Heinrich von Brentano Bonn le 29 novembre 1956
Le 29 novembre 1956, Heinrich von Brentano, ministre
des Affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne (RFA), décrit devant le Bundestag les enjeux du traité signé le 27 octobre 1956 à Luxembourg par la France et par l'Allemagne afin de
régler définitivement la question du territoire de la Sarre.
Le gouvernement fédéral soumet aujourd’hui un vaste traité au Bundestag allemand et sollicite l’approbation de la Haute
Assemblée. L’objectif de ce traité peut se résumer en une phrase:
Il doit servir à intégrer la Sarre en tant que plus jeune État fédéral à la République fédérale d’Allemagne, à compter du 1er janvier 1957, et permettre ainsi à un million d’Allemands
de retrouver leur patrie allemande.
Vous comprendrez que le gouvernement fédéral saisisse cette occasion pour exprimer sa profonde satisfaction et sa joie sincère. Depuis la fondation de la République fédérale, cette Assemblée a
mené de nombreux débats de politique étrangère sur le problème de la Sarre. La République fédérale se trouvait confrontée à une situation née de la confusion créée par la débâcle totale qui
régnait à la fin d’une guerre totale proclamée par un gouvernement allemand abject. L’unité du Reich allemand et l’unité du peuple allemand semblaient avoir sombré dans cette période chaotique.
L’ordre politique, social et économique était anéanti. Personne n’était là pour parler au nom du peuple allemand, pour conjurer le monde de ne pas répondre aux injustices causées par de nouvelles
injustices. Personne n’était là, capable d’exprimer le désir ardent du peuple allemand tout entier de se doter d’un ordre nouveau et d’intégrer cette nouvelle Allemagne dans le monde libre,
afin de poursuivre ensemble, avec les forces de ce monde, les objectifs politiques les plus ambitieux: la sauvegarde de la paix et de la liberté pour les générations futures.
Les débats qui se sont tenus ici, dans cette Assemblée, étaient parfois passionnés et houleux. Ils paraissaient souvent pleins de contradictions antinomiques, et pourtant ils étaient toujours
l’expression des inquiétudes communes et des efforts communs. Nous savions tous que la population de la Sarre souffrait d’une évolution qui l’éloignait de sa patrie allemande. Et nous savions
aussi que la proclamation de son appartenance au peuple allemand a souvent été mal interprétée dans le monde et qu’elle a souvent été considérée et condamnée comme l’expression d’un nationalisme
malséant.
D’un autre côté, nous étions conscients des difficultés politiques et psychologiques auxquelles se heurtait la réalisation de notre désir. Nous savions qu’en invoquant le droit à
l’autodétermination, nous éveillions le souvenir des injustices commises. Et nous étions conscients aussi de la force normative des faits – même lorsque les faits ne sont pas conformes à ce
qui est juste, à ce qui est légitime.
Au cours de toutes ces années, le gouvernement fédéral ne s’est pourtant pas écarté des principes qui ont guidé son action par le passé et qui le guideront encore à l’avenir. Il savait
qu’il devait s’armer d’une patience infinie pour convaincre le peuple français et le monde qu’il n’y avait rien d’inique à cette demande que faisait valoir le peuple allemand. Il a cependant
toujours fait clairement savoir qu’il ne connaissait qu’une seule voie pour atteindre cet objectif, celle de la négociation et de la concertation. Et je crois pouvoir dire que, même dans les
débats parfois passionnés, qui ont été menés dans cette Assemblée sur cette question, aucune voix ne s’est jamais élevée pour recommander au gouvernement fédéral de s’écarter de cette voie. C’est
pourquoi le gouvernement fédéral estime être également en droit de qualifier cette politique de succès probant, le constat étant que d’ici quelques semaines les représentants du Land de Sarre
travailleront avec nous au sein de cette Assemblée en tant que députés, et que la question de la Sarre ne fera plus l’objet de débats de politique étrangère. Lorsque, après le 1er janvier,
nous parlerons de la Sarre, il s’agira d’une discussion entre Allemands au sein de la patrie politique de tous les Allemands – de ceux qui vivent dans la liberté et de ceux qui veulent
retrouver la liberté et qui la retrouveront.
Le traité qui vous est soumis s’étend à de nombreux domaines de notre politique extérieure. Il règle la relation de la République fédérale d’Allemagne avec la Sarre. Il constitue un premier pas
décisif dans la voie de la réunification de tous les Allemands dans la paix et la liberté. Il affecte profondément nos relations avec le peuple français voisin. Il apporte la preuve
convaincante du bien-fondé et de la nécessité d’une politique de concertation et de collaboration au niveau européen. Et surtout, ce traité contribue aussi à la détente politique dans le monde,
que nous saluons avec toute la gratitude qui se doit en ces temps où la tension semble croître de manière inacceptable autour de nous, dans de nombreuses régions du monde.
Si nous parlons de ce traité, il me semble opportun de parler en premier lieu de la Sarre elle-même..Le traité a réglé son destin. L’objectif était avant tout de répondre à ses espoirs et à ses
souhaits. La population de la Sarre, pays frontalier, a porté, au cours des dernières décennies, le poids d’un lourd destin qui paraissait parfois d’une dureté intolérable. L’ancienne patrie
semblait perdue. Des années durant, les espoirs de retour paraissaient irréalisables.
