Manville Marcel

Publié le par Roger Cousin

Marcel Manville, né le 22 juillet 1922 à La Trinité en Martinique et mort en décembre 1998, avocat et nationaliste martiniquais, est l'une des figures des Antilles les mieux connues internationalement. 

Manville Marcel Manville Marcel

Il est l'un des amis les plus proches de Frantz Fanon, et son compagnon tant durant la Seconde Guerre mondiale (au sein de la 1re armée française et au cours de la remontée de cette armée de Toulon à l'Alsace : Marcel Manville y est décoré de la Croix de Guerre) que durant la guerre d'Algérie. En 1949 il compte parmi les membres du collectif qui crée le MRAP, Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et pour la Paix, qui deviendra plus tard le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples. Puis il fait partie du collectif d'avocat mis en place à Paris (notamment par le PCF dont il est alors membre) pour défendre les membres du FLN et les autres militants nationalistes algériens arrêtés. Il est visé par un attentat de l'OAS à son domicile parisien, dont il sort indemne.

Ayant pris le titre d' "avocat militant", il se trouve à la barre de quasiment toutes les affaires liés au militantisme antillais des années d'après-guerre, mais aussi de nombreux procès anticolonialistes de par le monde. Il participe à la Conférence de Solidarité avec les Peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine ("Tricontinentale", 3 au 15 janvier 1966 à la Havane, Cuba). Il est coprésident d'une des premières conférence internationale (non-gouvernementale) sur la Palestine, tenue à Paris en 1966. Il est en outre cofondateur de la revue "Nigéria demain" en 1969, qui fait campagne pour le maintien de l'unité du pays, unité menacée par la guerre civile (sécession du Biafra). Il est l'un des fondateurs, à la même époque, du comité de solidarité avec les prisonniers politiques tunisiens.

Tout au long de son activité à Paris dans les années 1960-1970, il compte en outre parmi les avocats de premier plan des syndicats CGT/FSM (notamment de la Fonction publique). En 1975, il obtient à Luxembourg un arrêt qui fait date dans la jurisprudence européenne relative aux droits de la personne : la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) oblige le ministère français de l'intérieur à lever des mesures prises à l'encontre d'un militant ouvrier; immigré italien, M. Roland Rutili (affaire 36-75, 28 octobre 1975). À son retour en Martinique en 1977 il est d'abord membre du bureau politique du Parti communiste martiniquais (PCM) puis en 1984, après une scission au sein de ce parti, il est le cofondateur du PKLS, parti communiste pour l'indépendance et le socialisme.

En 1982 Il organise le Mémorial international Frantz Fanon en 1982 à Fort-de-France, qui est l'occasion pour les Antilles de redécouvrir l'œuvre et la pensée du psychiatre martiniquais qui chemina jusqu'en Algérie et y devint l'un des théoriciens du FLN et du tiers-mondisme avec son fameux ouvrage "les Damnés de la terre" (1961). À l'issue de ce mémorial, Marcel Manville fonde le Cercle Frantz Fanon, "organisation antillaise et internationaliste".

Il organise en 1992 le "procès de Christophe Colomb" dans le Palais de Justice de Fort-de-France et lance ainsi la campagne pour la mémoire de l'esclavage et la reconnaissance de celui-ci comme "crime contre l'humanité". Il anticipe ainsi la Loi Taubira de 2000, qu'il estime positive mais insuffisante. Il revient sur ce sujet à travers une autre campagne pour le dédommagement d'Haïti (longtemps frappé par la dette contractée pour payer les indemnités réclamées par la France en compensation de l'expropriation des propriétés esclavagistes). Puis il entre dans le débat sur les "réparations" par son célèbre "Discours de Lisbonne" (8 décembre 1998) destiné à une conférence de l'Unesco sur "la route de l'esclave" (en raison de son décès intervenu quelques jours auparavant, ce discours sera lu par M. Doudou Diene, Rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme).

Il décède en effet à Paris le 2 décembre 1998, au Palais de Justice, au seuil de la Chambre d'accusation, et au moment où il s'apprêtait à plaider la cause des victimes algériennes du massacre d'octobre 1961 et à soutenir la plainte contre X déposée à propos de cet évènement (avec Mme Nicole Dreyfus et au nom d'associations algériennes fédérées par Bachir Boumaza). Son enterrement, le 12 décembre à Trinité, Martinique, a marqué la mémoire antillaise : il se déroule en présence de la quasi-totalité du barreau de Martinique et de délégations du barreau de Guadeloupe, d 'Haïti, d'Algérie et de Palestine. Le bâtonnier Auteville lui rend un hommage particulier au Palais de Justice de Fort-de-France le 13 décembre 2008 et cite son mot d'ordre auto-prophétique : "défendre à la barre jusqu'à mon dernier souffle, tel est l'objectif de ma vie".

Le barreau de Paris lui a consacré deux hommages : l'un presque au lendemain de sa mort, le 7 décembre 1998, hommage conduit par le bâtonnier Mario Stasi à la Bibliothèque du Palais de Justice, et auquel a participé entre autres l'avocate algérienne Myriem Belmihoub. L'autre le 25 novembre 2013, à la Maison des Avocats de Paris, hommage mené par la bâtonnière Mme Christiane Féral-Schuhl, et par la Ministre déléguée à la réussite éducative, Mme Georges Pau-Langevin, qui avait elle-même commencé sa carrière d'avocate comme collaboratrice de Marcel Manville. Le 2 décembre 2013, la Mairie de Fort-de-France, capitale de Martinique, a baptisé une rue du centre-ville en son honneur, rue longeant le nouveau Palais de Justice et débouchant sur le principal Boulevard de la ville, le Bd du Général de Gaulle. Cette rue longe également le mur commémoratif du procès de l'OJAM une organisation autonomiste antillaise (1962) dont Marcel Manville fut l'avocat.

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