Félix Stotz : itinéraire oublié et meurtrier du chef de la Gestapo de Montauban

Publié le par arkheia - Max Lagarrigue

arkheiapublié le 17/01/2014 à 19h03 par Max Lagarrigue


Qui se souvient dans notre département des tortures infligées à de « courageux patriotes » dans les caves froides du 3 Faubourg du Moustier à Montauban, des représailles mortelles contre le maquis de Montricoux le 17 juillet 1944, de l’instigateur des pendus de la place des Acacias le 24 juillet 1944, ou de l’assassinat gratuit de trois ouvriers agricoles dans la commune de Montbeton le 18 août 1944 ?

Stotz FelixIl est assez surprenant que le nom et l’itinéraire de ce zélé gestapiste soient complètement absents de la mémoire locale. Comme si la sauvagerie des crimes surpassait leur auteur, comme si pour oublier ces atrocités, la mémoire collective préférait commémorer l’événement et oublier jusqu’au nom de son bourreau.

« Cet homme est le type absolu de l’Allemand : attitude figée, maîtrise de soi, visage dur, cruel même. De tous ceux qui défilent devant le tribunal militaire, l’accusé est l’un des plus spécifiquement germanique. Si l’on croit à l’influence du moral sur le physique, il n’est point étonnant que Stotz ait commis les crimes qui lui sont reprochés ».

Si la description du journaliste de la Dépêche de Toulouse, au procès de Stotz, est caricaturale, elle n’en confirme pas moins les marques indélébiles que ce tortionnaire a laissé dans le département. Il nous appartient donc d’essayer d’en éclairer le parcours.

Qui est vraiment Stotz

Né à Strasbourg le 11 juin 1909, Félix Stotz est d’origine allemande, il semble exercer un temps la profession de relieur dans la commune allemande d’Ulm où jadis les armées napoléoniennes avaient écrasé les Autrichiens. Il a à peine 20 ans lorsqu’il rentre dans la police urbaine de Stuttgart où déjà son zèle semble le propulser rapidement dans les services de la section de contre-espionnage. Dès 1933, alors qu’il n’est âgé que de 24 ans il est affecté à la police criminelle. Fort de ses connaissances acquises dans les services du contre-espionnage, il est nommé à la frontière franco-allemande. Il assure là la surveillance de la construction de la ligne Siegfried. Durant cette fonction, il perfectionne son apprentissage de tortionnaire. Soutenu par un régime qui en a fait la pierre angulaire de sa politique, il exerce avec zèle cette tâche.

Ce n’est qu’après la drôle de guerre et cette étrange défaite dans une France exsangue que Stotz, muté au service de la sûreté des armées de Paris, commence à exercer ses "talents". Premier terrain d’expérimentation, la terre francilienne le fait passer au rang d’expert. Il lui faut néanmoins attendre l’invasion de le zone sud dans une France qui se croit encore libre pour prendre en main les fonctions que nous lui connaissons dans la région. Un temps dans le Lot-et-Garonne, il est finalement nommé dans les services de la Gestapo de Toulouse. C’est dans la ville rose avec l’aide efficace des services de la 8e brigade de police mobile que nombre de résistants de la 35e brigade FTP-MOI qui prit plus tard le nom de son chef martyr Marcel Langer, sont arrêtés, torturés et exécutés. Ce n’est finalement qu’en janvier 1944 que le gestapiste se voit attribuer un potentat dans le département de Tarn-et-Garonne. Mutation pour service rendu, il marque d’une pierre rouge, celui du sang de ses victimes, l’histoire noire du département. 

Il s’installe avec ses services au 3 faubourg du Moustier à Montauban. Faut-il rappeler que le faubourg est le siège de la collaboration départementale. A quelque dizaine de mètres de l’antenne de la Gestapo, au numéro 75, la Milice s’est installée. Pour les plus fanatique d’entre eux, les bureaux de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme (LVF), au numéro 6 Porte-du-Moustier, offrent au plus aventureux de s’engager aux côtés de l’armée allemande. En 1945, les derniers combattants de la LVF passent dans les corps de la Waffen SS. Beaucoup périssent dans les combats extrêmes et septentrionaux de 1945.