Il convient de le dire ouvertement, la population de la Sarre ne nous a pas toujours compris, ici, en République fédérale. Nous partagions le problème et l’angoisse de trouver une solution. Mais
ce problème se posait souvent en termes différents de l’autre côté de la frontière germano-sarroise et de ce côté-ci de la ligne de démarcation, qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir historique
et qui, je l’espère, disparaîtra bientôt aussi en tant que tel de notre conscience.
En Sarre, c’était le problème dominant, majeur, qui ne lâchait pas la population. Ici, chez nous, il ne représentait qu’une des nombreuses préoccupations pressantes, une partie seulement du
triste héritage de l’effondrement du Reich, que la République fédérale se devait d’assumer. Il ne faut pas en conclure pour autant que nous avons prêté moins d’attention au problème de la Sarre
ou que nous l’avons relégué au second plan. Mais nos efforts visant à instaurer un État unique à l’ouest ne devraient pas nous faire oublier que la réunification avec les Allemands du centre et
de l’est de l’Allemagne ne sera possible qu’avec le soutien inconditionnel du monde libre. C’est pourquoi il importait d’instaurer et de renforcer la collaboration basée sur l’amitié et la
confiance avec nos voisins français. Il ne faudrait pas que le problème de la Sarre puisse empêcher ces relations amicales, et je crois que le succès nous a donné raison.
Dans nos efforts pour offrir au peuple allemand tout entier sa réunification dans la paix et la liberté, nous trouverons, dans la France, une amie et une alliée sûre et sincère.
Au nom du gouvernement fédéral, je voudrais remercier le peuple de la Sarre pour la persévérance et la loyauté dont il a fait preuve à l’égard de sa patrie allemande. Les Sarrois ont ainsi
exprimé leur désir ardent de réunification de manière convaincante. Et ils ont ainsi, comme je l’espère, montré au monde entier que la division d’un peuple et le refus du droit à
l’autodétermination sont contraires aux principes fondamentaux du droit qui s’appliqueraient aussi, même s’ils ne faisaient pas partie du patrimoine commun de tous les peuples libres dans le
monde et qu’ils n’avaient pas été consacrés, en tant que tels, dans la Charte des Nations unies.
Nous devons également remercier la population sarroise d’avoir fait preuve de dignité et de modération, dans l’adversité comme dans la réussite. Ce ne sont pas des protestations bruyantes,
mais la patience et la fermeté qui lui ont permis d’obtenir ce qu’elle souhaitait tant. Et ce succès, elle ne l’a pas célébré triomphalement, mais seulement avec une joie discrète. Et c’est
ainsi, peut-être inconsciemment, qu’elle a apporté sa contribution à la politique du gouvernement fédéral et appuyé de manière déterminante cette politique axée, comme je l’ai déjà dit, sur la
concertation et l’amitié.
Le gouvernement fédéral pense que le traité apporte la réunification à la Sarre sous une forme qui répond considérablement à ses souhaits. La réunification ou – pour l’exprimer de manière
juridiquement pertinente dans les termes du traité – l’extension du champ d’application de la loi fondamentale à la Sarre, intervient à la première date possible, à savoir à la date que nous
avions envisagée ensemble avec le gouvernement de la Sarre, au moment du lancement des négociations. Le fait que le processus d’intégration de ce jour soit limité par un dispositif transitoire,
qui doit expirer au plus tard le 31 décembre 1959, ne dévalorise en rien mon constat. Nous avons, par l’accord sur ce régime transitoire, non seulement pris en compte un souhait exprimé
par la France, mais nous avons aussi, parallèlement, répondu à une demande de la Sarre, et agi conformément à notre propre conviction de la nécessité économique de ce dispositif. La durée du
régime transitoire reflète les attentes qui s’étaient imposées comme vision commune avant le lancement des négociations dans le cadre du dialogue avec le gouvernement sarrois.
S’agissant de ce qu’il est convenu d’appeler le régime définitif, à savoir la période après l’expiration du régime transitoire, nous avons adopté des dispositions qui sont adaptées à la situation
particulière de la Sarre en tant que Land frontalier. Afin d’éviter les erreurs de 1935 et celles d’autres dispositions adoptées au sujet de la Sarre, il a été prévu de ne pas donner à son
économie une orientation strictement unilatérale, mais de lui permettre de continuer d’entretenir d’étroites relations économiques avec la France. Cela vaut tant pour les échanges de marchandises
et de services, que pour les relations de transport, le droit d’établissement et, particulièrement, l’exploitation du charbon de la Sarre, pour lequel ont été établies des obligations réciproques
de fourniture et d’achat.
Si, dans ce traité, il a fallu faire certains sacrifices, et si le gouvernement fédéral n’a pas répondu à certains souhaits – points sur lesquels je vais revenir encore –, il s’est en tout cas
efforcé d’assumer autant que possible ces sacrifices globalement, au niveau fédéral. Nous ne voulons pas qu’en raison, tout simplement, de sa situation géographique, une partie de l’Allemagne ait
à supporter, plus que d’autres régions, des sacrifices qui sont finalement le résultat d’une guerre perdue ensemble. Le traité vise, en outre, à une pacification politique de la Sarre. Tenant
compte, ici aussi, à la fois d’un souhait français et d’une requête sarroise ainsi que de notre propre vision des choses, nous avons adopté des dispositions qui mettent un point final aux
querelles politiques passées de la Sarre et qui scellent pour tous les Sarrois l’entrée dans l’union politique de la République fédérale.
