Les Blancs s'en vont récits de décolonisation
La seconde guerre mondiale a donné aux peuples colonisés non seulement l’idée mais aussi l’occasion d’engager la lutte pour l’indépendance. Rendu à la vie civile après six années de guerre, Pierre Messmer peut enfin exercer le métier pour lequel l’Ecole nationale de la France d’outre-mer l’avait formé : administrateur des colonies. C’est parachuté en janvier 1945 dans une Indochine "pays colonisé, agité par la fièvre nationaliste, occupé par une armée étrangère en guerre [il s’agit de l’armée japonaise. ndlr] et qui se sentait menacée par les victoires américaines aux Philippines et anglaises en Birmanie, gouverné par un pouvoir d’une légitimité douteuse, divisé contre lui-même", qu’il entre rudement dans la carrière. Fort de son expérience, d’un continent à l’autre, de l’Asie à l’Afrique, de l’administration aux ministères, du colonial à l’acteur de la décolonisation, Pierre Messmer a peu à peu forgé sa théorie du fait colonial et du processus français d’indépendance. Cette marche vers l’émancipation lui apparaissait comme l’inéluctable et légitime aspiration des peuples à la liberté : "il était absurde, coupable et contraire aux intérêts de la France de s’y opposer". Si certains, très tôt, comme de Gaulle, ont perçu cette fin ultime, nombreux sont ceux qui n’ont pas compris cette évolution.
Plus que les hommes politiques encore, tout autant que la IVe République elle-même, les militaires français, aux yeux de Pierre Messmer, parce qu’ils n’ont pas accepté cette idée et parce qu’ils sont sortis de leur rôle, portent une lourde responsabilité dans le bilan de ces années. Le terrible malentendu sur la nature véritable des guerres coloniales, aurait été une constante du dogmatisme de bon nombre d’officiers supérieurs. Considérant qu’elles étaient essentiellement d’essence politiques, "révolutionnaires" ou "subversives", asiatiques ou africaines, c’est sur ce terrain qu’elles se devaient d’être gagnées, selon les théoriciens militaires de l’action psychologique. Ainsi fondée, se serait dès lors imposée la nécessité de rallier à tout prix la population indigène, d’où le dogme de la "pérennité de la présence française" véhiculé par les armées, en particulier en Algérie, avec son cortège déchirant de cris et de larmes au moment de l’inévitable départ.
Aujourd’hui encore, même réduite et parée des nouveaux attributs des droits de l’Homme et de la liberté, la présence militaire de la France dans ses anciennes colonies africaines ne semble pas plus légitime à Pierre Messmer. L’existence de bases et de garnisons sur le sol africain serait "en contradiction avec cette règle de prudence et de bon sens" : "garder les mains libres le plus possible". De manière générale, l’ancien Premier ministre n’aime pas les "gesticulations militaires" et humanitaires du gendarme blanc en Afrique noire. Les Etats-Unis, bon nombre d’O.N.G. et François Mitterrand sont ici les premiers visés. Tout au long de son ouvrage, l’auteur, caricaturant parfois le rôle joué par des responsables français (le général de Gaulle aurait-il eu plusieurs politiques africaines ?), plaide en faveur d’une doctrine souple de non-ingérence active. Pour celui qui a "aimé les Africains comme des frères et l’Afrique comme une seconde patrie", le succès de la politique africaine de la France dépendra de sa capacité à maintenir les éléments d’une coopération privilégiée avec l’espace francophone et à respecter un principe de non-intervention, sauf "absolue nécessité". Quant au reste, le génie africain y pourvoira, comme il l’a toujours fait. "Les dieux de l’Afrique ne sont pas morts".
Les Blancs s'en vont récits de décolonisation par Pierre Messmer
Fiche Technique
- Titre : Les Blancs s'en vont récits de décolonisation
- Auteur : Pierre Messmer
- Editeur : Albin Michel
- Date de parution : 01/09/1998
- ISBN : 2226104798