer son blason au cours des deux années précédentes mais ne peut se représenter, les élections générales de décembre 2009-janvier 2010 se soldent par la victoire de la droite. Candidat de la « Concertation », l’ancien président démocrate-chrétien Eduardo Frei Ruíz-Tagle ne recueille que 29,6 % des suffrages au premier tour du scrutin présidentiel, l’électorat de gauche votant également pour Marco Enríquez-Ominami, jeune dissident du parti socialiste, soutenu par divers groupes minoritaires (dont le parti écologiste, le parti humaniste et le Mouvement gay et lesbien) qui arrive en troisième position avec plus de 20 % des suffrages, ainsi que pour Jorge Arrate (candidat de la gauche non-socialiste et extra-parlementaire, dont le parti communiste, 6,2 % des suffrages).
Malgré le ralliement de ces derniers, E. Frei doit s’incliner au second tour face à Sebastián Piñera, candidat unique de l'Alliance pour le changement, coalition regroupant principalement Rénovation nationale (RN, droite « libérale »), dont il est issu, et l’Union démocrate indépendante (UDI, droite « conservatrice » et « pinochetiste », héritière du gremialismo, corporatisme catholique historiquement très lié à la dictature militaire). Cette coalition a toutefois pour ambition de mordre sur l’électorat centriste en incluant également des indépendants, des régionalistes et des transfuges de la « Concertation ». S. Piñera s’impose ainsi avec 51,6 % des voix et entre en fonctions le 11 mars. S’il peut compter sur une courte majorité à la Chambre des députés, sa coalition ne dispose que de 16 représentants sur 38 au Sénat. L’arrivée au pouvoir de la droite n’entraîne pas de rupture radicale avec l’expérience de centre gauche précédente, la priorité étant la reconstruction du pays après le séisme destructeur du 27 février. Outre les travaux de remise en état des infrastructures et des logements dévastés, le nouveau gouvernement veut faire du Chili un pays développé en 2018 en se fixant une série d’objectifs dans sept domaines prioritaires : développement économique, emploi, sécurité, lutte contre la pauvreté, santé, éducation, « qualité de la démocratie ».
La première phase de la reconstruction contribue à la forte croissance de l’économie du pays en 2010 et 2011 (5 % et plus de 6 %) qui s’accompagne notamment d’une inflation modérée (3 %) et d’un chômage en diminution (de 8 % à 7 %) mais à partir de mai 2011, alors que le président Piñera défend son premier bilan devant le Congrès, une protestation massive se développe dans les milieux étudiants et lycéens contre une éducation à deux vitesses et un système universitaire largement privatisé pendant la dictature, restés sans changements substantiels malgré le rétablissement de la démocratie et les gouvernements de centre gauche. Exigeant, entre autres, une diminution des frais de scolarité, une augmentation du financement de l’université publique, une extension des bourses d’études ainsi qu’une démocratisation des instances universitaires, le mouvement, qui se renforce au fil des semaines, reçoit le soutien de la population, et finit par faire céder en partie le gouvernement au bout de six mois de manifestations donnant parfois lieu à de violents incidents.
Tendant à se transformer en un plus large mouvement social, il révèle le malaise croissant de la classe moyenne et de la jeunesse chiliennes qui, après avoir récolté les fruits de l’expansion du pays, se mobilise contre un modèle économique encore très inégalitaire, fragilisant S. Piñera dont la popularité connaît une forte chute. En dépit de la solidité de la situation économique et financière – avec un taux de croissance de 5,6 % en 2012 accompagné d’un chômage à son plus bas niveau (6,4 %) depuis quinze ans – et l’inflexion sociale de la politique gouvernementale dont le « revenu éthique familial » (mai 2012) est l’emblème, les mécontentements et la désillusion l’emportent, contribuant à l’érosion de la majorité dès les élections municipales d’octobre 2012.
De retour dans la compétition politique après avoir dirigé l’agence des Nations unies ONU Femmes, l’ancienne présidente prend la tête de la coalition de centre gauche, Nouvelle majorité, à laquelle se joint notamment et pour la première fois le parti communiste. La réduction des inégalités restant l’enjeu politique et économique central, l’accord de gouvernement est axé sur une réforme de la fiscalité destinée à financer celles de l’éducation et de la santé ainsi que sur la rédaction d’une nouvelle Constitution plus démocratique.
Après les scrutins locaux de l’année précédente, les élections générales de novembre et décembre 2013 sont les premières au niveau national à se tenir depuis l’entrée en vigueur (janvier 2012) de la loi sur l’inscription automatique des électeurs et la suppression du vote obligatoire. Le corps électoral est ainsi augmenté de quelque 5 millions d’inscrits mais cette hausse n’a pas d’effet sur le nombre de votants, qui régresse, et l’abstention, déjà très élevée aux municipales, bondit par rapport aux consultations antérieures à 2012, avec des taux d’environ 51 % et 58 % aux premier et second tours du scrutin présidentiel, révélant un important fossé entre une population appelée à participer et la classe politique.
Toutefois, sans être plébiscitée, M. Bachelet s’impose avec 62 % des suffrages face à Evelyn Matthei, candidate de l’Alliance, formée par l’UDI et Rénovation nationale. Pouvant également s’appuyer sur une majorité au Congrès à la suite de la victoire de sa coalition à la Chambre des députés et au Sénat, elle entre en fonctions le 11 mars 2014. Confrontée à une perte de popularité, dans un contexte marqué par des scandales de corruption et une croissance en perte de vitesse en raison de la chute des prix du cuivre (prévision rabaissée de 3,6 % à 2,5 % pour 2015), M. Bachelet est contrainte de remanier son gouvernement en mai 2015 pour relancer son action : le parti communiste et le parti pour la Démocratie (PPD) sortent renforcés de ce remaniement.
Parmi les projets les plus controversés, la dépénalisation partielle de l’avortement est finalement approuvée en 2017. Mais la popularité de la présidente continue de s’effriter, tandis que la majorité présidentielle se divise et s’affaiblit. Après avoir fortement reculé aux municipales de 2016, critiquée à gauche avec la formation d’une gauche alternative (Front élargi) issue du mouvement estudiantin, comme sur sa droite au sein de la démocratie chrétienne qui présente sa propre candidate, elle aborde les élections de 2017, après un nouveau remaniement gouvernemental, alors que la droite est donnée gagnante.
Le Chili connaît ainsi une nouvelle alternance politique à l’issue des élections de novembre et décembre 2017. De nouveau candidat d’une coalition de droite, En avant le Chili – formée principalement de l’UDI et de Rénovation nationale –, Sebastián Piñera l’emporte au second tour de scrutin avec 54,5 % des suffrages face à Alejandro Guillier, soutenu par la coalition de gauche (Nouvelle majorité). Alors que ce dernier a surtout bénéficié du report des voix du Front élargi (20 % des voix au premier tour), son adversaire a dû tenir compte de la droite la plus dure représentée par l’ex-UDI José Antonio Kast (8 %).
Le taux de participation n’est toutefois que de 49 % et aucune majorité ne se dégage aux législatives, les deux principales coalitions de droite et de gauche remportant respectivement 72 et 43 sièges sur 155 devant le Front élargi (20) et la démocratie chrétienne (14) à la Chambre des députés, élue pour la première fois à la proportionnelle. S’engageant surtout à remettre le Chili sur la voie de la croissance – en ralentissement de 4 % en 2013 à 1,4 % en 2017 –, S. Piñera entre en fonctions le 11 mars 2018.