Je crois que la Sarre peut désormais envisager son avenir en toute confiance. Politiquement pacifiée et définitivement admise au sein de la République fédérale, elle sera intégrée à la zone
économique allemande émergente, et, parallèlement, sur le plan économique, les portes de la France et de ses vastes territoires d’outre-mer lui sont ouvertes.
Avant que la Sarre ne puisse exploiter pleinement les possibilités que lui offre le traité, il lui reste néanmoins encore à franchir une étape qui ne sera pas facile, celle de l’adaptation au
reste de la zone économique allemande. L’aider au maximum dans cette voie doit être pour nous un devoir d’honneur. Le traité offre déjà, dans sa période transitoire, de multiples possibilités à
cet effet, et permet, dans la période qui suit, l’adoption de mesures en vue d’une intégration qui soit la plus facile et la plus équitable possible. Là aussi, le gouvernement fédéral agira en
étroite collaboration avec le gouvernement sarrois; le règlement de la question sarroise dans le cadre de la politique extérieure laisse place désormais à une discussion qui relève de la
politique intérieure allemande. Notre souci doit être, à cet égard, de veiller à ce que personne ne soit pénalisé ni ne profite d’avantages injustifiés, et nous pensons en particulier à ceux qui
sont socialement défavorisés.
La Sarre intègre une maison qui me semble plus agréable qu’elle ne l’était en 1935. Elle doit obtenir une place appropriée dans cette maison et ne doit pas pâtir du fait qu’elle y emménage après
les autres habitants. Le gouvernement fédéral souhaite vivement que, lorsque le processus d’intégration sera achevé, la Sarre puisse avoir le sentiment d’avoir ainsi obtenu tout ce qu’elle
était en droit d’attendre.
Le gouvernement sarrois a déposé ces jours-ci un mémorandum, ici à Bonn. Cet exposé minutieux des requêtes particulières de la Sarre n’a pas encore pu faire l’objet d’une délibération au sein du
gouvernement fédéral. Je pense toutefois pouvoir affirmer explicitement, au nom du gouvernement fédéral, que ce dernier examinera avec le plus grand soin ce mémorandum qui, je l’espère,
constituera une bonne base pour l’aide que nous entendons offrir à la Sarre au niveau fédéral. Permettez-moi de citer une phrase tirée de la déclaration que le Chancelier fédéral a faite à la
radio le 27 octobre, quelques heures seulement après que j’eus signé le traité à Luxembourg, avec mon collègue, Monsieur Pineau, ministre français des Affaires étrangères. Il s’est exprimé
en ces termes:
«La réintégration de la Sarre nous imposera des sacrifices économiques, auxquels tous les partis ont déjà donné leur accord de principe. Cependant, ces sacrifices que la République fédérale
assumera pour la Sarre ne seront pas répercutés sur la population sarroise. Pendant la période de transition économique et après sa réintégration à part entière, cette population aura besoin de
l’aide du Bund et des Länder, mais aussi de celle de l’économie allemande, afin qu’au sein de la République fédérale elle serve de lien particulier entre les problèmes économiques des deux
États».
Le gouvernement et la population de la Sarre peuvent donc avoir l’assurance que le Bundestag et le gouvernement fédéral feront tout ce qui est en leur pouvoir pour accroître les performances
économiques de la Sarre, qui ne doit pas être et ne sera pas le parent pauvre de la République fédérale. Nous ne ménagerons pas nos efforts pour offrir à la Sarre aussi rapidement que les
conditions nous le permettent toutes les possibilités qui favoriseront sa participation sur un pied d’égalité au développement économique de la République fédérale, et qui lui permettront
d’apporter ainsi à l’ensemble de la République fédérale sa précieuse contribution à la prospérité économique et au bien-être social du peuple allemand tout entier.
Mesdames et Messieurs, toute la portée de ce que j’ai dit sur la Sarre n’apparaît clairement que si nous considérons la réintégration de la Sarre dans le contexte de la réunification allemande
dont elle représente la première étape.
Le succès de ce premier pas doit susciter et suscitera l’attention des Allemands dans toutes les parties de l’Allemagne qui attendent encore avec impatience la réunification et attisera leurs
espoirs. Le 1er janvier 1957, date à laquelle la Sarre réintégrera l’Allemagne, sera un jour de joie et de satisfaction pour tous les Allemands et un jalon sur la voie vers une
Allemagne unie.
Le gouvernement fédéral a toujours été conscient, dans les négociations franco-allemandes, du lien existant entre la question sarroise et la question de la réunification. Bien que, dès le
départ, il ait été déterminé à se montrer large d’esprit dans les négociations avec les partenaires français, il a cru bon de négocier avec ténacité là où il craignait que l’idée de la
réunification ou plutôt la force persuasive de cette première solution partielle ne soit mise à mal. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons défendu l’idée d’une période transitoire aussi
courte que possible et que nous nous sommes efforcés d’éviter, autant que possible, d’imposer des désavantages matériels à la Sarre et, lorsqu’ils étaient inévitables, de les faire endosser
plutôt par le Bund. Cela doit nous inciter aussi à aplanir à tous égards la route qui permettra à la Sarre de nous rejoindre, au cours de la prochaine étape, qui sera celle des mesures de
politique intérieure allemande. Il s’agit là d’une partie importante de la politique de réunification dans ses aspects concrets.