Faire un récapitulatif des exactions de Stotz s’avère complexe. Nous ne pouvons prétendre à l’exhaustivité du fait même de l’implication des services français collaborationnistes. Néanmoins, notre propos est non moins de quantifier que de démontrer que l’installation du KDS de Toulouse à Montauban annonce un climat de barbarie, auparavant absent dans le département. La juridiction des services de Toulouse s’étendait sur les départements suivants : Ariège, Gers, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées, Lot, Lot-et-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne et Basses-Pyrénées. Pour accomplir sa mission, le chef de l’Aussendienstellen, le sturmscharführer Stotz s’entoure d’hommes dociles et disciplinés. Six hommes forment sa garde prétorienne. Ils ne rechignent jamais à l’exécution des directives émises par leur chef. Ici les valeurs sont inversées, l’absence d’humanisme, de morale ou de libre arbitre sont des vertus qu’il faut cultiver. Ces missi dominici : le SS oberschaführer Pliscke remplacé plus tard par le SS Thomas, Sturmann Killian, Ruda, Adma, Sturm et Jean Zinck - ce dernier interprète avec la mention recruté sur place - 15 hordes barbares sans foi ni loi, exercent durant six mois les pires atrocités : pilleurs, incendiaires, tortionnaires, meurtriers, leur barbarie aveugle ne connaît aucune limite. Stotz et ses sbires orientent leurs actions sur un axe principal : mettre un terme aux mouvements de résistance qui s’organisent dans le département. Pour ce faire, il met en place deux stratégies qui laissent encore dans nos mémoires de sombres journées. La première d’entre elle consiste à mettre en place un service de renseignement (SR). Il va sans dire pour que celui-ci soit efficace qu’il faut à Stotz des collaborations locales. Le recrutement de ces agents du SR de la Gestapo trouve son vivier parmi les plus zélés des miliciens mais aussi parmi des citoyens volontaires qui ne sont pas membres de cette organisation.

Les motivations de ces individus ne sont pas forcément liées à un engagement idéologique. L’appât du gain semble être un facteur déterminant. Il en va de même pour bon nombre de miliciens qui bénéficient d’avantages - si ce n’est ceux qu’ils s’octroient en nature - comme par exemple celui d’un salaire mensuel. Le 2 mai 1944, l’arrestation d’un réfugié belge, Max Sttaters n’est qu’un exemple des procédés de banditisme. Une somme de « 60.000 francs dont il est porteur » lui est confisquée. A Verdun-sur-Garonne, le même scénario se reproduit le 14 août lors de l’action du « milicien Squilbin ». Celui-ci et douze autres comparses se rendent chez Pierre Belloc, père de Cyrille - ce dernier membre actif de la Résistance verdunoise - et exigent la somme de 50 000 francs sous peine d’incendier sa demeure. Le vieil homme ne pouvant s’acquitter de la dite somme, donne tout ce qu’il a dont 27 500 francs. Pour dernier exemple, le 30 janvier 1945, la lettre de réclamation qu’adresse Félix Merly au maire de Montauban, démontre le degré de banditisme dans lequel les chefs de la Milice se compromettent : « M. le Maire, J’ai l’honneur de porter à votre connaissance qu’à la suite de l’arrestation de M. Pefourque par la Milice, en juillet 1944, j’ai pris l’initiative, pour obtenir sa libération qui était offerte contre rançon de un million de trouver ce million. J’ai, de fait, réalisé cette somme grâce au concours des personnes dont les noms suivent et qui m’ont remis chacune la somme mise en face de son nom (...) La somme de un million ainsi réalisée a été remise par moi-même et Maurice Aubagnac, le 15 août 1944 au chef milicien B. et l’inspecteur J., en présence du colonel D., chef de la Milice. (...) » .

Le témoignage laissé par l’interprète de la Gestapo de Montauban, Jean Zinck, avant qu’il ne soit exécuté en 1945, nous livre des informations précieuses sur le recrutement local. La tentative de Mademoiselle M. L., jeune castelsarrasinoise de 20 ans, est à ce titre un exemple. Ami d’un jeune collabo, membre du SR de la Gestapo, la jeune femme, par conviction, intérêt ou goût de l’aventure, ou les trois mêlés propose par l’intermédiaire de son ami, d’offrir ses services à la Gestapo. En l’absence de Stotz, le jeune collabo revient deux jours plus tard faire sa proposition. Entre temps, la jeune femme rencontre Zinck dans un café près de la préfecture. S’en se démonter, elle déclare à ce dernier que puisque son ami travaille pour leur service, elle veut également en faire partie. Zinck la renvoie à Stotz, seul qualifié en la matière. Stotz congédie le jeune collabo en lui rétorquant que sa protégée : « devra d’abord faire ses preuves ».