À en croire la presse, le gouvernement de la dénommée RDA a examiné le traité franco-allemand de la Sarre. J’ose espérer qu’il l’a fait avec la plus grande minutie.
Ce traité contient des orientations extrêmement utiles pour résoudre le problème global allemand. Ses antécédents montrent qu’il suffit d’établir le droit à la liberté d’opinion pour
démontrer sans ambiguïté dans quel sens vont les souhaits de tous les Allemands. Le traité montre comment l’on peut régler ensemble avec un ancien adversaire une question relative à la
réunification sous une forme décente et dans le respect d’un juste équilibre.
Il montre, par ailleurs, que le gouvernement fédéral considère qu’il est de son devoir naturel de travailler en étroite collaboration avec le gouvernement librement élu d’une autre partie de
l’Allemagne en vue de réaliser la réunification, que le gouvernement reconnaît la situation particulière des différentes parties du territoire national et qu’il est disposé à consentir des
sacrifices pour la réunification. Nous souhaitons ardemment que ce traité puisse servir de référence dans le futur.
Le traité revêt une importance tout à fait exceptionnelle lorsque l’on considère la relation franco-allemande. Je n’ai nulle intention de me prêter à un exposé historique en rappelant à notre
mémoire des événements douloureux qui devraient plutôt appartenir au passé.
Néanmoins, le gouvernement fédéral considère qu’il a le devoir particulier, ici et aujourd’hui, d’exprimer au gouvernement français et au peuple français sa plus profonde satisfaction et sa
gratitude pour l’action inestimable de la France en faveur de l’amitié franco-allemande, de l’idée européenne et de la réunification du peuple allemand.
La valeur morale et politique de la décision que la France a prise spontanément et sans hésitation en octobre 1955 mérite d’être soulignée avec force. Notre attitude serait tendancieuse et
déloyale, si nous ne reconnaissions pas que cette décision, vue sous l’angle de la politique française, n’avait rien d’évident, loin s’en faut.
Ce processus n’a rien de comparable non plus avec le référendum de 1935. À l’époque, plusieurs options avaient été proposées et on était d’accord sur le fait que l’on reconnaîtrait la réponse du
peuple de la Sarre à ces questions. En 1955, en revanche, la France se trouvait devant une véritable décision politique lourde de conséquences.
Si l’on s’était limité à considérer formellement le résultat du référendum, on aurait pu en déduire que la population sarroise avait simplement rejeté le règlement proposé. La conséquence
inévitable de cette approche aurait abouti au constat que tout devait rester comme avant. La France a néanmoins prouvé ces derniers jours que, pour un peuple libre, qui vit lui-même dans un État
de droit, la liberté et le droit à l’autodétermination ne sont pas que pure théorie.
C’est pourquoi la France n’a pas hésité à reconnaître la véritable teneur de cette décision qui s’est exprimée clairement et a été confirmée lors des élections au Landtag de la Sarre qui ont
suivi. Une interprétation du résultat du référendum au sens strict de la loi aurait été un malheur irréparable pour la Sarre même, pour l’idée de réunification et pour la relation
franco-allemande. Le peuple français et son gouvernement l’ont reconnu et ont ainsi ouvert la voie à une évolution positive des relations entre nos deux nations.
On a parfois reproché au gouvernement fédéral d’avoir donné son accord aux dispositions soumises à la décision de la population sarroise par voie de référendum. Avec le recul, le gouvernement
fédéral estime qu’il n’y a pas lieu ni d’expliquer ni même de justifier cette position. Au contraire, il croit pouvoir dire que cette reconnaissance loyale de fidélité au traité a créé les
conditions psychologiques et politiques qui ont permis à la France de prendre la décision courageuse que je viens d’évoquer.
Dès lors, je crois que le ministre français des Affaires étrangères, M. Pineau, et moi-même, étions en droit de déclarer ceci, après la signature du traité:
«Les sacrifices qui ont été consentis de part et d’autre attestent la volonté des deux gouvernements d'ouvrir une phase nouvelle dans les relations franco-allemandes, au cours de laquelle les
deux peuples marcheront ensemble vers un avenir meilleur. Il ne doit plus subsister désormais entre eux que les questions qui se posent normalement dans le cadre des relations de bon
voisinage.»
La décision courageuse et clairvoyante de la France a été adoptée à l’époque par le cabinet français, auquel appartenaient le président du Conseil, M. Edgar Faure, et le ministre des
Affaires étrangères, M. Pinay. L’exécution de cette décision relevait du gouvernement français actuel dirigé par le président du Conseil, M. Guy Mollet, ainsi que de ses collaborateurs, le
ministre des Affaires étrangères, M. Pineau, et le secrétaire d’État, M. Maurice Faure, qui ont mené les négociations pour la France avec une objectivité à toute épreuve et une loyauté
totale.
La solution apportée à toute la problématique, telle qu’elle se présente maintenant dans le traité, aura des retombées positives sur la relation franco-allemande. Trois caractéristiques du traité
garantissent son succès: premièrement, le fait qu’il s’agit d’un règlement conclu librement, comme il se doit entre deux peuples libres, deuxièmement, le fait que ce règlement est définitif, et
troisièmement, le fait que les deux parties y trouvent leur avantage.
Le gouvernement fédéral n’a jamais douté un seul instant qu’un règlement satisfaisant de la question sarroise supposait nécessairement la conclusion d’un accord franco-allemand. Du côté de la
Sarre, au cours des négociations, des voix critiques se sont occasionnellement fait entendre qui affirmaient qu’un traité sur la Sarre – c’est-à-dire un traité impliquant inévitablement des
sacrifices – n’était pas absolument impératif. Cela peut paraître justifié pour quiconque ne perçoit pas la question de la Sarre comme ancrée dans la problématique politique extraordinairement
complexe, telle qu’elle caractérise la situation de l’Allemagne face à son environnement. Il était exclu de caresser pareille idée pour les mêmes raisons qui ont incité la France à ne pas
s’opposer à l’intégration de la Sarre dans la République fédérale, d’autant plus qu’une décision positive de la France existait déjà.
Le traité de la Sarre résout définitivement la question sarroise. Cela transparaît dans son préambule qui formule la résolution des deux États à ce que la question sarroise ne puisse plus, à
l’avenir, constituer une cause de dissentiments et leur désir de contribuer, par ce traité, à un apaisement général et définitif. Le caractère définitif résulte, par ailleurs, des déclarations
répétées d’hommes d’État français et correspond à l’esprit dans lequel les négociations sur le traité ont été menées. Ainsi, contrairement à des solutions envisagées par le passé, on a également
renoncé à retenir dans le traité la condition du traité de paix. Le traité met un terme définitif à un différend territorial vieux de près de 300 ans.
Les deux gouvernements se sont efforcés non seulement de mettre fin à ce différend par un accord de principe, mais d’élaborer les détails de la solution convenue de façon à exclure tout différend
ultérieur. Ainsi, par exemple, dans le cas de la question du gisement de Warndt, ils étaient confrontés au choix suivant: soit saisir les tribunaux arbitraux pour régler les difficiles questions
financières qui s’y rattachaient, ce qui aurait impliqué au moins quatre procédures d’arbitrage, soit annuler toutes les créances et dettes mutuelles dans un acte de générosité réciproque. Ils
ont opté pour cette deuxième solution.
S’agissant de la question du Grand Canal d’Alsace, il fallait choisir entre une procédure d’arbitrage qui se serait étendue inévitablement sur plusieurs années et dont l’objet aurait été les
surcoûts liés au remaniement du plan d’aménagement, ainsi qu’une procédure d’arbitrage tout aussi laborieuse aux fins d’interprétation de l’article 358 du Traité de Versailles, d’une part,
et une possibilité de compensation semblable à celle évoquée plus haut, d’autre part. Là aussi, nous avons opté pour la deuxième solution. Par ailleurs, pour ce qui est du destin des usines
Röchling, un accord définitif a été dégagé en marge du traité, ce dont se réjouit sincèrement le gouvernement fédéral. Je peux informer la Haute Assemblée que la gestion sous séquestre de l’usine
de Völklingen a été levée hier et que l’entreprise Röchling a repris la gestion de l’usine, le jour même. Certains procès qui se rapportent à la navigation sur le Rhin ont pu être conclus.
Partout, nous avons mis les choses au clair.
Le traité devrait finalement représenter une solution parfaitement équilibrée. La France et l’Allemagne y trouveront toutes deux leur compte. Le régime transitoire garantit encore à la France,
pour un certain temps, les avantages de l’union douanière et monétaire, et permet à son économie de se préparer au nouveau statut économique de la Sarre.
Dans le cadre du «régime définitif», un système de contingents tarifaires a été mis sur pied, créant les conditions administratives permettant à la France de maintenir ses importants échanges
commerciaux avec la Sarre. Les entreprises françaises, notamment les banques et les assurances, opérant dans la Sarre, ne seront en aucun cas gênées dans la poursuite de leurs activités. Les
facilités dans le domaine des transports seront maintenues.
Le règlement de la question du gisement de Warndt permet à la France d’extraire 66 millions de tonnes de charbon et d’acheter 24 millions de tonnes de charbon à prix réduit. J’ai déjà
évoqué les dispositions d’un système d’obligations de livraison et d’achat pour le reste du charbon de la Sarre. L’écoulement du charbon sarrois et lorrain sur d’autres marchés s’effectuera sur
une base commune. Un accord culturel conclu entre les gouvernements français et sarrois permettra aux échanges intellectuels et culturels entre la France et l’Allemagne de se développer aussi
dans la Sarre pour le bien de nos deux peuples.
L’apaisement politique conclu sert également l’intérêt de la France. En définitive, la France conserve pour une large part dans sa relation avec la Sarre le noyau sain né des relations
franco-sarroises. Qui plus est, grâce au traité de la Sarre, la France a obtenu satisfaction en ce qui concerne la canalisation de la Moselle.