Ce n’est que grâce à un tel recrutement et à la surenchère exercée par Stotz pour le recrutement de ses agents locaux que l’étau se resserre sur les résistants. Le 27 janvier 1944, Henri Chouffier, 20 l’un des piliers de la propagande clandestine du MUR, échappe de justesse au premier coup de filet de Stotz. L’agent de renseignement de la Résistance doit sa survie à l’heureux concours de M. Sahuc, l’un de ses clients, qui s’empresse de l’avertir que la Gestapo perquisitionne son magasin.

Depuis plusieurs semaines, des agents du SR de la Gestapo suspectent un autre notable de la ville. Par deux fois, relayé par les services de la Milice, on cherche à le piéger. Il s’agit de Me Veaux qui n’est autre que le responsable du service de renseignement et du Noyautage des Administrations Publiques (NAP) des MUR. Sous la caution de Mme Raynal, secrétaire de Me Bousauet, notaire et collègue d’André Veaux, un jeune homme se présente à son domicile. Réfractaire au STO, il lui déclare vouloir gagner Londres pour rejoindre les FFL. Avec derrière lui deux années de travail clandestin, Me Veaux est d’une méfiance qui frise la paranoïa. Cette visite impromptue n’est pas du genre à le rassurer. Quitte à manquer de tact, il congédie son jeune visiteur sans rien laisser transpirer de ses activités. Ses soupçons se confirment peu après. Soucieux de savoir pourquoi ce mystérieux réfractaire s’est adressé à lui, il commande à l’un de ses plus proches agents du NAP, Edmond Pagès, employé aux Ponts-et-chaussées, de mener une enquête sur son compte. Manque évident de discrétion des services de renseignements de la Milice ou tout bonnement de ce jeune et inexpérimenté agent qui “ doit faire ses preuves “, Pagès découvre sans grande difficulté que le visiteur est passé, peut-être pour une dernière consigne ou une avance sur salaire, au siège de la Milice avant de se rendre chez Me Veaux. Huit jours plus tard, André Veaux éconduit promptement notre jeune agent persuadé qu’il n’a pas été démasqué. C’est à cette époque qu’André Veaux est informé par son frère que son nom circule dans les dossier de la Gestapo. Dans ce climat délétère, Veaux est constamment sur ses gardes. Durant ce long mois de janvier 1944, il persiste, néanmoins, à maintenir ses activités clandestines toujours sous le couvert légal de son cabinet.

Biographie : Né le 30 Mai 1912 à Bayonne, André Veaux, pseudo Marcel, est avoué à Montauban. Mobilisé du 15 février à juillet 1940, il reprend la direction de son cabinet au 15, faubourg du Moustier dans le courant de l’été. Au mois d’octobre 1941, il reçoit un jeune avocat parisien réfugié à Montauban. C’est par l’intermédiaire et à la demande de ce dernier dénommé Goldenberg, alias Léo Hamon, que Me Veaux constitue l’embryon de l’organisation Combat en Tarn-et-Garonne. Par l’entremise de celui-ci, Me Veaux est mis en contact avec Raymond Tournou et Marie-Rose Gineste, tous deux ayant déjà pris part à titre individuel à des actions clandestines. De facto, Melle Gineste est, pour l’heure, la plus expérimentée dans le travail clandestin. En effet, depuis octobre 1941, elle assure la direction de l’organisation démocrates-chrétiennes, Liberté ; à partir de novembre, elle prend la responsabilité départementale de la diffusion du journal clandestin Témoignage Chrétien. Ce n’est réellement qu’à partir de ce regroupement, dans le courant du mois mars - avril 1942, que la direction de l’organisation et le travail clandestin prennent forme. Me Veaux, surchargé, ne peut assumer seul le travail. Dès le mois de Mai 1942, la direction de Combat devient des lors bicéphale. Marie-Rose Gineste assure cette fonction à ses côtés. Me Veaux concentre son effort dans la direction du SR et le NAP, responsabilités qu’il continue à exercer après la constitution des Mouvements Unifiés de la Résistance (MUR) en mai 1943.

Le SR de la Gestapo cherche, semble t-il, plus que l’homme, probablement parce qu’il ne connaît pas ses responsabilités, à remonter une filière d’évasion peut-être vers la Grande-Bretagne. Peu de temps après le jeune réfractaire, une jeune femme munie d’un passeport anglais se présente à lui. Une fois encore, son interlocuteur lui demande de le faire passer en Angleterre. Les charmes de la jeune femme ne suffisent pas à écarter les principes élémentaires de sécurité. Veaux, plus inquiet par cette récidive maladroite, mène, en responsable des SR, une enquête sur cette étrange visiteuse. Il apprend par Monsarrat dont elle a loué la maison que c’est une espionne belge travaillant pour l’ennemi.

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