Ces avantages consentis à la France représentent en partie des sacrifices pour l’Allemagne, mais de la même façon, la France a fait des sacrifices, non seulement politiques, mais aussi
économiques, dans la mesure où tous ses désirs sur le plan économique n’ont pas été satisfaits, loin de là. Il s’avère néanmoins qu’une grande partie des avantages de la France énumérés tout à
l’heure, sont en même temps des avantages pour la Sarre ou, plus globalement, pour l’Allemagne.
Cela montre que ce traité constitue une bonne solution et prouve, au demeurant, une fois de plus, que dans l’Europe d’aujourd’hui, un avantage pour l’un n’est plus nécessairement un désavantage
pour l'autre, mais que nos destins sont déjà si étroitement liés que nos intérêts convergent. L’Allemagne et la France continueront de se rencontrer en Sarre, non plus dans un esprit de
divergence, mais dans l’action pour leur intérêt commun. Le dispositif transitoire exige déjà une collaboration très étroite. Le fait qu’un règlement d’un genre aussi inhabituel que celui-ci ait
pu être réalisé suppose déjà une grande volonté de coopérer. Dans le régime définitif, la Sarre constituera un trait d’union économique entre les deux pays.
Je pense que l’opinion publique de nos deux pays a clairement perçu les avantages que les traités apportent aux deux côtés. Mis à part chez quelques non-conformistes éternellement insatisfaits,
le traité a trouvé dans les deux pays un écho tout à fait positif et suscité une réaction à la fois de soulagement et de satisfaction.
Les traités représentent la clé de voûte de l’exécution du programme convenu en octobre 1954 par le Chancelier fédéral et le président français du Conseil, M.
Pierre Mendes France, à l’occasion de la conclusion des traités de Paris, en vue d’une collaboration franco-allemande dans tous les domaines. Permettez-moi de profiter de cette occasion
pour vous donner un bref aperçu des résultats de ce programme.
Sur le plan économique, nous avons conclu l’année dernière un accord commercial à long terme. Parallèlement aux traités venant d’être signés, une convention d’établissement a été conclue. Les
questions datant de l’époque de la guerre dans le domaine des marques de fabrique ont été réglées par un accord spécial. Nous avons créé une Chambre de commerce franco-allemande, une commission
permanente franco-allemande pour l’agriculture et un comité économique franco-allemand composé de représentants des gouvernements. Une collaboration économique a été établie pour le développement
de l’Afrique française.
Les retombées les plus manifestes de ces mesures sont les formidables résultats enregistrés dans les échanges commerciaux entre la France et l’Allemagne, qui atteindront un niveau record cette
année, avec un volume commercial attendu d’une valeur de près de 5 milliards de marks et qui éclipsent tout que l’on a pu connaître auparavant dans l’histoire des relations économiques
franco-allemandes et vont au-delà des espoirs que l’on pouvait formuler il y a quelques années à peine. Notre position de premier partenaire commercial extérieur s’est consolidée, et, de la même
façon, la France figure dans le groupe de tête de nos partenaires commerciaux. À cela s’ajoutent désormais les dispositions relatives à la Sarre avec à la clé une hausse du volume des échanges
franco-allemands, tant pendant la période transitoire que sous le régime définitif.
Sur le plan culturel, les relations entre nos deux pays ont extraordinairement gagné en densité. Ce n’est certes pas aussi concret que dans le domaine économique, mais l’observateur intéressé
constatera un échange culturel intense et varié, qui dépasse lui aussi le niveau des relations passées. Parmi les faits encourageants, permettez-moi d’évoquer l’inauguration, il y a quelques
jours, de la Maison de l’Allemagne à la Cité universitaire à Paris, à laquelle j’ai pu participer et qui a été rehaussée par la présence du Président de la République, M. René Coty, et
d’annoncer que la composition du comité culturel franco-allemand, qui avait fait l’objet d’un accord préalable, est désormais arrêtée et qu’il va maintenant entamer ses activités.
L’importance primordiale du programme de La Celle-St. Cloud, notamment du traité qui nous occupe ici, réside d’évidence dans le domaine politique. Celui-ci a non seulement réglé le problème
de la Sarre, mais il a par ailleurs, grâce au règlement parallèle des questions de la canalisation de la Moselle et du Grand Canal d’Alsace, éliminé les derniers grands désaccords bilatéraux qui
existaient encore entre nos deux pays. La conclusion de ces accords représente donc véritablement un événement historique. À quand remonte l’époque sans pomme de discorde entre l’Allemagne et la
France?
Désormais, la voie est libre pour engager des relations de bon voisinage, au meilleur sens du terme, pour traiter ensemble les grandes questions qui découlent de la position des deux pays dans le
camp du monde libre et, en particulier, pour collaborer à la création d’une nouvelle Europe unie.
En effet, je pense qu’avec la conclusion de ce traité les deux gouvernements ont également agi en faveur de l’Europe. Le simple fait qu’il soit ainsi mis un terme à la longue période de
divergences franco-allemandes est d’une valeur inestimable pour l’Europe. Le règlement de la question sarroise en particulier signifie, parallèlement à l’accord frontalier belgo-allemand, qui a
été conclu récemment et auquel s’ajoutera encore, nous l’espérons, un accord germano-néerlandais du même type, qu’au sein de l’Europe libre, il ne subsiste plus de problèmes territoriaux.
Je pense aussi que par la méthode qu’ils ont utilisée pour mettre fin à leurs divergences, à savoir la voie d’un accord conclu librement, en se laissant guider par la ferme détermination de
mettre un point final au passé, de prendre en compte avec générosité les intérêts de l’autre et de ne pas craindre les sacrifices, les deux gouvernements ont agi dans un esprit européen.
Certaines dispositions du règlement qui vient d’être conclu me semblent particulièrement appréciables du point de vue européen, Je pense en l’occurrence à la mesure visant à l’apaisement
politique, aux accords franco-sarrois dans le domaine culturel et aux dispositions de politique commerciale du régime définitif. Ces dernières représentent une tentative de permettre à deux pays,
sur un territoire limité, d’agir selon des règles de politique commerciale identiques, à savoir sans obstacles comme les droits de douane ou les restrictions quantitatives, c’est-à-dire de créer
en quelque sorte un marché commun. En cas de réussite, cette tentative sera un bon argument en faveur d’un marché commun plus grand auquel les autres pays européens et nous-mêmes aspirons. Qu’une
telle tentative soit réalisée précisément dans le contexte franco-allemand, c’est-à-dire entre les deux pays qui joueront un rôle déterminant dans la création d’un tel marché commun, lui donne
une dimension particulière. Ainsi, non seulement l’Europe y a gagné, mais, dans le cadre du règlement de la question sarroise, l’Europe a, elle aussi, apporté quelque chose à l’Allemagne et à la
France, ce qui mérite d’être souligné avec gratitude. C’est le Conseil de l’Europe qui a entamé le premier, en 1952, une discussion positive sur la Sarre. À sa demande, le délégué néerlandais,
M. van der Goes van Naters, a procédé à des études intéressantes sur la question sarroise et, porté par une authentique conviction européenne, a élaboré un plan qui a
même été apprécié de ceux qui ne pouvaient l’approuver.
Nos remerciements vont également à Monsieur le Ministre Spaak, qui s’est révélé être un intermédiaire infatigable, notamment lors des négociations de l’été 1954. Nous remercions aussi le
Conseil et le Secrétariat général de l’Union de l’Europe occidentale et, nommément, le président de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, Monsieur le Sénateur Dehousse, qui, avec
les autres membres de sa commission, a effectué, avant et pendant le référendum, un travail exemplaire en Sarre, à la demande de l’UEO. Nous devons enfin adresser nos remerciements au
gouvernement et à l’opinion publique du Luxembourg qui, par leur approbation de la canalisation de la Moselle, ont grandement contribué au rapprochement européen.
Si l’on est ainsi parvenu à la conclusion des traités que le gouvernement fédéral vous présente aujourd’hui et pour lesquels il sollicite votre approbation, j’estime cependant qu’il est aussi de
mon devoir de souligner publiquement que le gouvernement fédéral aurait préféré une autre solution pour certaines parties des traités. Nous n’avons pu obtenir tout ce que nous avions envisagé, et
nous avons, nous aussi, consenti d’importants sacrifices. Pour ce qui est du régime transitoire, le gouvernement fédéral aurait préféré un dispositif qui tienne compte plus que ne le font les
présents traités, de l’idée de préparer l’économie sarroise, durant cette période de transition, à son entrée dans la zone économique allemande. Des assouplissements plus généreux dans les
relations économiques entre la Sarre et la République fédérale auraient davantage répondu à ce souhait.
La République fédérale pense en outre que, dans le cadre de la fixation des quantités de charbon qui doivent encore être extraites du gisement de Warndt au profit de la France, elle est allée
jusqu’aux limites extrêmes du possible, même si le volume finalement retenu ne correspond qu’à environ la moitié de ce qu’avait initialement exigé la France.
Par ailleurs, nous pensons qu’en ce qui concerne l’utilisation des moyens de paiement français qui s’amoncelleront lors de la conversion monétaire, nous avons fait de larges concessions, dans la
mesure où nous nous sommes déclarés disposés à restituer à la France un montant de 40 milliards de francs sans contrepartie. Il va de soi qu’il nous fallait prendre en charge les
9 milliards de francs destinés à la dotation initiale de la Sarre.
De la même manière, il allait de soi que nous devions prendre à notre compte les engagements publics qui existaient dans le contexte franco-sarrois. Toujours est-il que pendant l’année de
l’intégration économique de la Sarre, la République fédérale devra mobiliser au total près d’un milliard de marks.
Quant à notre approbation de la canalisation de la Moselle, le gouvernement fédéral la considère aussi comme une véritable concession. Le gouvernement fédéral n’a jamais considéré cette question
exclusivement sous l’angle de l’économie nationale. Nous savons qu’une telle approche aurait conduit à des résultats différents, mais vraisemblablement, en fin de compte, à un refus. Le
gouvernement fédéral a laissé de côté ces scrupules, car il était conscient que finalement c’était une question politique qu’il fallait forcément appréhender et résoudre dans le contexte global
de toute cette problématique.
C’est pourquoi la République fédérale n’a pas hésité à faire ces sacrifices, dont elle était convaincue qu’ils étaient indispensables, si l’on voulait parvenir à un règlement qui contienne aussi
tous les avantages que j’ai déjà évoqués. Si la Haute Assemblée devait demander si des sacrifices de cette ampleur étaient vraiment nécessaires, je lui répondrais d’ores et déjà par un oui sans
restriction. Dans tous les domaines que j’ai évoqués, nous avons bataillé dur, mais les deux partenaires étaient guidés par la volonté sincère de parvenir à un accord.
Lors de ces négociations, le gouvernement fédéral n’a pas non plus oublié que les faits douloureux qu’il fallait liquider étaient dus, en dernière analyse, à cette épouvantable guerre. Le
gouvernement fédéral et le peuple allemand peuvent récuser leur responsabilité dans ce désastre, mais il serait irréaliste et finalement aussi déloyal de vouloir se soustraire à ses
conséquences.
Si le gouvernement fédéral sollicite la Haute Assemblée pour qu’elle approuve ce traité, il sait bien que cette approbation suppose d’évidence un examen minutieux. La collaboration continue avec
le gouvernement sarrois, que je voudrais évoquer avec une gratitude particulière, a permis de tenir la Sarre informée de toutes les phases des négociations et de toutes les considérations qui ont
débouché sur les différentes décisions. Je suis par ailleurs reconnaissant au Bundestag, à travers la sous-commission pour la Sarre relevant de la commission des affaires étrangères, de nous
avoir donné l’occasion, à mes collaborateurs et à moi-même, de tenir le Parlement informé en permanence et de débattre ouvertement des diverses questions. Ce type de préparation devrait, je
l’espère, faciliter la décision tant du Bundestag allemand que du Landtag à Sarrebruck.
Cependant, ce serait à mon avis une erreur que de dresser un compte des avantages consentis et des contreparties reçues et de se prêter à un examen critique des décisions une à une, car elles
sont toutes liées inséparablement les unes aux autres. Nous devrions plutôt nous rendre compte de la portée politique extraordinaire que possède pour nous ce traité, et que j’ai jugé bon de
souligner.
Par conséquent, le gouvernement fédéral ne doute pas que le Bundestag allemand comprendra parfaitement que l’objectif majeur que nous poursuivions nous ait également imposé des sacrifices. Car
c’est le Bundestag qui, le premier, a suggéré de chercher la solution de la question sarroise par le biais d’un tel accord.
Permettez-moi d’ajouter brièvement ceci. Le traité que j’ai pu signer au nom du gouvernement fédéral le 27 octobre dernier est perçu par le gouvernement fédéral comme un grand succès
de sa politique extérieure. Il le considère notamment comme le résultat de sa politique européenne. C’est à la fois cette politique, qui fut et qui est aussi celle du gouvernement français, et la
loyauté inébranlable des Sarrois à l’égard de leur patrie allemande qui ont permis d’aboutir à ce succès.
À l’heure actuelle, la situation politique internationale est préoccupante et grave. Non loin de nous, des peuples qui appartiennent au milieu culturel européen et qui ont autant que nous le
droit de se développer librement, luttent pour leur liberté. Non loin de nous se déroulent des événements tragiques que nous suivons, avec beaucoup d’admiration pour les millions de personnes qui
expriment une volonté de liberté intacte, et avec une profonde aversion à l’égard des méthodes de leurs oppresseurs. L’esprit d’ordre, qui s’exprime dans ce traité, et qui, dans le futur,
déterminera seul la relation entre l’Allemagne et la France, ce droit à la liberté d’autodétermination d’hommes libres, se trouve bafoué ailleurs. C’est donc avec d’autant plus de ferveur que
nous tenons à revendiquer ces principes. C’est ainsi seulement que nous pourrons apprécier ces traités à leur juste valeur.
En définitive, ce n’étaient pas des obligations juridiques et politiques, mais des obligations morales, au sens le plus vrai du terme, que remplissait la France, car elles correspondaient aux
principes qu’elle défend. Ce n’étaient pas des idées juridiques et politiques, mais des idées morales sur la cohabitation de peuples libres qui ont été aussi déterminantes pour le contenu
des traités qui vous sont soumis et pour les décisions des gouvernements qui ont participé à leur élaboration. À présent, la question n’est pas de dresser une liste des droits et des obligations
qui découlent de ces traités et de les confronter. Un tel décompte ne peut être que synonyme d’ambiguïté, car chacun pourrait en tirer un autre bilan.
C’est pourquoi le gouvernement fédéral les présente sans la moindre réserve ni hésitation. Il est persuadé qu’ils sont l’expression d’une conviction politique dont la valeur pour les relations
entre les peuples du monde ne saurait être contestée que par celui qui prône la politique du pouvoir et de l’injustice. En ratifiant les traités, nous voulons opposer un non définitif à cette
politique et peut-être aussi convaincre ceux qui ne sont pas encore parvenus à la même conclusion, ou du moins aborder la question avec eux.
Le gouvernement fédéral estime donc devoir saisir cette occasion pour adresser un nouvel appel insistant à l’Union soviétique. Nous voulons que nos relations avec ce pays s’inscrivent dans le
même esprit. L’Allemagne réunifiée, autant que la République fédérale, veut servir la paix et la liberté dans le monde. Et, lorsqu’ils auront recouvré leur liberté, les 17 millions
d’Allemands de la zone actuellement occupée par les Soviétiques y concourront avec la même détermination inconditionnelle que le million de Sarrois qui unira tout prochainement ses efforts aux
nôtres pour servir ces grandes ambitions politiques.